
Trois semaines de sexe, un préservatif pour dégonfler l’œil: il y a 30 ans, "Buster" Douglas battait Mike Tyson
La suite était déjà écrite. En ce début d’année 1990, l’horizon de Mike Tyson se nomme Evander Holyfield. L’invaincu champion du monde WBC-IBF-WBA des lourds, qui massacre un à un ses adversaires, va se frotter au défi de son challenger numéro 1, ancien champion unifié des lourds-légers, comme il l’a annoncé avec son promoteur Don King dans une conférence de presse. Mais avant, il y a une formalité à mettre derrière soi. Elle va se transformer en une des plus grandes surprises de l’histoire du sport. Moins d’un mois après avoir annoncé son combat contre Holyfield, "Iron Mike" doit défendre ses titres à Tokyo face à son compatriote James "Buster" Douglas.
Plusieurs filles par soir
D’un côté, un Tyson à 37-0 chez les pros, dont 10-0 dans des championnats du monde, qui s’amuse à exploser tous ceux qui se présentent face à lui dans un ring. De l’autre, un Douglas qui a déjà connu la défaite à quatre reprises et dont les observateurs soulignent le manque de cœur depuis sa défaite sans panache (TKO au dixième round) contre Tony Tucker pour la ceinture vacante IBF en mai 1987. A l’époque, plusieurs spécialistes évoquent ce choix d’adversaire pour Tyson comme "une insulte". Bookmakers et parieurs ne s’y trompent pas: "Buster" affiche une cote à 40 contre 1 et seul... un pari en sa faveur a été enregistré à Las Vegas avant le combat. Bref, on n’attend rien à part une nouvelle démonstration du champion.

Une simple étape sans risque avant Holyfield, presque un entraînement grandeur nature. Une raclée à venir, et sans avoir besoin de forcer. Sauf que Tyson y a lui aussi cru. Grave erreur. Sa préparation est un anti-modèle du genre mais personne ne voit venir le futur tremblement de terre pugilistique. Arrivé à Tokyo près de quatre semaines avant le combat, il occupe ses nuits avec des travailleuses du sexe qui se relaient (ou viennent ensemble) dans sa chambre d’hôtel jusqu’à l’aube. Celui qu’on a depuis décrit comme alors en début de dépression se vante même de ses performances sexuelles multiples... devant les médias. Dans son camp, où l’on n’ose plus contredire la poule aux œufs d’or, on sourit plutôt que de le prévenir du danger.
Don King et Donald Trump négocient la revanche... pendant le combat
Tout comme on ne s’inquiète pas quand Greg Page, ancien champion WBA de la catégorie, inflige un lourd knockdown à Tyson en sparring à une vingtaine de jours du combat, vengeance pour une correction administrée par Mike lors d’une session ouverte au public à Atlantic City six mois auparavant. On diffuse l’idée que l’épisode n’est qu’un coup de pub pour mieux vendre un duel sans suspense sportif. Mais Page affirmera toujours qu’il était bien réel. Tyson manque d’envie mais aussi et surtout de jambes. La preuve dans le ring du Tokyo Dome, à midi (décalage horaire avec les Etats-Unis oblige) et devant 40.000 spectateurs. Avant le premier coup de gong, les commentateurs américains s’amusent en se demandant si le combat va durer plus de quatre-vingt-dix secondes.
Mais très vite, on comprend que la victoire express attendue n’aura pas lieu. La légende veut même que Don King, promoteur des deux hommes, et l’homme d’affaires... Donald Trump aient négocié une revanche dans un hôtel-casino de ce dernier à Atlantic City en plein milieu du combat, conscients qu’une surprise était sur le point d’ébranler la planète boxe. Comme il le dira ensuite, Douglas n’a "rien à perdre". Et une promesse à respecter. Le garçon a perdu sa mère, Lula, mi-janvier. Sur son lit de mort, quand il lui tient la main, elle le regarde dans les yeux et lui demande si tout ira bien (elle craignait la férocité de Tyson). La réponse à celle qui l’a mis au monde est positive. Il est là pour l’honorer. Un homme sans peur, quoi, et en pleine tempête émotionnelle: dans les semaines précédentes, il s’est également séparé de sa femme et on a diagnostiqué un cancer en phase terminale à la mère de son enfant.
De la glace... dans le préservatif
Arrivé deux semaines après Tyson au Japon, il ne s'avoue surtout pas vaincu d'avance. Au contraire, il y croit fort. "Je savais qu’il craquerait si je continuais à le frapper encore et encore, expliquera-t-il à The Independent des années plus tard. Je le savais mais personne ne m’écoutait, personne n’y croyait." Le clan du champion y compris. Il va le payer à coups de jabs dévastateurs. Actif, Doulas met à mal Tyson entre les cordes. Au cinquième round, l’œil gauche de Mike se met même à beaucoup gonfler. Une anecdote qui va encore souligner le manque de préparation du camp Tyson: son "cutman", le vétéran Taylor Smith, n’a pas le bon outil en métal (un Enswell) à disposition et doit improviser. Aaron Snowell, entraîneur en chef de Tyson, a ensuite prétendu qu’il avait rempli les doigts d’un gant en caoutchouc avec de la glace. Mais les témoins sont unanimes: c’était bien un... préservatif qui servait de récipient pour la glace! Les jabs continuent de s’enchaîner chez l’adversaire.

Mais on finit par penser que "Iron Mike" a été secoué et réveillé par son clan. Lors de la huitième reprise, il envoie "Buster" à terre mais le challenger se relève une seconde avant le compte de dix (cela aura son importance). L’inverse n’aura pas lieu. Après un neuvième round où Tyson tente de finir l’affaire mais se fait contrer et mettre à mal, Douglas envoie le boxeur le plus craint de la planète au sol pour la première fois de sa carrière au dixième. La difficulté à remettre son protège-dents, dans des gestes qui font penser à quelqu’un un peu trop alcoolisé, prouve qu’il est touché. Plus que ça même: il ne bat pas le compte de l’arbitre. Détrôné. Mais avec un entourage encore combatif qui n’avait vu aucun signe annonciateur de la chute mais va s’atteler à gâcher la fête et le morceau d’histoire de Douglas.
La WBC et la WBA ne reconnaissent pas Douglas
John Johnson, son manager, lui apprend dans le vestiaire après sa victoire que Don King et Tyson sont en train de déposer une réclamation pour "compte trop long" de l’arbitre au huitième. En six heures, le promoteur réussit à convaincre deux des organisations dont les ceintures étaient en jeu, la WBC et la WBA, de ne pas reconnaître "Buster" comme le champion (l’IBF le fait tout de suite). Mais devant les protestations venues de partout et les accusations de "mauvais perdant", Douglas est vite réinstallé en tant que champion et le clan Tyson abandonne ses poursuites. "Il a gagné", reconnaît Mike, bien touché physiquement, lors d’une conférence de presse à son retour à New York. Il ne sera plus jamais le même. Son aura de terreur et d’invincibilité a disparu. Ses démons intérieurs, eux, se sont montrés. Ce ne sera pas la dernière fois.
La suite? "Buster" casse son contrat avec Don King – qui reçoit 4,5 millions de dollars de compensation pour ne pas avoir pu promouvoir une revanche directe, gardant également les droits de promotion si elle se faisait par la suite – et négocie une bourse (record pour l’époque) de 24 millions de dollars pour affronter Holyfied, qui le bat en moins de trois rounds en octobre 1990, avant de prendre sa retraite. Après avoir accumulé beaucoup de kilos en trop, un coma diabétique dans lequel il ne passe pas loin de la mort le pousse à revenir sur le ring près de six ans plus tard pour neuf autres combats (huit victoires). Plus de vingt ans après l’arrêt définitif de sa carrière, il passe aujourd’hui son temps à pêcher. Mais il ne ramènera jamais un plus gros poisson que celui ramassé dans ses gants il y a pile trente ans.