
"Je ne pensais pas autant risquer ma vie", le témoignage d’Yvan Bourgnon après son défi dans l’Arctique

Yvan Bourgnon - (AFP)
Yvan Bourgnon est arrivé vendredi à Nuuk, la capitale du Groenland. Lessivé après un périple en solitaire de 70 jours et 7 500 km dans les eaux glaciales de l’océan Arctique, démarré le 13 juillet dernier depuis Nome (Alaska). Un défi que le navigateur suisse de 46 ans avait entrepris de lui-même pour interpeller sur le réchauffement climatique et observer la pollution des plastiques à la surface de l'océan.
Dimanche soir, Bourgnon est revenu sur cette incroyable épopée depuis Nuuk, dans l’émission Intégrale Sport, sur RMC.
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Son état physique actuel
"Ça va bien. Je ne sens plus mes doigts de pieds depuis que je suis arrivé. Je ne m’en suis pas rendu compte puisque, comme je n’avais pas enlevé ma combinaison depuis un mois, je n’avais pas vu que mes pieds s’étaient complètement engourdis avec le manque de circulation du sang et le froid. J’ai beaucoup de crevasses sur les mains, j’ai perdu 11 kg, mais c’était prévu. Je savais qu’avec ce défi, je n’allais pas revenir la fleur au fusil, dans un état impeccable."
Un défi "pas raisonnable du tout"
"Le défi devait durer 45 jours et, comme en montagne, plus ça dure, plus c’est compliqué. Le mois de septembre est un mois où les tempêtes reviennent, où la nuit revient, où les glaçons dérivent de plus en plus. Donc cela s’est vraiment compliqué durant le dernier mois car je n’avais pas du tout prévu de naviguer en septembre dans cette zone. Quand tu te retrouves en pleine nuit noire à surfer des vagues de quatre mètres de haut et que tu vois des glaçons passer un coup à gauche, un coup à droite, tu as parfois l’impression que c’est la roulette russe. Ce n’est pas raisonnable du tout. J’ai pris du retard car j’étais bloqué par les glaçons pendant trois semaines. Ensuite, j’ai pris le choix de continuer mais j’aurais aussi pu abandonner."
Des conditions météo "exécrables"
"C’est mon plus grand défi. C’est évident. Je ne pensais vraiment pas autant risquer ma vie dans un tel défi. Les conditions météo ont été vraiment exécrables et contre moi. Je suis bien conscient que j’ai une chance inouïe d’être sorti de là. Quand j’ai pris il y a une semaine 130 km/h de vent avec mon petit bateau de six mètres pas habitable, au ras de l’eau… Ce n’est juste pas normal que je sois sorti vivant de ce truc-là. Le problème, c’est que tu navigues toujours sur de l’eau à trois degrés. Tu n’es pas sur la terre ferme où tu peux aller te protéger dans une tente, mettre ton réchaud, etc. Là, la moindre défaillance, le moindre chavirage, le moindre problème et boum, c’est la morte certaine. Je n’avais pas le droit à l’erreur et dieu sait si je suis passé près de la correctionnelle plusieurs fois."
Plus dur que le tour du monde
"Ce qui était dur dans le tour du monde, c’était la durée, de réussir à rester concentré et à ne pas être défaillant pendant vingt mois. Mais, mine de rien, l’eau était à 25 degrés. J’étais sous les tropiques. Je pouvais chavirer, me retourner, tomber à l’eau. C’est arrivé plusieurs fois et il n’y avait pas de conséquences dramatiques. Là, je tombe à l’eau, j’ai le bateau qui se disloque, je chavire, je me fracasse sur la falaise et ça y est, il n’y a qu’une seule sanction, c’est la mort. Ça, je l’ai vécu 25 fois dans ce défi. Normalement, il y a très peu de tempêtes en été, dans l’océan Arctique. Et là, j’en ai eu sept. Il y a très peu de glaçons normalement au mois d’août et j’ai été bloqué trois semaines au milieu des glaçons. À quatre reprises, j’ai failli me faire broyer."
La peur
"J’ai eu peur pour la première fois de ma vie. Souvent, on me posait la question: ‘Est-ce que tu as peur en mer?’ Et je n’avais jamais eu ce sentiment. Là, par contre, j’ai compris ce que c’était que la peur et de naviguer avec le nœud dans le ventre. J’ai vraiment vécu la peur. (...) Put..., j’étais dans un état de tension énorme."
La vie en solitaire
"Quand tu navigues 8000 km pendant 70 jours et que tu ne vois pas un bonhomme, pas une antenne, pas une civilisation, pas une cabane, tu te dis qu’il n’y a que très peu d’endroits au monde où tu peux être vraiment dans la dureté de la nature aussi longtemps. J’en ai pris plein la vue avec les narvals, les bélugas, les baleines, les phoques. Ça a été exceptionnel. J’ai même eu droit à un ours polaire qui est monté sur le bateau. J’ai eu une frousse de dingue. Il était à trois mètres de moi. Il faisait trois mètres de haut (…) Par chance, il a fait marche arrière au bout de deux ou trois minutes. Deux heures après, j’avais encore les jambes qui tremblaient."
VIDEO: Le défi d'Yvan Bourgnon