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Vendée Globe: bateau cassé en deux, signal perdu... le récit du sauvetage dantesque d'Escoffier

Récit des folles heures ayant suivi l'avarie brutale et rare du bateau de Kévin Escoffier, secouru dans des conditions dantesques par Jean Le Cam après avoir passé onze heures dans un radeau de survie sur le Vendée Globe.

Le panorama fait froid dans le dos: une mer démontée avec des creux de 4 à 5 mètres, un vent fort de 30 à 35 noeuds et... un bateau qui se casse en deux. Tout s'est passé très vite mais cela a aussi duré une éternité pour Kévin Escoffier, qui se souviendra toute sa vie de sa première participation au Vendée Globe. Le skipper PRB a finalement été secouru par Jean Le Cam dans la nuit de lundi à mardi après 11 heures angoissantes passées sur un radeau de survie. "Jean Le Cam a été merveilleux", s'est enthousiasmé Jacques Caraës, directeur de la course du Vendée Globe.

"Je coule, ce n'est pas une connerie!"

Tout a donc commencé mardi dans l'après-midi quand Kevin Escoffier a déclenché sa balise de détresse, correspondant à une demande d'aide prioritaire. Celle-ci a mis en alerte le CROSS Gris-Nez qui a prévenu le directeur de course avant que ce dernier ne demande à Jean Le Cam, le plus proche, de se dérouter.

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"Le team-manager de Kévin Escoffier a aussi reçu un message très rapide: 'je demande assistance, je coule, ce n'est pas une connerie', témoigne Jacques Caraës, directeur de la course du Vendée Globe. Ça s'est passé d'une façon hyper brutale, le bateau s'est cassé en deux, l'étrave (avant du bateau, ndlr) est montée à 90 degrés. Il a juste eu le temps de revêtir sa combinaison de survie et de se mettre à l'eau avec son bib, son fameux radeau de survie qui se gonfle automatiquement avec une balise de détresse sur le dos et une petite balise personnelle."

Le Cam trouve rapidement Escoffier, puis le perd de vue

Lors de ses premiers mots prononcés après son sauvetage, Escoffier a insisté sur la soudaineté des évènements. "Vous voyez les films sur les naufrages? C'était pareil mais en pire, compare-t-il. En quatre secondes, le bateau a planté, l'étrave s'est repliée à 90°. J'ai mis la tête dans le cockpit, j'ai eu le temps d'envoyer un texto et une vague a déréglé tout l'électronique. C'est un truc de barjot. Plier un bateau en deux! J'en ai fait mais celle-ci..."

"Le bateau a enfourné dans une mer formée, a encore précisé Jacques Caraës sur BFM TV. En rentrant dans une vague à grande vitesse, la structure s'est brisée en deux, l'eau est rentrée très rapidement. (...) Le bateau s'est cassé de manière incroyable. Se mettre à l'équerre en si peu de temps, c'est une avarie qu'on n'a pas l'habitude de voir. C'est difficile de donner un diagnostic précis. Il naviguait plutôt sur la réserve. Il n'était pas surtoilé, il avait deux ris dans la grand-voile, les foils étaient rentrés à 65%. C'était une navigation sereine avec des vitesses très fortes malgré tout."

Avant de se soucier des circonstances de cette avarie hors du commun, Jean Le Cam est, lui, passé par toutes les émotions au moment de porter secours au bateau PRB, qui lui avait sauvé la mise lors de l'édition 2008-2009. "J’arrive sur zone et puis nickel, je vois Kevin dans son radeau, a expliqué "Le Roi Jean" dans une vacation mardi. Comme j’ai sa position, je lui dis: 'je reviens, on ne va pas faire n'importe quoi'. J’avais deux ris dans la grand voile avec 30 nœuds, avec la mer qu’il y avait, ce n’était pas fastoche pour manoeuvrer. Je reviens là où j’avais quitté Kevin mais là, personne! Je suis revenu cinq ou six fois avec des virements de bord." 

Une lueur au milieu de la nuit

"Jean s'est dérouté avec beaucoup de maîtrise mais les conditions étaient trop viriles", confie Caraës. L'inquiétude monte, la direction de course demande alors à trois autres skippers de se dérouter pour quadriller les lieux à la recherche du radeau d'Escoffier, muni de nourriture et de six litres d'eau. Puis, l'espoir est revenu au milieu de la nuit. "Nous avons pu réorienter Jean Le Cam sur une nouvelle position", explique Jacques Caraës.

"A un moment, j’étais debout sur le pont et je vois un flash, explique Le Cam. C’était la lumière (du radeau) qui apparaissait dans un vague. Je me suis dit: 'c'est pas vrai!'. Je continue et je vois des apparitions, tu vois de plus en plus la lumière. Là, tu dis, c’est bon. Tu passes du désespoir à un truc de dingue. Je me suis mis au vent et je vois Kevin. Il m'a demandé: 'tu reviens?". J'ai dit: 'non, on le fait tout de suite'. Je lui ai balancé la bouée rouge et il arrive à l’avoir et on a réussi. Il a accroché la barre de transmission et c’était gagné, bonheur."

"Ils sont rentrés à l'intérieur l'un derrière l'autre avec un sourire radieux"

Sur terre, l'attente est interminable. Branchés par Skype sur la cabine de Jean Le Cam, les organisateurs ont attendu un signe pendant de longues minutes, de longues heures. Puis, "le dénouement merveilleux". "Je savais qu'il (Le Cam) était sur le pont, qu'il manoeuvrait, qu'il observait un maximum pour avoir la possibilité d'apercevoir quelque chose, une lueur, confie encore Caraës. Il y a eu des heures d'attente et finalement, ils sont rentrés à l'intérieur l'un derrière l'autre avec un sourire radieux. J'ai compris que l'histoire était radieuse, on n'a pas eu besoin de beaucoup se parler."

"On a bien bossé avec Jean", sourit Escoffier, très ému. Le skipper a même lâché quelques larmes en s'excusant auprès de Jean-Jacques Laurent, président de PRB, pour la perte de son Imoca, déjà victime d'une voie d'eau lors de la première semaine de course. "Je suis désolé pour le bateau, a-t-il confié. J'ai renforcé tout ce que j'ai pu. J'ai zéro regret, j'ai mis 200 kilos de carbone dans le bateau, j'ai tout renforcé de partout."

La suite des opérations est désormais à préciser mais Jean Le Cam, bien placé en course, verra son temps de sauvetage décompté. "En arrivant, je lui ai dit: 'je suis désolé, tu fais une course de barjot, je suis désolé de te niquer ton truc', a ajouté Escoffier. Il m'a dit: 'ben écoute, la dernière fois, c'était l'inverse, c'est PRB qui m'a récupéré'." Hilare derrière, Jean Le Cam s'amusait, lui, de la situation: "Il est tombé dans une bonne maison!" A bord, Kevin Escoffier ne pourra évidemment pas l'aider à manoeuvrer. Le Malouin attend désormais d'être déposé sur la terre ferme. Pendant que son bateau repose lui dans les tréfonds de l'océan Atlantique Sud au large du Cap de Bonne Espérance.

Nicolas Couet