
UFC 247: Jon Jones, fini les conneries?
Il avait presque senti la chose à l’avance. Sans pouvoir l'éviter. Mars 2011. Jon Jones va devenir à vingt-trois ans le plus jeune champion de l'histoire de l'UFC en détrônant le Brésilien Mauricio "Shogun" Rua pour le titre des lourds-légers. Devant les caméras de la grande organisation de combats de MMA, "Bones" la joue philosophe: "Je ne veux jamais rien faire qui fasse de mal à l'image de notre sport. Comment je vais réagir si je deviens champion? Cela va être un test pour savoir qui je suis vraiment." S’il s’est révélé concluant dans l’Octogone, difficile d’en dire autant sur l’extra-sportif. "Il est son propre pire ennemi", expliquait Arthur Jones, son père, en juillet 2017 dans la bande-annonce de l’UFC 214, cadre de ses retrouvailles avec son grand rival Daniel Cormier.
"J'ai besoin de récupérer ma vie", confirmait-il sur ces images. La vidéo était intitulée Domptez Vos Démons. Elle le résumait bien. Pour beaucoup, le double champion des lourds-légers (25-1, 1 NC), deuxième règne en cours, est le meilleur combattant de l’histoire de l’UFC. Pour d’autres, il ne pourra plus prétendre au trône. Trop de tâches sur le parcours. Depuis une grosse année, c’est pourtant un nouveau Jon Jones qui apparaît. Trois combats (pour trois victoires) depuis fin décembre 2018, belle activité poussant sa série sans défaite record à dix-sept combats, et un quatrième à venir ce samedi à Houston face à l’invaincu Dominick Reyes (12-0) lors de l’UFC 247. Mais surtout aucune controverse.
"Un gâchis terrible"
L’âge de la maturité, enfin, à trente-deux ans? "J’ai l’impression que la tempête est derrière moi, estime-t-il au micro du journaliste Ariel Helwani pour ESPN. Le voyage a été intéressant et j’ai beaucoup appris. Je suis reconnaissant que Dieu m’ait permis de grandir à travers tout ça. Je pense que mes meilleurs jours sont devant moi. J’ai l’impression de commencer seulement à bien comprendre ce que ça veut dire d’être un père, un athlète professionnel et une personne avec beaucoup de responsabilités." Comme s’il avait eu une révélation. "J’avais l’impression d’être à un point où je jetais trop de talent par la fenêtre et c’est un gâchis terrible, poursuit-il. Désormais, je me sens plus responsable de mes actions, de mes émotions et de mon comportement."

On partait pourtant de loin. Jon Jones ou la spirale infernale. A la base, le garçon avait tout pour plaire. Un combattant unique, créatif. Des coups sortis de nulle part, des angles improbables. Le meilleur de tous et de l'histoire, disait-on souvent. Difficile d'argumenter contre. Après Rua, les grands noms écartés sur son chemin se ramassaient à la pelle : Quinton Jackson, Lyoto Machida, Rashad Evans, Vitor Belfort, Chael Sonnen, Alexander Gustafsson, Glover Teixeira et Daniel Cormier. Peu l'ont embêté, un seul, Gustafsson, l'a fait vaciller. Supérieur, tout simplement.
Sur le chemin de la légende, le parcours sportif se nimbait du rôle de bon garçon. Fils d'un assistant pasteur d'Endicott, dans l'Etat de New York, et d'une mère elle aussi active à l'église et qui s'occupait de déficients mentaux (décédée en 2017), Jones cite la Bible dans ses tweets, poitrine tatouée d'un de ses versets. Gendre idéal. Et parfait aimant à sponsors. Mais le temps a écrit un "mais". Plusieurs. Au point de voir Dana White, patron exécutif de l’UFC, expliquer qu’on aurait pu faire un super 30 for 30 (la série de la chaîne ESPN qui s’intéresse notamment aux parcours torturés des champions) avec lui... ce que l’intéressé avait confirmé. La façade s'est écroulée pierre après pierre.
"Vous êtes un putain de menteur"
Le mur puritain s'ébrèche en mai 2012, quand sa Bentley termine dans un poteau de ligne téléphonique à Binghamton (New York). Arrêté pour conduite en état d'ivresse, il écope de 1000 dollars d'amende et doit suivre une cure. Deux ans et demi plus tard, en décembre 2014, c'est un contrôle positif qui l'ébranle, à la cocaïne et hors compétition, résultat révélé peu après sa victoire sur décision unanime sur Cormier à l'UFC 182 en janvier 2015 et qui l'obligera à se rendre en clinique de désintoxication. Quelques semaines plus tard, en avril 2015, il grille un feu rouge au volant d'un SUV Buick de location. La collision implique trois voitures dont celle d'une femme enceinte, qui se casse le bras sur le coup. Jones fuit la scène à pied avant de revenir dans sa voiture pour, selon des témoins, y ramasser du cash avant de repartir. Il avouera lui-même qu'il y cherchait sa "pipe de marijuana", dénichée par la police avec un peu d'herbe.
Il se retrouve sous période probatoire et doit effectuer des travaux d’intérêt général. Côté UFC, sa ceinture lui est retirée, une suspension indéterminée infligée. Cormier prend sa place lors du combat principal de l'UFC 187 en mai 2015, contre Anthony Johnson, et remporte le titre des lourds-légers. La descente aux enfers continue. En mars 2016, alors qu'il a déjà été pris pour conduite sans permis et avec défaut d'assurance en janvier, Jones est arrêté au volant de Chevrolet Corvette à Albuquerque (Nouveau-Mexique), là où il vit et s'entraîne à la célèbre Jackson Wink MMA Academy. Le policier lui reproche d'avoir montré l'intention de vouloir faire la course avec sa voiture en faisant du bruit avec son moteur à un feu. Jones s'en défend avec véhémence, affirmant faire cela pour un fan. Problème? La scène est filmée par les autorités qui vont dévoiler la vidéo. Où l'on peut l'entendre dire à un représentant des forces de l'ordre: "Vous êtes un putain de menteur. (...) Un porc."
Des "pilules pour la b..."
L'incident brise sa période probatoire de dix-huit mois conséquence de l'accident d'avril 2015. Outre soixante nouvelles heures de travaux d’intérêt général, il passe trois jours au Metropolitan Detention Center du Comté de Bernalillo (Nouveau-Mexique). "C'était une expérience terrible qui m'a fait comprendre que je considérais trop ma vie comme acquise", confiait-il en 2017 à Bleacher Report. Il n'en a pas pour autant fini avec son exploration du côté obscur. Il revient en battant Ovince St. Preux pour la ceinture intérimaire. Dans la foulée, alors qu'il doit affronter Cormier à l'UFC 200 pour désigner le champion unifié, c'est un contrôle positif à deux substances interdites (clomiphène et létrozole) qui fait dérailler le train. Il expliquera avoir pris du tadalafil, molécule contre le dysfonctionnement érectile. Des "pilules pour la b...", lâche-t-il sans fard lors de son audition.
Suffisant pour convaincre qu'il n'avait pas sciemment pris une substance interdite et éviter une sanction trop lourde. Mais son imprudence lui vaudra une nouvelle année de suspension. La coupe est pleine. Dana White, patron exécutif de l'UFC, promet qu'on "ne le reverra jamais plus dans le combat principal". Chaque fois, Jones a promis de changer. Chaque fois, il a replongé, junkie de la controverse. Et ce n’est pas fini. De retour dans l’Octogone en juillet 2017 pour retrouver Cormier, il le met KO et récupère ce qu’il considère comme sa ceinture. Mais un mois plus tard, l’USADA (agence antidopage américaine) rend public son contrôle positif à un stéroïde, le turinabol, la veille du combat. Sa victoire devient un "no contest" et le titre lui est retiré, rendu à Cormier. Il écope également de quinze mois de suspension, peine d’abord plus haute (on parlait de deux à quatre ans) mais réduite pour avoir "aidé" l’USADA dans sa bataille contre le dopage (il promet n'avoir balancé personne).
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De retour pour affronter Gustafsson pour le titre des lourds-légers (abandonné par Cormier) à l’UFC 232 en décembre 2018, on se dit que la chose n’arrivera plus. Raté. A quelques jours de l’événement, l’USADA annonce avoir trouvé une "trace" de turinabol – 60 picogrammes par millilitre contre 80 en juillet 2017 – lors d’un contrôle. Les experts de l’USADA concluent que ces traces sont un résidu de ce qui avait été trouvé dans son corps en 2017, ce qui arrange bien ses affaires et celles de l’UFC, et le combat a lieu. Avec un hic: l’UFC doit relocaliser son événement, quelques jours avant, de Las Vegas à Los Angeles, la commission athlétique du Nevada refusant de donner une licence à Jones avant d’avoir entendu ses explications.
"Je devais réapprendre à m'aimer"
Vous avez dit trop c’est trop? L’intéressé n’en a cure. En juillet 2017, il tentait pourtant encore de donner le change. "Je veux être invisible pour les radars, insistait-il auprès de Bleacher Report. Gagner et éviter les problèmes: voilà pourquoi j'aimerais qu'on se souvienne de moi désormais." Mais un an et demi plus tard, plus rien à secouer. Le garçon s’assumait enfin. Côté lumière comme côté ombre. "Je voulais représenter une certaine image pour les autres, avouait-il alors à Ariel Helwani. Mais je suis revenu au fait de ne pas me soucier d’être quelqu’un pour quelqu’un d’autre. Je préfère me concentrer sur mon propre salut."
Entre-temps, à l’été 2018, il s’était rendu pour trente jours dans un institut spécialisé dans la désintoxication et la gestion des traumatismes en Floride. "Je devais réapprendre à m’aimer en tant que père, en tant que mari, en tant que frère et en tant qu’ami, avouait-il à ESPN. J’ai dû redevenir Jonathan Jones et apprendre à le différencier de Jon "Bones" Jones. Et c’est à ce moment-là que je suis redevenu heureux." Pour continuer à l’être, il a ensuite vu un psychothérapeute trois fois par semaine. Qui lui a appris à mieux aimer ce qu’il est.
A l’époque, celui qui craint de voir ses enfants subir les conséquences de ses erreurs via des camarades de l’école qui les connaîtraient dit avoir "joué de malchance" et souffre qu’on ne lui donne "jamais le bénéfice du doute". Les mots sonnent comme autant de libérations. Est-il sobre? "Non. Je bois toujours, et je fume des joints de temps en temps, surtout le week-end, reconnaît-il pour ESPN. Mes coaches le savent, j’en ai fini avec l’époque où je cherchais à me cacher... Je voulais atteindre la sobriété totale, c’est ce que je visais en allant en cure, mais je ne suis pas prêt pour ça. Ce n’est pas qui j’étais et ce n’est pas qui je suis. J’ai atteint un stade où je peux être honnête avec moi-même."
"Les fans se foutent de savoir si vous êtes une bonne ou une mauvaise personne"
Celui qui continue de clamer qu’il n’a "jamais pris volontairement" le moindre produit dopant, et qui se balade toujours avec sa propre bouteille d’eau et essaie de "ne pas être prévisible" sur les endroits où il mange de peur que sa boisson ou ses aliments ne soient contaminés à son insu, a trouvé son créneau: assumer sans pour autant se renier. "Quand j'ai commencé à rentrer dans ce milieu, le problème est que je voulais être vu comme un saint, littéralement, rappelait-il à Bleacher Report en 2017. Désormais, je réalise que les fans se foutent de savoir si vous êtes une bonne ou une mauvaise personne. Ils veulent juste que vous soyez responsable. Avoir un accident avec une femme enceinte et s'enfuir, ce n'est pas être responsable. Prendre des pilules pour la b..., ce n'est pas être responsable."
Vu comme un père et un compagnon "aimant, attentionné et loyal" par les siens, Jones en avait juste marre du double visage. "Je ne veux pas être vu comme un méchant garçon mais je n'essaie pas non plus d'être Mère Teresa, nuançait-il alors. Je veux juste être moi-même. Je n'ai plus la force de faire semblant. Je ne m'en soucie plus. (...) Plus tôt dans ma carrière, je voulais être le Michael Jordan de l'UFC. Maintenant, je suis juste qui je suis. Je n'ai pas à me comporter comme un vainqueur. Je suis un vainqueur. Même avec toutes mes aspérités." Il a assumé avoir pris de la cocaïne avant de battre Cormier la première fois. Assumé sa consommation d’herbe. Même sa réputation de combattant "sale", qui met des doigts dans les yeux de ses adversaires, ne le gêne plus.

Celui que ses grands rivaux en carrière Daniel Cormier et Rashad Evans avaient évoqué comme un homme "faux" est devenu un anti-héros bien dans son costume: "Je comprends qui je suis dans ce sport et que je vais toujours être un athlète controversé. Quelqu’un dont on aime parler, en mal comme en bien. Certains ont décidé il y a longtemps qu’ils ne m’aimeraient pas et je ne peux rien y faire. J’ai donc appris à apprécier ce que j’ai, ce style de vie génial, et à assimiler que les critiques vont avec." Certains de ses derniers adversaires, Gustafsson et Reyes en tête, n’ont pas hésité à l’accuser d’être "un tricheur" dont la part d’ombre cachera toujours un bout de la lumière. Reyes s'est aussi amusé à dire qu'il serait "un modèle" en tant que champion s'il le battait, soulignant que "Bones" ne serait "jamais au niveau d'un Micheal Jordan ou d'un Muhammad Ali, peu importe combien de victoires il remporter, car il n'est pas une bonne personne" (comme toujours, c'est bien entendu plus compliqué que ça, avec un Jones qui s'implique aussi beaucoup auprès d'associations caritatives et de jeunes).
"Être le gars dont les gens vont parler dans cinquante ou cent ans"
Mais le numéro 1 du classement pound-for-pound (toutes catégories) de l’UFC pense toujours être sur la route de ce qu’on lui promettait: le meilleur de l’histoire. "Ma façon de répondre à ça, c’est de rester sur le chemin sur lequel je suis: continuer à dominer combat après combat et tenter de battre autant de records que possible, lâchait-il ces derniers jours dans l’émission First Take sur ESPN. Les gens me demandent tout le temps: 'C’est ton quinzième combat pour un titre mondial, qu’est-ce qu’il te reste à prouver?' Ce que j’essaie de faire, c’est de mettre des records tellement loin de la compétition qu’il n’y ait plus d’argument sur qui est le meilleur au moment où je prendrai ma retraite." Et de pousser l’explication: "Quand je vois Khabib et Conor et combien ils sont connus à l’international, ça m’inspire à travailler un peu plus ma 'marque' en dehors des combats. Mais ce qui compte pour moi, ce n’est pas de faire le plus d’argent ou d’être le plus connu mais d’être le gars dont les gens vont parler dans cinquante ou cent ans. C’est pour ça que je me lève tous les matins."

Celui qui a promis de finir Reyes avant les deux derniers rounds a conscience des choses à faire pour y arriver. Continuer à être "le briseur de rêves" des aspirants à sa couronne des lourds-légers. Attendre le spectaculaire champion des moyens, Israel Adesanya, qui a annoncé vouloir monter en 2021 (Jones dit qu’il attend car "il a peur") pour le défier et avec qui la guéguerre verbale est déjà enclenchée. Et sans doute aller vers ce que tout le monde espère: monter chez les lourds pour aller chercher la ceinture. "C’est plus dangereux, tu te fais frapper plus fort. Mais je sais aussi que pour éteindre cette conversation sur qui est le meilleur, je vais peut-être devoir obtenir une deuxième ceinture dans une deuxième catégorie, reconnaît-il. Ça me séparerait des autres pour de bon."
"Vous ne pouvez rien promettre dans la vie..."
Et le risque de rechute dans tout ça? Il existe? Son "incident" avec une strip-teaseuse (qui l'accuse de s'être montré trop béhément avec elle sur le plan physique) dans un club à Albuquerque en avril dernier n'incite pas à la prudence... "Vous ne pouvez rien promettre dans la vie, répond-il sur ESPN. Vous ne savez pas quels virages elle va mettre sur votre chemin. Mais j’ai l’impression d’être sur le bon chemin, et je suis excité à l’idée de continuer à m’élever et à être la meilleure personne possible. Je suis très excité par mon futur car je n’y vois que de bonnes choses. J’ai beaucoup appris, j’évolue, comme père, comme combattant. Dans dix ans, je crois que je serai toujours au top de ce sport." L’anti-modèle avait perdu son rang roi. Pour le retrouver, Jon Jones devra laisser ses démons derrière lui.