
Tennis: Planque raconte les dessous de la victoire de la France en Coupe Davis 2017
"Bon, je peux le dire maintenant, il y a prescription…." A la 35e minute de l’entretien intime qu’il accorde à Antoine Benneteau (à écouter ici) – qu’il a entraîné un temps en 2013 – Emmanuel Planque est dans le lâcher prise. Il revient sur le moment où il a compris que Lucas Pouille était arrivé au bout d’un chemin.
"Lucas, il a gagné la coupe Davis. La victoire à Lille, chez lui à Lille dans un stade de foot plein à ras bord. Il a joué et gagné le dernier point et ça a été pour lui et pour moi une émotion extrêmement violente. Mais je crois qu’il n’a pas eu le temps de digérer. Pourtant, il joue bien en février 2018. Il gagne Montpellier, finale à Marseille et Dubaï. On arrive à Indian Wells et là je sens qu’il n’a plus rien à me donner. Je le dis au préparateur physique et à Olivier (Choupeau, l’ostéo). Il est râpé mentalement. Et la grande erreur, c’est que je ne l’évoque pas avec lui. Je crois qu’il a du mal à le me le dire parce qu’il sait qu’on va rompre notre pacte. Il tient un peu la route en coupe Davis (NDLR : il gagne ses simples en Italie) parce qu’il y a ses potes."
Mais l’abcès est crevé au cœur de l’été. "Il me le dit à Montréal (NDLR : il doit confondre avec Toronto), en août. On a une discussion dans un box de kiné. Je ferme la porte à clé et je lui dis: ‘’Maintenant, tu vas me parler’’. Là, il me dit qu’il est fatigué et presque déprimé, qu’il a besoin de temps." Le couple se sépare quelques mois plus tard.
Manu Planque a vite fait de rembobiner la bande. "L’automne 2017 a été trop coûteux, tranche-t-il. Lucas voulait garder sa place pour la finale. Il y avait Gaël… Il avait perdu son simple en demi-finale contre la Serbie (NDLR : face à Lajovic). Il n’était pas super légitime. Il avait fait énormément d’efforts. C’était trop."
Quant au week-end lillois, il est à la fois inoubliable et dingue. Parce que Yannick Noah a senti qu’il ne pourrait pas s’en sortir tour seul.
"Je crois qu’on n’avait jamais réussi à créer un état comme ça."
On n’a pas préparé le premier match ensemble contre David (NDLR : Défaite 7-5, 6-3, 6-2 contre Goffin dans le match 1), confie Manu Planque. Attention, aucun reproche à faire à Yannick Noah, je l’adore et il le sait. Malgré tout, à deux sets zéro, profitant d’un arrêt toilettes, le staff m'a demandé d’y aller alors que je n’avais pas le droit. Ce n’était pas prévu. Lucas me regardait, il y avait un juge de ligne à côté mais je n’avais pas le droit de parler. Bon, le gars a été conciliant. J’ai essayé de faire ce que je pouvais mais j’étais très mal à l’aise. J’étais très contrarié. Après le match, Lucas était très déçu car il avait le sentiment qu’il n’allait pas rejouer le dimanche (NDLR : l’option Richard Gasquet était tentante). Je l’ai attrapé après son match. Je lui ai dit : ‘’Jusqu’à samedi soir, dimanche, tu vas entendre que tu ne vas pas jouer mais moi je te garantis que c’est toi qui va jouer’’. J’ai regardé le match de double (remporté par Gasquet-Herbert). Le soir, Lucas m’a appelé et me dit que Yannick l’a appelé pour lui dire qu’il jouerait. Il voulait qu’on le prépare ensemble. Le dimanche, dès que le match de Jo-Wilfried Tsonga a débuté, il m’a envoyé un texto. Un agent de sécurité m’attendait devant le vestiaire. Bernard Montalvan, le doc, a été très élégant et est sorti du vestiaire. A un set un break pour Goffin, Lucas m’a dit: ‘’Je crois que je vais y aller’’. J’avais préparé le topo toute la nuit. J’avais une forme d’hyper conscience de la responsabilité de ce match. Je savais que s’il perdait, il avait le tatouage de loser au milieu du front toute sa vie. Et que le jour où il irait chercher un pain de chocolat à la boulangerie, ça chuchoterait derrière: ‘’C’est Lucas Pouille, le type qui a perdu contre Steve Darcis…" Je voulais vraiment éviter ça.
Manu Planque raconte l’échange, subtil. "Je lui dis: si on est dénué d’émotion pendant deux heures, il ne se passera rien. Si tu te laisses engluer, si tu quittes le jeu pour aller dans l’émotion, ça va devenir pénible. Dans ce cas, on jette une pièce dans l’air. Il était d’accord avec ça." Il était prêt à renter dans l’arène et le Nordiste n’a fait qu’une bouchée du numéro deux belge. "Lucas était dans un état absolument incroyable. Je crois qu’on n’avait jamais réussi à créer un état comme ça. Il savait ce qu’il devait faire. On l’avait vu, on avait un temps d’avance."
Lors de l’Open d’Australie 2019, où il avait atteint les demi-finales, Lucas Pouille avait évoqué l’état de burn-out dans lequel il s’était retrouvé. Opéré du coude en juillet dernier, il prépare pour attaquer la saison 2021. Grâce au classement gelé, il est encore 69e mondial.