
Vendée Globe: superstition, peluches... les petits secrets de Le Cam racontés par sa femme
Anne, votre époux, Jean Le Cam, est devenu le chouchou de ce Vendée Globe. Comment le vivez-vous à terre?
C’est assez particulier quand même, cela a dépassé le stade de l’affection, pour arriver au stade de l’admiration. Je ne peux pas compter les messages, je ne peux même plus y répondre, que ce soit sur les réseaux sociaux - ce sont des milliers de messages - ou sur mon mail, avec des centaines de mails, partout! Mon téléphone qui n’arrête pas de sonner, les textos qui le font vibrer. Et ça ne se calme pas vraiment. Parce qu’il y a eu une première lancée, juste après le sauvetage. C'était déjà monté en puissance avec la course de Jean. On est quand même assis sur une communauté très attachée à Jean, ce n'est pas tout neuf. Il a peut-être élargi son public, mais il a toujours touché les enfants comme des maisons de retraite. Il a peut-être un peu plus touché les avertis, les gens qui font de la voile, avec une reconnaissance un peu plus accrue. Mais il a toujours extrêmement bien navigué, ce n’est pas nouveau non plus, c’est ce que je veux dire.
Qu’est-ce qui suscite cette admiration pour Jean, sa personnalité très attachante?
Je crois que c’est parce qu’il est vrai, qu’il peut passer des rires aux larmes. C’est quelqu’un qui parle vrai, il ne fait pas semblant. Vous avez peut-être visionné les images de sa conversation avec le président Macron. C’est tout simple, c’est tout naturel. Il s’est adressé à lui avec respect, mais avec le même respect qu’il aurait eu pour un monsieur qui fait des jardins ou une dame qui fait des salades. Jean, il est comme ça. C’est quelqu’un qui dévoile ses émotions. Il est un comique malgré lui, aussi. Il ne se rend pas forcément compte des choses. Quand il regarde un film, il va le vivre pleinement, il rentre très facilement dans les histoires, il prend ça très à cœur. Cela donne des histoires un peu rigolotes.
Comment pourrait-on le résumer, si on peut le résumer?
On résume Jean en quelqu’un d’authentique sur le plan humain, de pudique. Il va raconter des histoires, mais pas forcément, lui, se mettre à nu. D’un point de vue navigateur, je persiste à dire qu’il a beaucoup de talent.
Vous dites que c’est un fou, pourquoi?
C’est un fou. Parce que, quand on est "jusqu’au-boutiste" comme lui, on peut frôler la folie. Il ne s’arrête pas… Il a passé deux ans (sur la préparation de ce Vendée Globe), tous les jours, tous les week-ends, les jours fériés… Je rigole beaucoup en ce moment parce que, finalement, je le vois plus, et je lui parle plus depuis le départ qu’on ne l’a jamais fait depuis deux ans.
A-t-il toujours été ainsi?
Il y eu des périodes où il s’est calmé un peu, mais depuis qu’il a acheté le bateau, il y a quatre ou cinq ans maintenant, c’est son super compagnon on va dire... (rires). Il est très concentré sur ce bateau-là, il l’aime beaucoup. De toute façon, comme on n’a pas beaucoup de budget, il y met toute sa force et son talent pour l’optimiser. Avec les moyens du bord, ses mains et sa tête. Et puis ses petits compagnons de chantier qui le suivent dans tout ça, et qui subissent parfois le côté obsessionnel, et "jusqu’au-boutiste", parce que ce n’est pas toujours facile de travailler avec lui. On apprend beaucoup de choses avec lui, mais il est hyper exigeant, c’est normal. Quand je dis qu’il est fou, c’est une folie raisonnée, mais si on ne l’arrête pas, il n’a aucune limite.
On a le sentiment qu’il n’est pas tellement en adéquation avec les codes du monde moderne, en matière de communication notamment, qu’il s’en affranchit facilement et se fiche pas mal de ce qu’on pourrait dire de lui. Qu’est-ce que ça dit du personnage?
Je confirme, on s’affranchit. Je me mets dans le lot, parce qu’on a le même âge, déjà. Et puis, je l’accompagne depuis un certain nombre d’années, j’ai vu tout ce qu’il s’est passé depuis les formules 40 jusqu’à aujourd’hui, en passant par le Figaro, l’ORMA… On a effectivement beaucoup de recul. Et c’est vrai qu’il s’affranchit de cela, parce qu’on a tous les deux une liberté de ton, on n’est pas contraint par des éléments de langage, c’est notre choix. On n’a pas de partenaires titres. On a deux partenaires qui nous aident beaucoup, ils savent très bien qu’on en a besoin, ils nous apprécient pour cela aussi. Jean et moi, on est pareil, si on a quelque chose à dire, on le dit. Si ça ne nous plait pas, ça ne nous plait pas. Ce n’est pas ça qui va nous empêcher de penser ce qu’on pense, et de dire ce qu’on a envie de dire. Cela ne veut pas dire qu’on ne respecte pas les gens, on respecte d’ailleurs tellement nos partenaires qu’ils nous permettent d’avoir cette liberté de ton. C’est tout à fait naturel. Il ne pense même plus à tout ça. Je pense que personne, encore moins aujourd’hui qu’hier, n’irait lui dire: "fais ceci, tu dis comme ci, tu t’habilles comme ça, va préparer tout ça." Personne n’oserait.
Cela ne lui a pas toujours profité, ça aurait même tendance à le desservir...
C’est évident, ça le dessert. Et ça continuera à le desservir, mais comme tous les gens qui parlent franchement. On s’expose, bien entendu. Ce n’est pas grave. On ne peut pas plaire à tout le monde. J’ai tendance à penser qu’on est toujours le con de quelqu’un. Cela pourrait faire peur à certains partenaires, mais je ne crois pas. On est toujours en relation avec les partenaires que Jean a eus. S’ils ne viennent pas nous sponsoriser, on a vraiment conservé de très bonnes relations avec eux.
Le "Roi Jean" est très superstitieux, paraît-il...
Ah, oui… (rires) Il y a pas mal de choses. L’animal à grandes oreilles (ndlr, le lapin, c’est l’ennemi des marins), ce n’est même pas la peine, ni d’en parler, ni d’en manger. Il les tolère dans notre jardin, c’est mignon. Il ne faut surtout pas mettre à l’eau un bateau un vendredi, jamais… Le chiffre entre 12 et 14, on ne le prononce pas non plus, et il n’existe pas sur le bateau, ni dans les avions d’ailleurs. Sur les sacs de nourriture, comme il y a quatorze sacs, je mets le 12, le 12 bis et le 14 (rires). L’autre fois, c’est une petite dame d’Angleterre qui lui avait envoyé quelque chose, une espèce de petite marionnette qu’on met sur les doigts, tricotée main par une petite dame de 90 ans. J’ai trouvé ça charmant, je voulais le lui mettre. Il me regarde et me dit: “mais t’as vu ce que c’est, c’est un chat noir” (rires) Je n’avais pas vu du tout ça, moi, je voyais le côté tout mignon de la petite dame de 90 ans. Et lui, putain, il voit un chat noir. Quand il construit des bateaux, il met une pièce d’or sous le mât. Neptune (ndlr, la coutume veut que le marin offre du vin à Neptune), ça, toujours… L’Equateur, c’est pas du folklore. Et puis il lui donne du bon vin en plus (rires).
Expliquez-nous cette histoire de peluches, ça fait beaucoup rire...
Ça commence en 2004, l’année du premier Vendée Globe de Jean. A l’époque, il n’y avait pas de chauffage sur les bateaux, parce qu’il n’y avait pas encore les hydrogénérateurs. Il avait mis en place un système sur son bateau pour avoir un peu chaud. Il avait pris un tuyau qu’il avait mis à la sortie du moteur ou de … je ne sais pas quoi exactement. Et ça le chauffait. Il appelait ça la "marsupi thérapie'', parce que ça lui faisait penser à la queue du Marsupilami. Il avait fait une ou deux petites vidéos là-dessus. Et à l’arrivée, Christophe Bonduelle, qui était le patron de Bonduelle, pendant la conférence de presse de l’arrivée, lui sort un énorme Marsupilami, qu’il a toujours à bord d’ailleurs. Du coup, ses filles lui ont offert une peluche, puis une deuxième offerte par un autre, etc … En 2008, l’école de Pouzauges avait confié une peluche qui s’appelait Léon le Hérisson pour qu’il fasse le tour avec. Les enfants étaient à fond. Il perd le bateau évidemment, donc peluches perdues. La première chose qu’on a faite à Ushuaia, c'est de foncer dans la rue principale pour trouver des peluches, des manchots, pour remplacer Léon. Les gens de l’école ont inventé une histoire extraordinaire pour les enfants, pour ne pas les choquer, en leur disant que Léon avait fomenté une mutinerie, qu’il était parti avec ceux qui étaient à bord. C’était super joli. Et voilà, ce n’est donc pas Jean qui a dit: "Je veux des peluches." On n’a pas le cœur de refuser, encore cette année. On a un Suisse qui nous envoie une vache, on ne peut pas dire non aux gens. Ça ne mange pas de pain et puis les enfants, ça les fait rêver. Il joue avec pour les enfants.
Comment suivez-vous la course, avec la peur au ventre?
Je n’ai jamais eu la peur au ventre. Enfin, si, j’ai eu la peur au ventre, mais c’était en multicoques, en Norma, pas en Imoca. Comment je suis ça? Comme d’habitude. Je sais que c’est dur en ce moment… J’adorerais suivre ça avec plus de recul, de distance, mais je ne peux pas, pour l’instant. J’ai dit que c’était le dernier pour moi, et qu’après, il ferait ce qu’il veut. Cela fait 18 ans qu’on baigne dans le Vendée Globe, c’est un peu pesant pour moi, j’ai envie de faire autre chose. C’est la dernière fois que je m’occupe autant de tout ça. On n’a pas beaucoup de budget, donc c’est l’entraide familiale, c’est toujours pareil. On est comme les artisans, nous. C’est pareil. C’est l’entreprise familiale avec le coup de main des enfants. On est une TPE.
Vous avez d’un commun accord décidé que ce serait comme ça à partir de maintenant?
Il sait que c’est pesant pour moi, mais en même temps, ça fait partie de notre manière d’être.
Pensez-vous qu’il puisse continuer encore longtemps?
(Elle s’esclaffe) Oh, je n’en sais rien… Avec lui, tout est possible! (rires) Cette fois-ci, ça s’est joué à l’arrivée du dernier, sur le bateau, quand Yann Eliès lui dit, alors qu’ils buvaient un coup tous les deux: "Alors, ça le fait non?" Et Jean de lui répondre: "Ouais, ça le fait". Yann lui dit: "Alors tu t’en refais un?". Et Jean lui rétorque: "Bah ouais !"
S’ils lui refont le coup à la fin de celui-là, il est reparti pour un tour...
Bah… (elle hésite) Je n’en sais rien… À l’origine, ce qu’on pensait faire, c’était plutôt d’accompagner un jeune projet. Jean ne pourra pas vendre ce bateau-là, le louer tel quel, ça ne marchera pas comme ça. S’il décide de partir, je ne le vois pas, ni vendre, ni louer ce bateau-là. Le but du jeu, c’est plutôt d’accompagner un jeune projet, skipper ou skippeuse, je ne sais pas. On n’a rien arrêté. On a déjà eu des propositions de la part de gens qui veulent acheter le bateau, et même louer en sec, il ne le fera pas. Je crois qu’il ne supporterait pas qu’on abîme son bateau. Il a encore quelques petites idées pour le rendre encore plus performant. On n’avait pas les sous pour changer la bôme, par exemple. Il y a encore quelques trucs à faire.