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JO de Tokyo: Tillie constate "une plus grande psychose" au Japon

Laurent Tillie, le sélectionneur de l’équipe de France de volley, qualifiée pour les JO, est depuis cette saison l’entraîneur des Panasonic Panthers d’Osaka, au Japon. Il se confie à RMC Sport sur le choc des cultures et la crise sanitaire au pays du soleil levant.

Laurent Tillie, quelle est la situation sanitaire au Japon? 

Nous, ici, on est en état d’urgence. Les restaurants ferment plus tôt, tout le monde fait un peu plus attention. Mais sinon, on fait ce qu’on veut, il n’y a pas encore de limitation stricte. Là, par exemple, il y avait une journée de repos, je suis allé à Kyoto sans problème. On est un peu favorisés là-dessus. Après, on évite quand même les moments surchargés, les trains bondés. Avec le club, on se déplace en bus pour ne pas avoir le contact des trains, des gares.

La pandémie vous entrave-t-elle dans votre quotidien d’entraîneur?

Tant qu’on a zéro joueur malade, c'est bon. On a failli annuler les matchs du week-end parce qu’un joueur avait de la fièvre et mal à la gorge vendredi. Du coup on a été obligés d’annuler l’entraînement, on a tous passé un test. Les joueurs étant tous négatifs, on a pu jouer le lendemain, mais sans public.

Parce qu’il y a du public, normalement?

Normalement, on a du public, la moitié de la capacité de la salle, limitée à 5.000 spectateurs.

Le protocole en vigueur vous impose-t-il plusieurs tests hebdomadaires, voire quotidiens?

Uniquement quand il y a suspicion. Et s’il y a effectivement un cas, à ce moment-là, on est testés tous les deux ou trois jours, contraints de rester en quarantaine, qu’on soit positif ou cas contact. 

Avez-vous été gênés d’une façon ou d’une autre dans votre préparation ou pendant la saison par ce virus?

Nous non, mais il y a deux équipes qui ont eu des problèmes, elles sont restées quinze jours en quarantaine. Et deux matchs de retard par rapport aux autres équipes, mais c’est assez minime pour le moment, par rapport à ce que d’autres vivent ailleurs.

Sent-on monter l’inquiétude à quelques mois des JO? Ressentez-vous une quelconque hostilité de la population japonaise à la tenue de cette compétition?

Je lis les médias anglophones ici. Il semblerait qu’il y ait une plus grande partie de la population qui souhaiterait l’annulation des Jeux. D’un autre côté, il y a quand même les entreprises, qui ont investi énormément d’argent, et le gouvernement qui veulent à tout prix faire les Jeux. Il y a une plus grande psychose actuellement, surtout à cause des cas de Covid importés d’Europe, du Brésil ou d’ailleurs. Ils ont peur du Covid venant des étrangers. C’est à cause de cela qu’il y a une psychose sur les Jeux. C’est aussi pour cela qu’on entend parler d’un possible huis clos.

Les enjeux sont tellement énormes...

Ce n’est pas vraiment une solution. Ils ont trouvé un bon système, avec 50% de capacité, de la distanciation physique, etc... Après, pour les Jeux, c’est vrai que si on pouvait avoir les passeports de vaccination...

Serait-ce une bonne solution, selon vous?

Pour moi, ce serait la meilleure mesure, même s’il n’y a pas de garantie à 100%. Je pense que ce serait vraiment nécessaire.

La proposition ne fait pas l’unanimité en France. Ses détracteurs parlent de discrimination voire de fichage...

C’est n’importe quoi. Les gens délirent. Ce sont les mêmes qui protestent parce que rien n’est fait. Il faut mettre en place une règle. Ceux qui adhèrent, ils adhèrent. Ceux qui n’adhèrent pas, ils ne viendront pas. 

Pourriez-vous revenir sur cette longue période d’attente qui a précédé votre arrivée au Japon? Combien de temps êtes-vous resté bloqué, en attente de votre visa, plusieurs mois?

Je suis resté bloqué pendant trois mois: juillet, août et septembre. Parce qu’il y avait eu ce blocus pour les étrangers. Toutes les compétitions étaient annulées avec l'équipe de France (VNL, JO…), du coup je devais anticiper mon arrivée. Ça ne s’est pas fait, je suis arrivé début septembre. J’ai fait une quinzaine à domicile sans pouvoir entraîner, ce qui était le plus dur dans la mesure où j’avais la salle à cinq minutes. Mais je devais rester chez moi. J’étais au Japon en train de faire ce que j’ai fait pendant trois mois, des entraînements par vidéo en envoyant les exos ou en corrigeant les entraînements par Zoom. Ce qui était un peu long. En plus, mon adjoint étranger canadien était dans le même cas que moi. Du coup c’était le troisième entraîneur (le statisticien) qui faisait les entraînements. Les joueurs ont été exceptionnels. Ils ont quand même réussi à s’entraîner pendant trois mois. Au Japon, les joueurs s’entraînent tout le temps. Ils ne s’arrêtent jamais. Il y a peut-être une semaine, dix jours de repos, mais sinon ils s’entraînent. C’est une autre conception du sport entreprise. Je suis arrivé, le temps de faire un match amical et le championnat commençait. Moi qui pensais que j’allais pouvoir m’intégrer plus rapidement, de meilleure façon, apprendre à connaître les joueurs avec les trois mois, de juillet à septembre, on s’est retrouvé à se découvrir pendant le championnat. 

Quand on s’entraîne autant toute l’année, la notion de pré-saison existe-t-elle? 

Les Zoom ont commencé au mois de mai puisqu’il devait y avoir une coupe d’Asie des clubs fin juillet début août, donc il fallait préparer ces matchs-là. Il y a donc eu une préparation pour ce championnat. Et puis la compétition a été reportée à fin août, début septembre avant d'être annulée. On était tout le temps plus ou moins en préparation, à essayer de découvrir les joueurs à travers les vidéos.

Réalisiez-vous des entretiens individuels avec les joueurs?

Je regardais les entraînements via Zoom ou en fichiers. J’avais ensuite des entretiens avec le staff une fois par semaine quand cela était nécessaire. J’avais des relations un peu plus privilégiées avec l’entraîneur sur place, qui parlait anglais. J’avais aussi une traductrice anglaise sur place. Ç’a été un peu compliqué pour tout le monde, les joueurs, mais ils ont réussi à tenir le coup. Mais après il fallait aussi apprendre à se connaître. C’est ce qui s’est fait sur le tard. C’est complètement différent de contrôler un entraînement après coup et d’arriver avec le type d’entraînement que je voulais, les remarques, la difficulté de la communication, de l’histoire, de la culture. C’était un peu plus compliqué que ça.

Vous avez été obligé de vous fondre dans un fonctionnement qui préexistait, imposer le votre étant impossible à cette distance, c’est bien ça?

Exactement. Et je ne voulais pas le faire parce que cela aurait été absurde de vouloir imposer quelque chose à distance. Donc en fait c’était plus: entraînez vous, je regarde ce qu’on peut améliorer. Pendant un mois, un mois et demi, ç’a été ça: essayer de corriger les entraînements, les exercices, comment gérer les ballons, essayer d’être plus qualitatif. Au bout d’un mois et demi, deux mois, j’ai commencé à donner le type d’entraînement et d’exercices que je voulais. Mais je voyais bien qu’une fois sur deux, c’était mal compris ou mal interprété, ce qui donnait lieu à des aberrations. C’était une première prise de contact. Après, bien sûr que quand on est là, c’est complètement différent. Parce que je les gère en direct. Mais mon approche, c’était ça, d’essayer de me fondre dans un moule, de comprendre comment ils fonctionnaient, de peaufiner ce qui était en place pour tout doucement basculer sur ce que moi je voulais mettre en place.

Que souhaitiez-vous mettre en place, justement?

C’était l’un de leurs grands étonnements. Dans le volley actuel, la plupart des entraînements, c’est beaucoup de jeu. La technique est induite dans le jeu, et après le jeu on va faire beaucoup de techniques. Pour eux, il faut faire de la technique pendant trois mois, sans jeu, sans opposition, ou très peu. Et du coup, faire de la technique pour la technique, c’est fini, c’est dépassé tout ça.

Vous vouliez les confronter à des situations de match?

Exactement. Ma philosophie d’entraînement, c’est de mettre en place des situations, des exercices qui vont reproduire des situations de match pour retrouver justement le geste juste, le choix juste. Les entraînements doivent être à vitesse maximale, à puissance maximale, avec peut-être un peu de stress aussi, sinon, on ne progresse pas. Ils n’étaient pas habitués à ce genre d’entraînement. Pas à cette période là en tout cas. J’ai essayé d’instaurer un système en leur faisant comprendre que ça se pratique tout le temps, on apprend tout le temps. Les réflexes, il faut les travailler. Ils étaient frustrés parce qu’il y avait peu de technique et trop de jeu. 

Cela a-t-il pu engendrer des frictions, des affrontements verbaux?

C’était juste des questionnements, il y a beaucoup de respect. Ils s’inquiétaient, même pendant la période estivale. J’ai demandé au manager du club d’organiser des matchs amicaux. On en a fait une petite dizaine. Ils ne comprenaient pas l’importance de faire des matchs amicaux à cette période-là, alors que ça donne du sens, on joue, on perd, on gagne, on voit ce qu’on peut améliorer.

Avez-vous été amené à vous questionner sur votre propre fonctionnement, à remettre en question certains de vos principes?

Bien sûr, sur le travail de la technique par exemple. Je m’aperçois qu’ils ont besoin de ça, on est obligé de le remettre en place de façon un peu plus systématique. Je me repositionne, me retrouve à faire plus de technique. Je m’habitue aussi à rester cinq heures dans leur gymnase. Parce qu’ils ont aussi besoin de s’entraîner pendant 5h dans leur gymnase, c’est leur façon de travailler. Je m’habitue à avoir très peu de journées de repos parce que quand je leur donne une journée de repos, ils viennent quand même s’entraîner. C’est aussi leur force, parce qu’ils ont cet engagement, cette envie de bien faire. De par leur culture, leur éducation, leur motivation, ils sont beaucoup plus pointus et exigeants dans ce qu’ils font. Ils vont me poser beaucoup de questions sur le jeu et m’obliger à aller beaucoup plus dans les détails, dans l’organisation. C’est bien, ça me pousse à être plus précis mais il y a aussi toute la partie mentale, individuelle, de la prise de décision et de la lecture du jeu qui est primordiale actuellement. Ils me font avancer et réfléchir sur mon mode de fonctionnement. 

Vous racontiez en fin d’année à quel point il était difficile pour vous de procéder à des ajustements tactiques pendant un match, à cause principalement de la barrière de la langue. Est-ce toujours le cas?

Malheureusement, oui. Le volley, ça va très, très vite, même si on est à côté des joueurs. Le temps de vouloir expliquer ce que vous voyez pour qu’ils prennent une décision pour essayer de changer. En français, ça va très vite. En plus, les joueurs de l’équipe de France me connaissent. Parfois, un simple regard suffit. Mais là, je m’aperçois que c’est long, et que, même si je pense que la consigne est juste, qu’elle est donnée correctement, le temps qu’ils la comprennent, qu’elle soit assimilée, il y a beaucoup plus de temps. La barrière de la langue est vraiment un problème. Il y a la barrière de leurs habitudes de jeu aussi, qui sont très ancrées. Il faut changer un peu tout ça. Et ça va beaucoup plus vite avec les jeunes qu’avec les vieux. 

La présence de Michal Kubiak (double champion du monde polonais) vous aide-t-elle à délivrer certaines consignes?

Kubiak est facilitateur parce qu’il est là depuis cinq ans, il connaît le groupe par cœur. C’est un facilitateur dans l’aspect psychologique, quand il faut les booster, les secouer. Et comme il est très respecté, ça passe de suite. Pour expliquer les plans de jeu ou en match pour expliquer quel type de passe il faudrait faire, c’est plus compliqué, même si on essaye de prévoir à l’avance. 

Le championnat est-il d’un bon niveau?

Il n’y a pas la même dimension physique qu’en Europe, et encore, mais techniquement, c’est extraordinaire. Tout ce qui est défense, attaque, service, c’est pas mal. Il y a peut-être une aversion à la prise de risque qui fait qu’on a l’impression qu’ils jouent petit bras par rapport à leur qualité technique mais c’est un championnat d’un très bon niveau.

Quentin Migliarini (QMigliarini)