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Laurent Tillie: "Les JO en fin d’année, ce serait une belle chose"

Dans l’attente d’une décision du CIO concernant les Jeux olympiques, le sélectionneur de l’équipe de France de volley-ball Laurent Tillie supporte assez mal de subir les événements liés au coronavirus. Il s'est confié à RMC Sport.

"Je vais faire mes pompes, des abdos et je vais me baigner !" Mais avant de piquer une tête dans sa piscine, à Cagnes-sur-mer, le sélectionneur de l’équipe de France de volley-ball Laurent Tillie a pris de son temps pour évoquer avec RMC Sport la crise sanitaire que nous traversons. Et surtout les conséquences directes du coronavirus sur les Jeux olympiques, censés être la dernière grande aventure commune avec ses "guys". Difficile à vivre, forcément. 

Laurent Tillie, comment vivez-vous cette crise sanitaire ?

J’ai de la chance, je suis dans de bonnes conditions. Ce qui est dur, c’est la privation de liberté, de pas pouvoir faire ce qu’on veut. C’est cela qui est dur à assumer. Je commence un peu à tourner en rond. On nous conseille de ne pas faire du vélo, de ne pas sortir à plus d’un kilomètre… Du coup, je ne sors plus ! Mais comme j’ai une maison et une terrasse, un jardin, ça va. Je suis moins triste que d’autres. J’ai de la chance.

Vous étiez aux Etats-Unis il y a encore une semaine. N’avez vous pas été choqué par la propagation du virus et l’ampleur des dégâts en France à votre retour ?

C’était incroyable parce que je suis parti après les finales de volley italien en Coupe. Et ils commençaient à fermer en Italie. Mais en France, on ne parlait de rien du tout. Je suis parti deux jours après aux Etats-Unis, tout allait pour le mieux. C’était incroyable d’observer, depuis l’étranger, ce qu’il se passait journée après journée, de voir que ça se répandait, qu’aux Etats-Unis ils étaient dans l’insouciance totale, que chez nous ça se fermait de plus en plus. Une fois que je suis rentré des Etats-Unis, ils ont commencé à tout annuler.

Qu’est-ce qui était le plus surprenant finalement, notre impuissance face à la pandémie ?

On ne pensait pas que c’était aussi sérieux. Et puis, avec toutes les voix médiatiques, on trouve toujours un pour, un contre, un avis. Que ce soit chez la personne lambda ou même chez les spécialistes. Donc on n’arrivait pas à se faire une réelle idée de la situation. Regarder tous les jours, voir ce matraquage d’informations pas toujours rassurantes, parfois contradictoires. Bah d’un coup, paf ! Confinement total. On est surpris, choqués, forcément.

Comment vont vos enfants ? Maintenez-vous un contact régulier avec eux ?

Il y en a un au Monténégro (Kim Tillie, basketteur) où ils ne sont pas confinés, mais toutes les activités sont fermées. Un peu comme nous il y a dix jours. En Pologne (où réside Kevin, volleyeur), ils ont interdiction de s’entraîner, mais ils peuvent sortir. C’est une sorte de semi-confinement, un peu comme aux Etats-Unis (là où habite Killian, basketteur lui aussi). Ils ont tout arrêté mais ils peuvent encore sortir et aller s’entraîner individuellement. On essaye de s’appeler un jour sur deux. C’est dur pour des sportifs (rires).

C’est encore plus difficile pour un père, non ?

Exactement. Kim au Monténégro, il ne peut pas rentrer. Kevin, en Pologne, il attend les ordres du pays, du championnat et de son employeur. Et Killian, aux Etats-Unis, on a peur de le faire revenir et qu’il ne puisse pas repartir, même s’il doit se présenter à une éventuelle Draft qui risque de disparaître. C’est embêtant. Il est obligé de rester là-bas, tout seul. 

Tillie: "L’incertitude liée aux JO ? C’est un peu compliqué à vivre"

Le report des JO semble désormais inéluctable, non ? Qu’en pensez-vous ?

Il y a quinze jours, je vous aurais dit non. Maintenant, je ne sais pas. J’ai l’impression que la situation en Asie a l’air de s’améliorer, si j’ai bien compris. On a l’impression que la vague est passée, que des traitements sont mis en place. C’est vrai que juillet, ça me parait un peu tôt pour une accalmie. Vu le contexte et les appels au report, le confinement, ça me semble logique qu’ils soient déplacés. Les JO ne peuvent pas être une fête et se dérouler en toute sérénité au mois de juillet. En fin d’année, ce serait une belle chose, si la situation évolue correctement. C’est comme dans un rafting, je suis dans le bateau, pris dans le flux de la rivière. On ne peut rien faire. On essaye juste de rester en place et de ne pas couler.

A cette époque de l’année, en général, vous visitez vos joueurs dans leurs clubs respectifs. Là, le sport est à l’arrêt complet. Pas vous, le staff de l’équipe de France. Comment gérez-vous cette période ?

On essaye de mettre en place un programme. Mais où, quand, comment ? Les réservations, c’est compliqué, les hôtels sont fermés. Ils ne savent pas, ils n’ont aucune vision. Pareil pour les salles d’entraînement, on ne peut toujours pas s’entraîner. On n’a toujours pas d’endroit où on peut aller. On a une trame, un début de préparation mais pour remplir, c’est compliqué. On est en relation avec les entraîneurs de Pologne, d’Italie ou de Russie pour essayer de faire des matches amicaux ou des stages communs. Pareil, où, quand, comment ? On ne sait pas. C’est difficile. On a des accords de principe, mais on n’a rien de concret. Cela ne sert à rien de s’exciter, il faut attendre et on verra quand il y aura des décisions plus fermes. Après, c’est vrai que c’était une période très importante pour moi. Le début des playoffs, c’est vraiment là où on voit comme les joueurs ont évolué tout au long de la saison, s’ils flanchent ou pas. C’est une période très importante pour l’analyse individuelle des joueurs. Là, ça tombe un peu à l’eau. 

Est-ce la période idéale pour les jauger, mentalement notamment ?

Leur degré de motivation, leur degré de fatigue. Pour savoir comment on peut préparer l’été. C’est vrai que sur la saison, on ratisse large. Et puis, plus on arrive vers la fin avec les playoffs, la qualité des oppositions, des enjeux, plus on se fait une meilleure idée du comportement et de la qualité du joueur. Ça manque un peu.

Les JO seront votre dernière sortie avec les Bleus. Ce n’est pas comme ça que vous l’imaginiez cette année 2020, n’est-ce pas ?

Ça fait bizarre parce que… (il hésite) C’est un peu compliqué à vivre. Voilà, c’est la vie… Mais bon, ça dépend… Quand est-ce que les Jeux seront déplacés ? Si c’est en fin d’année, peut-être qu’on aura la possibilité de coacher encore l’équipe. Si c’est l’année d’après… je ne sais pas. C’est un peu compliqué… On est beaucoup en relation avec le staff, en train de se dire: ‘C’est incroyable quand même’. Comme quoi, la vie… On a beau essayer de tout prévoir, avancer, réussir…et puis hop ! Il peut toujours y avoir un grain, voire un gros grain de sable… Je ne préfère pas trop y penser, on verra comment ça se passe. On imagine qu’on sera aux Jeux et que les Jeux auront lieu.

Vous avez signé avec les Panasonic Panthers. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

J’ai signé un contrat longue durée de quatre ans en faveur des Panasonic Panthers (un club japonais, ndlr). Quand j’ai pris la décision de quitter l’équipe de France l’été dernier, je pensais faire un break, voir ce qu’il se passait, tranquillement. Et puis j’ai eu cette proposition assez forte des Panasonic qui voulaient à tout prix m’avoir. J’étais assez surpris par leur intérêt aussi fort. Et puis le Japon, j’ai trouvé que c’était une belle aventure, un beau challenge. Le Japon, historiquement, a été l'un des précurseurs du volley-ball moderne. C’est eux qui ont inventé la manchette, le jeu rapide tel qu’on le connaît actuellement. Le volley moderne, sans le Japon, il n’existe pas. Pour toute cette histoire du volley-ball, ça m’intéressait, la culture complètement différente, une façon d’entraîner aussi, en y apportant ma touche et mes convictions. C’est un challenge au-delà du challenge sportif. Je trouvais ça très intéressant.

Tillie: "Je ne veux pas cautionner ça"

Auriez-vous pu vous engager en faveur d’une autre sélection ?

Je trouve que le système international devient de plus en plus compliqué pour les joueurs. Je ne veux pas cautionner ça. On voit les joueurs qui enchaînent comme de la chair à canon, match, match, match. Déplacement, déplacement, déplacement. Qualification, qualification, qualification. Je sais que la Fédération internationale (FIVB) pense à alléger les calendriers mais pour le moment… En fait, c’est du profit pour chaque organisation. Que ce soit la Fédération internationale, la confédération européenne, ou les Ligues et les clubs. Et les joueurs sont obligés d’accepter, d’enchaîner… C’est manger encore plus, manger encore plus. Et effectivement, peut-être que le coronavirus va dire: revenons à l’essentiel, au jeu. Pensons aussi à la santé des joueurs.

C’est le déclic que vous avez eu l’été dernier, par rapport aux Bleus ?

J’ai horreur du gâchis (rires). L’idée, c’est de faire en compétition mais pour jouer, il faut se préparer, du temps de préparation etc… Et on s’aperçoit qu’en huit ans, on est obligés de garder les joueurs quatre ou cinq mois par été, avec que des matches. Parce que les calendriers sont de plus en plus lourds. Entre les qualifications pour les championnats d’Europe, les qualifications pour les championnats du monde. La VNL qui a pris une formule démente. Plus les compétitions officielles, championnats d’Europe ou championnats du monde. Plus la Coupe du monde en octobre. Plus la Coupe du monde des clubs champions. Plus la Ligue des champions et les championnats. Pour le TQO, on a eu une semaine de préparation. Les joueurs ont joué le 26 décembre au soir, le 27 ils étaient avec moi. On a passé le réveillon ensemble. On a commencé le tournoi le 5 janvier, jusqu’au 10 janvier. J’ai des joueurs qui jouaient le 12 janvier en club, après avoir disputé cinq matches en six jours. Sans trêve, en ayant joué le 26 au soir. Mais vous vous rendez compte ?! Et c’est comme ça depuis 7-8 ans. Il y a un décalage entre les exigences et ce que les joueurs peuvent donner. En tout cas les stars, parce qu’elles sont là depuis huit ans.

Est-ce un déchirement de faire une croix sur les JO 2024 organisés en France ?

Ce qui était intéressant dans mon challenge, c’est que pendant quatre ans, on essayait de monter une équipe pour faire des résultats. Ensuite, essayer de garder ce niveau pour amener tout le monde à Tokyo qui était notre rêve. C’était un challenge différent dans l’approche du travail avec l’équipe. Parce qu’elle avait mûri, que les joueurs avaient mûri. Il ne fallait pas être directif mais plutôt coorganisateur avec les joueurs. Donc j’ai modifié mon discours, essayer de garder la motivation pour le groupe. Mais après, c’est difficile de rebondir sur une troisième étape pour tenir jusqu’à Paris. Même si j’aurais… (il hésite) J’aurais donné je ne sais pas combien pour faire les Jeux à Paris en 2024. Pour moi, ça aurait été extraordinaire. Mais là je me dis, peut-être qu’il vaut mieux quelqu’un d’autre. Pour prendre du recul. Voilà la vraie raison.

Propos recueillis par Quentin Migliarini