
UFC: Ciryl Gane, l’invaincu qui n’a pas peur de la défaite
La conversation voit vite les rôles s’inverser. Invité du RMC Fighter Club avant son choc contre Alexander Volkov fin juin, Ciryl Gane se fait brancher sur l’éventualité d’une défaite, territoire pour l’instant inconnu dans sa carrière en MMA (9-0 depuis la victoire sur le Russe). Consultant de l’émission de RMC Sport consacrée aux sports de combat, et partenaire de salle d’entraînement du poids lourd au MMA Factory, Taylor Lapilus veut vite repousser les mauvaises ondes: "Viens on change de sujet. Je n’ai pas peur mais je n’aime pas ces discussions."
Toujours décontracté, tout sauf du paraître quand on le connaît, Gane rassure son pote: "Je n’ai absolument pas peur de la défaite. Je n’ai absolument pas peur de recevoir un KO. On s’en bat les… Très sincèrement, je n’ai aucun problème avec ça. Pourquoi, tu as peur pour moi frangin? N’aie pas peur si demain je dors quelques secondes. On est des combattants. C’est quelque chose qui fait partie de notre métier. Il faut être au courant que ça peut arriver." Ciryl Gane, qui peut devenir le premier Français à conquérir une ceinture de l'UFC s'il bat l'Américain Derrick Lewis pour le titre intérimaire des lourds ce samedi soir à Houston en "main event" de l'UFC 265, flirte avec les sommets du MMA trois ans après ses débuts professionnels. Mais c’est son entourage qui trinque. Son entourage qu’il faut apaiser.
"Voilà le quotidien de ma vie, sourit Fernand Lopez, son coach au MMA Factory, à l’évocation de la chose. Il le sent, même. Par exemple, quand la vidéo de promo du combat contre Volkov était sortie, je la regarde et je fais: 'Wow'. Il me connaît, il sait que ça veut dire que je suis stressé, que je viens de prendre un coup de flip car tu te rends compte qu’on y est et que ça va frapper fort. Mais il me tape sur l’épaule et me dit: 'Ne t’inquiète pas le 'King', ça va bien se passer'. Il prend soin de nous, de moi. Il me répète souvent: 'Je suis confiant, et si demain je venais à perdre, ce n’est pas grave. Même si ça s’arrêtait là aujourd’hui, que je ne pouvais plus faire de MMA, je resterais ton petit frère, ton ami, j’aurais fait une belle aventure et il n’y aura aucun problème.'"
"J'ai l'impression que c'est rien"
Le détachement fait la force de "Bon Gamin". Le même qui l’empêche de s'emballer quand Lopez lui apprend avant le combat contre Volkov qu'il affrontera Lewis pour une ceinture s'il bat le Russe. "Quand Fernand m'a dit qu'il lui avait dit, je me suis dit qu'ils étaient fous, sourit Taylor Lapilus. Mais ça ne l'a pas perturbé. Il a juste fait son truc." "Je n'y pensais même pas, confirme l'intéressé dans une nouvelle interview long format accordée au RMC Fighter Club avant Lewis. Je pensais juste à faire mon combat, à mettre en place ce qu'on avait dit."
Le même détachement, aussi, qui l'empêche de vraiment réaliser combien disputer un combat pour une ceinture UFC quasi pile trois ans après son premier combat pro est une dinguerie. "La pression, c’est dans la bière, sourit-il. Quand j’entends des compliments et des choses comme ça sur moi, ça me fait juste sourire. Ça me fait drôle car je suis arrivé hier, entre guillemets, et là je suis troisième mondial. J’ai l’impression que c'est rien, que c’est normal. C’est bizarre comme sensation. Je ne me dis pas: 'Wow, ça me met la pression' ou 'Vous êtes sérieux les gars?' Je me dis juste que c’est possible." Comment ne pas y croire quand on a son passé?
Ciryl Gane n’est pas seulement invaincu en MMA. Dans le muay-thaï, sa première rencontre dans les sports de combat, ce striker haut de gamme n’a jamais connu la défaite non plus: 13-0, dont quelques beaux noms au palmarès comme le Français Brice Guidon ou le Belge Yassine Boughanem, actuel champion du monde WKN et ancien champion WBC et WPMF. On va finir par croire que ses équipes de foot et de basket, les deux sports où il brillait dans sa jeunesse vendéenne, traversaient leurs saisons sans le moindre revers… Le garçon pratique désormais un sport où traverser une carrière sans défaite est un rêve quasi inatteignable (bravo Khabib).
Si elle arrive, quand elle arrive, il faut surtout savoir la gérer. "Il a autour de lui cette aura d’invincibilité qui le transforme en super-héros, analyse Taylor Lapilus. Quand tu es invaincu, tu te dis que tu peux affronter n’importe qui. Mais quand tu commences à perdre, tu réalises que tu es un homme comme les autres, que tu peux saigner. La question, c’est comment tu réagis à ça… quand tu penses que ça ne peut pas arriver. Mais là, on est face à un mec qui sait que ça peut arriver. C’est pour ça que je ne suis pas inquiet. Il a anticipé le fait que ça puisse arriver."
Fernand Lopez raconte encore comment son poulain le rassure sur ce plan. La situation a ses avantages, dixit le coach-manager: "Il y a une positivité par rapport à la performance, car ça lui fait du bien dans la tête de savoir qu’il ne s’est pas trompé jusque-ici. Et une grosse positivité par rapport à l’aspect management parce qu’on a pu avancer vite vers une ceinture." Elle a aussi ses inconvénients. "Le public et les médias répètent ‘l’invaincu, l’invaincu, l’invaincu’, c’est un poids psychologique, estime John Dovi, manager de l’équipe de France olympique qui a permis il y a quelques semaines à Gane de sparrer avec Mourad Aliev, sorti sur une injustice dans le tournoi des super-lourds à Tokyo. Si un combat est serré mais qu’il gagne, il peut commencer à se dire: 'Ohlalala, c’était chaud'. Pas dans le sens où le combat était dur mais car il a failli perdre cette invincibilité. J’ai gagné et je n’ai pas perdu sont deux phrases différentes. Il ne faut pas rentrer dans cette peur de perdre."
"On a tous des jours difficiles, pas Ciryl"
Son insouciance lui permet de l’éviter. Elle fait dire à ses proches qu’il serait plutôt du genre à rebondir qu’à s’enterrer en cas de coup d’arrêt. Car il l’a déjà fait. Loin des lumières et des caméras. "Il a beaucoup de défaites à la salle, raconte Fernand Lopez. Je le mets en difficulté, en dette d’oxygène. J’essaie de créer ces situations très tendues, ce moment où il est quasiment mort qu’il n’a pas encore connu en combat. Je mets Nassourdine Imavov, Paulin Begai et Alan Baudot sur lui, ils font chacun cinq minutes, Ciryl est dans le rouge et il se prend une soumission ou un knockdown. Alan Baudot l’a déjà mis knockdown à la salle, un coup propre, boum, il est tombé. Il y a des gens qui auraient pété un plomb, qui se seraient énervés, mais lui est là, il s’assoit, il réfléchit. Il rentre chez lui, il y a une journée de silence ensuite il m’écrit: 'J’ai bien retenu ce que tu m’as dit, j’étais fatigué, j’ai fait tel mouvement et j’ai donné ma tête'. Il te résume tout ce qui s’est passé et il s’adapte. Tu comprends que c’est comme ça qu’un mec doit réagir à la défaite."
Il faut s’y mettre à trois pour bouger le grand musclé. Mais d’homme à homme, c’est plus compliqué. "Je ne l’ai jamais vraiment vu en galère ou se faire rouler dessus à salle, comme ça avait pu arriver à Francis Ngannou, se souvient Taylor Lapilus. Il a galéré au sol au début, c’est normal, mais je n’ai pas le souvenir de le voir se faire nettoyer. On a tous des jours un peu difficiles. Je n’ai pas ce jour-là en tête pour Ciryl." Même face au futur champion. "Les premières séances avec Francis Ngannou, par exemple, c’était un peu comme son combat contre Jairzinho Rozenstruik, poursuit notre consultant. Il s’est mis à danser, à bouger. Il n’a pas forcément pu être dominant sur lui. Mais par contre, il a complétement annulé le danger. L’autre mettait des coups dans le vide alors que je pensais qu’il allait lui arracher la tête."

"Jusqu’ici, il n’y a pas de problème qu’il n’ait pas su résoudre en un-contre-un, confirme Fernand Lopez. Ça n’existe pas. On a fait venir un Slovaque, Tomas Mozny, qui combat au GLORY. C’est un monstre du pieds-poings, qui fait 2,03 mètres. Au début, Ciryl a pris un knockdown avec un high kick venu de nulle part car le mec a une jambe folle, c’est un magicien. Mais au bout de deux sparring, le mec pouvait bombarder autant de high kicks qu’il voulait, ça ne passait pas, car il avait trouvé la solution d’enrouler son menton autour de son épaule. Ciryl a trouvé tout seul, ce n’est pas moi qui lui ai montré. Et après, il pouvait allumer sans que le mec ne le mette en danger." Idem contre un autre sparring, serbe cette fois-ci. "Tu vois le premier round et tu te dis qu’il est vraiment fort, raconte Taylor Lapilus. Mais plus ça va, plus le mec perd pied. Il ne fait plus rien, il est en galère. Et si tu reviens au troisième round, tu te dis que le gars que tu as vu a disparu."
"Le Serbe est un monstre, complète le patron du MMA Factory. Je l’ai d’ailleurs signé en management et je vais le passer en MMA. Il m’a descendu trois gars à la salle, trois poids lourds couchés sur un high kick, inconscients. Mais Ciryl a su s’adapter, le gérer calmement. Le mec ne savait pas comment se déplacer, il n’avait pas de solutions, car Ciryl anticipe tout. Une fois que tu lui as mis le high kick, il va piétiner ta cuisse avant même qu’elle ne quitte le sol." Une technique travaillée encore et encore, comme tout. "On fait des thèmes où le mec est devant lui et va essayer de lever sa jambe, et Ciryl doit anticiper et stopper sa jambe avec un Oblique Kick", explique Fernand Lopez.
Pour l’instant, la formule est toujours payante. Mais il faudra faire attention. Avec ce combat contre Lewis pour le titre intérimaire, le combattant français rentre dans le très, très sérieux. Où il faudra cogner fort et ne laisser aucune place à l’adversaire. Sa gentillesse, marque de fabrique personnelle, ne l’aidera pas sur ce plan. "Cela pourrait lui jouer des tours par rapport au règlement, explique Fernand Lopez. Quand il s’arrête car Jairzinho dit qu’il a mal à l’œil ou qu’il a pris un coup dans les parties, ce n’est pas normal. Je pète un plomb et je lui dis: 'Tant que l’arbitre n’a pas annoncé que ton adversaire était blessé, ne t’arrête pas et ne lui tape pas dans la main'. Ce sont des réflexes que j’ai envie de lui faire sauter car s’il tombe sur quelqu’un de vicieux ou de malhonnête, le gars peut profiter de la gentillesse de Ciryl qui lui tend la main car il veut s’enquérir de sa santé pour lui mettre un mauvais coup et c’est la fin du combat."
"Son style de boxe est lié à sa psychologie, à sa personnalité, analyse John Dovi. Un Ngannou, avec son histoire, son vécu, ça le rend dur. Ciryl, c’est un bon gars, il veut être technique, beau gosse, bien sur les jambes. Est-ce qu’il y a cette notion de méchanceté, de poser les appuis pour faire mal? Ça se développe par des mises de gants, du travail, par les coups qu’il va prendre et qu’il va vouloir rendre. Avant l’aspect technique, c’est l’aspect psychologique: il faut qu’il soit prêt à le faire." En trois ans, Ciryl Gane est passé de débutant en MMA à un combat pour une ceinture à l'UFC. Il avoue qu’il n’y a plus une jounée sans qu’on l’interpelle dans la rue pour prendre une photo ou autre.
"Il y a des caméras, je ne vais pas l'embêter"
Beaucoup se seraient perdus dans une célébrité grandissante. Lui reste le même, constat partagé par tous ses proches. "Il est toujours pareil, disponible, il délire avec les mecs, constate Taylor Lapilus. Rien n’a bougé, c’est toujours le même mec qu’on a connu dès le départ. Mais maintenant, quand il va voir son conseiller bancaire, il est accueilli différemment. On ne l’appelle plus pour le découvert. Plus sérieusement, il y a beaucoup de gens qui ont changé pour moins que ça. Vraiment. Mais il y a un noyau très fort autour de Ciryl, ses amis, sa famille. Ils ont une vraie connexion avec sa frangine, ses frères, ou même avec ses parents. Ils font souvent des trucs ensemble même s’ils habitent loin. Ce noyau dur fait que le mec garde les pieds sur terre. Car au moment où il a envie de sentir sa tête gonfler, quelqu’un va lui dire direct: 'Non mais t’es dingue ou quoi? Qu’est-ce que tu racontes?'"
Et l’intéressé d’appuyer: "Les enjeux ne sont plus les mêmes mais on sera toujours dans cette décontraction". Qui tourne parfois à la caricature. "Une fois, il s’est fait casser le nez par Slim Trabelsi, un de nos poids lourds, un tueur à gage de la lutte qui peut faire tomber n’importe qui, se souvient Fernand Lopez. Slim le piège pour qu’il se déplace et lui envoie un gros revers dans la bouche. Il s’est excusé d’avoir été trop gentil. Slim a une mission: faire tomber Ciryl. Et le seul moyen de lutter contre ça, c’est de piquer et de faire mal à Slim. Mais comme Ciryl est gentil et qu’il ne veut pas lui faire mal, il prend des mauvais coups. Je lui ai dit qu’il fallait qu’il se protège aussi. Il m’a senti un peu exaspéré et a reconnu son erreur. Et le coup d’après, il se réadapte. En gros, au moment où Slim voulait l’amener au sol, il aurait pu lui mettre un coup de genou au sternum mais il a arrêté le genou pour ne pas lui faire mal, au risque de prendre une mauvaise pèche, ce qui est arrivé. Mais il va trouver une autre parade, différente, qui fait moins mal à Slim mais qui permet qu’il ne se fasse pas mal non plus."
Autre anecdote, toujours signée du "King" Lopez, pour mieux comprendre cette facette du bonhomme: "Quand on s’est entraîné avec Mourad Aliev, la Fédération française de boxe avait envoyé des caméras pour filmer Mourad pour un documentaire. Entre les deux premiers rounds, je lui dis: 'Tu fais quoi Ciryl? Tu sais bien que tu le laisses faire.' Et il m’a répondu: 'Il y a des caméras, je ne vais pas l’embêter, c’est son jour!' Et quand il s’entraîne avec des sparring de la salle, si j’ai le malheur qu’il y ait des spectateurs, des jeunes du MMA Factory qui sont restés, il va tout faire pour être en-dessous de l’autre et ne pas le mettre en difficulté. Je suis obligé de l’isoler pour avoir le meilleur de Ciryl car s’il y a des gens, il ne veut pas mettre l’autre mal à l’aise, que son partenaire pense qu’il en fait trop parce qu’il y a les caméras."
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Avec Gane, Lopez n’a "pas répété les mêmes erreurs" qu’avec Ngannou. Ce dernier trouvait que "la préparation mentale était un truc pour les faibles"? Coach Fernand a imposé dès le départ un préparateur mental dans le staff du "Bon Gamin", bien plus réceptif à la chose. "Il n’a pas arrêté, il continue de renforcer son mental comme il renforce ses muscles, complète le patron du MMA Factory. L’idée est de construire cette arrivée et d’embrasser la célébrité, la pression des lumières et des paillettes quand tout cela va arriver."
On n’en est plus très loin. On y est même un peu déjà. Mais la machine Gane n’est pas encore un produit fini: "A l’entraînement, j’ai déjà été confronté à de l’adversité, en tout cas plus qu’en combat, où personne ne m’a encore réellement embêté. C’est pour ça que j’ai l’impression de ne pas me connaître. J’ai encore une grosse marge de progression." Taylor Lapilus rebondit: "Tu regardes son combat contre Rozenstruik, tu ne sais même pas si Jairzinho est fort ou pas tant il l’a maîtrisé." Et Gane de répondre dans un sourire: "Tu te dis qu’il est nul… Ça a tout le temps été comme ça dans ma carrière." Si ça continue, "Bon Gamin" reviendra à Paris avec une belle ceinture autour de la taille. Et celle de Francis Ngannou dans le viseur.