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Tennis: au-delà d'une légende, la trace immense laissée par Roger Federer

Vingt titres du Grand Chelem, une rivalité historique avec Nadal, des retours au premier plan inattendus : en 24 ans et plus de 1500 matchs sur le circuit professionnel, Roger Federer a marqué le tennis au-delà du raisonnable.

Il y a les légendes et il y a ceux qui sont au-delà de ça. Ceux qui ne font partie d’aucune catégorie, ou bien d’une qu’on ne saurait nommer. Des pourvoyeurs d’émotions au statut qui dépasse l’entendement, des génies qui culminent au sommet de leur sport, de leur art, accompagnés tout au plus d’un ou deux compères. Des mythes qui marquent ceux qui grandissent avec eux, mais aussi ceux qui naissent après leur retraite, parce que les récits qui se transmettent les font perdurer à jamais. Roger Federer, qui a annoncé sa future retraite à 41 ans, est de ceux-là.

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Le monde entier savait que cette nouvelle tomberait dans un futur plutôt proche, mais c’est comme si personne n’avait réellement voulu l’imaginer. Roger tirera sa révérence à la Laver Cup, la semaine prochaine, à Londres. Pour rappeler à tous, une dernière fois, l’élégance qui accompagnait son jeu et qui le caractérisera sans doute pour toujours. Dès ses premières grandes victoires, le Suisse a endossé ce costume du joueur classe, gracieux sur le court et gentleman en dehors, une image qu’il n’a presque jamais écornée.

Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est à Wimbledon, le tournoi de l'élégance, qu’il a écrit les plus belles pages de son histoire. C'est là-bas qu’il a gagné son premier titre du Grand Chelem, en 2003, à seulement 22 ans, le début d’un règne de cinq ans qui avait fait de lui l’égal de Björn Borg. Là-bas aussi qu’il avait signé un retour tonitruant, en 2012, pour regagner un Majeur après deux ans et demi de disette et redevenir au passage numéro un mondial. C’est là-bas également qu’il aura disputé sa dernière finale de Grand Chelem, perdue contre Novak Djokovic en 2019, au terme d’un match de 4h55 et malgré deux balles de match sur son service.

Peut-être même que Roger Federer a joué sur le gazon londonien le plus beau match de sa carrière, lors de la finale de 2008 contre Rafael Nadal. Paradoxalement un match perdu par le Suisse, et l’un des sommets de sa rivalité avec l’Espagnol, qui aura sublimé sa carrière. "Rodgeur" n’aurait pas été ce qu’il est s’il n’avait pas eu "Rafa" en face de lui, même si le Majorquin l’a privé d’une flopée de titres. A Roland-Garros, surtout, où la rivalité n’a jamais vraiment été d’actualité.

"Sans jamais entendre que je n’ai pas gagné Roland-Garros"

Sur la terre battue parisienne, Federer a systématiquement buté sur Nadal, connaissant sa plus grosse humiliation en 2008, balayé en seulement 1h45 en finale. Ce jour-là, le Suisse n’avait inscrit que quatre petits jeux, se demandant si un jour il pourrait accrocher le seul titre du Grand Chelem qui lui manquait après quatre revers de suite contre l’Espagnol. La délivrance est finalement arrivée un an plus tard, face à Robin Söderling en finale.

C’était le titre indispensable à Roger Federer. Ne jamais trouver l’ouverture à Roland-Garros aurait été une tâche immense, alors tant pis si le Suisse s’y est imposé sans battre Rafael Nadal. Son jeu n’était de toute façon pas fait pour battre l’Espagnol sur cette surface. Son revers à une main, fantasmé mais finalement moins bon que son coup droit, était un point faible trop criant face au coup droit lifté de son adversaire. Federer a dû s’y résoudre. L’essentiel n’était pas de gagner Roland face à Nadal, mais seulement de gagner Roland.

"C’est peut-être ma plus grande victoire, et certainement celle qui m’enlève le plus de pression, avait expliqué "Fed" après sa victoire face à Söderling. Je pense qu’à partir de maintenant et jusqu’à la fin de ma carrière, je vais pouvoir jouer avec l’esprit tranquille, sans jamais entendre que je n’ai pas gagné Roland-Garros."

En terme de titres en Majeurs, Roger Federer ne sera jamais le plus grand, puisqu’il est déjà devancé par Rafael Nadal et Novak Djokovic. Mais il est celui qui a ouvert la porte à ce que l’on pensait impossible. Avant lui, le record de titres du Grand Chelem était fixé à 14. Désormais, ils sont trois au-delà des 20 et il a été le pionnier, le premier à franchir cette barre symbolique. Pendant longtemps, on a pourtant pensé qu’il s’arrêterait à 17, mais en 2017 et 2018, il a signé un retour improbable pour aller ajouter trois Majeurs à son palmarès.

Le meilleur coup droit et la meilleure volée

Son 18e titre, à l’Open d’Australie 2017, avait marqué la fin d’une traversée du désert longue de cinq ans. Malgré ses 35 printemps, il y avait dominé en finale Rafael Nadal, forcément, au bout d’un match époustouflant en cinq sets. En faisant du Federer : aérien, volleyeur impitoyable et toujours aussi élégant sur le court. Six mois plus tôt, le Suisse avait pourtant dû stopper sa saison à cause d’un genou abîmé, déjà. Après son retour, on le pensait alors éternel.

Il ne l’était finalement pas, même si en 2018, le New York Times avançait encore que "Rodgeur" avait le meilleur coup droit du circuit, et la meilleure volée parmi les joueurs de simple. Le résultat d’un sondage d’envergure réalisé auprès d’acteurs du tennis. Ces coups de référence, comme le SABR (Sneak Attack By Roger), un retour de service hyper-audacieux en demi-volée, resteront dans l'histoire. Avant Federer, personne n’avait osé avancer ainsi dans le court pour retourner les meilleurs serveurs du circuit.

Il restera aussi quelques records, ceux que n’ont pas encore chipé ses deux rivaux : ses 237 semaines consécutives à la place de numéro un mondial, entre février 2004 et août 2008, ou ses six titres au Masters, à portée de fusil de Djokovic.

Plus que les titres du Grand Chelem, quand on parle de Roger Federer, c’est justement tout le reste qui restera sans doute davantage. Les records et le style. L’élégance, la pureté, la classe, dans une opposition un peu trop primaire, parfois, à la force et à la résistance de Rafael Nadal et Novak Djokovic. Le Suisse a placé tellement haut l’esthétisme au service du jeu qu’il en est devenu le porte-étendard. Il y a eu un avant et un après l’avènement de Roger Federer.

Il y aura aussi un avant et un après sa retraite, même s’il y a un moment, déjà, que le Suisse n’est plus un habitué des courts. "Je ne pense pas avoir besoin du tennis", disait Roger Federer il y a quelques mois, lorsqu’il était interrogé sur sa vie d’après. Mais le tennis, lui, avait besoin de lui.

Robin Wattraint Journaliste RMC Sport