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Technique, personnalité, histoire: pourquoi Tyson Fury est le meilleur poids lourd de son époque

Opposé au Suédois Otto Wallin, Tyson Fury revient sur le ring ce samedi soir à Las Vegas (à suivre en direct à partir de 4h sur RMC Sport 1). Le lourd britannique défendra son titre "Lineal" (linéaire) des lourds, une couronne prestigieuse mais sans ceinture qu’il revendique depuis sa victoire sur Wladimir Klitschko en 2015. L’occasion de lancer un débat: le "Gypsy King" est-il le meilleur des lourds actuels? On répond oui. Et on a les arguments pour se justifier.

Il répète qu’il revient à Las Vegas pour "défendre sa couronne". Sauf qu’il n'en détient aucune des quatre principales fédérations. "Je n’ai pas besoin des ceintures à initiales pour savoir que je suis champion du monde". Le "titre" dont parle le Britannique Tyson Fury (28-0-1 ; 20 KO ; 31 ans), opposé au Suédois Otto Wallin (20-0 ; 13 KO ; 28 ans) ce samedi soir pour rester actif en attendant la revanche contre Deontay Wilder, c’est le "Lineal" (linéaire). Comprenez: le champion qui a battu le champion qui a battu le champion, et ainsi de suite jusqu’à l’Américain John L. Sullivan, reconnu premier du genre chez les lourds en 1885. S’il ne se matérialise pas par une ceinture, ce statut reste important aux yeux de la planète boxe. Mais il entraîne des débats animés. 

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"Je suis le champion 'Lineal', vous savez ce que ça veut dire?" 

Selon le Transnational Boxing Rankings Board, qui fait autorité en la matière, Tyson Fury avait remporté ce titre en détrônant Wladimir Klitschko en novembre 2015 pour les couronnes WBA Super, IBF et WBO. Mais il l’a perdu en octobre 2016 après avoir abandonné ses ceintures, période où son seul adversaire se nommait démons intérieurs, et il est depuis annoncé vacant. Anthony Joshua, rival britannique du "Gypsy King" qui aurait pu y prétendre s'il avait affronté et battu Deontay Wilder avant de tomber sur un os nommé Andy Ruiz Jr (lui-même numéro 1 de l'actuel classement TBRB des lourds devant Fury), fait partie de ceux qui pensent que ses deux années et demie loin des rings ne lui permettent plus de se réclamer "Lineal". Mais beaucoup rappellent que Fury n’a jamais été battu depuis sa victoire sur Klitschko et qu’il faudra le faire dans le ring pour lui enlever. Le site Lineal Boxing Champion, qui tente de mettre de l'ordre dans tout ce foutoir et rappelle que Muhammad Ali ou Jack Dempsey avaient connu de plus longues périodes d'inactivité en gardant ce statut aux yeux des spécialistes, fait partie de ceux-là. 

ESPN, son diffuseur US depuis sa signature de contrat avec le promoteur Bob Arum et Top Rank, en fait d'ailleurs l'argument en plus pour "vendre" les soirées "Gypsy King". Qui donne bien le change. "Je n’ai pas besoin de battre Deontay Wilder pour être le meilleur, lançait-il en conférence de presse en novembre dernier, quelques jours avant de se mesurer au champion WBC. Je suis le champion 'Lineal', vous savez ce que ça veut dire? Cela remonte à Sullivan au XIXe siècle. Celui qui détient ce titre est le meilleur de la catégorie donc c’est ce que je suis. Personne n’a jamais été meilleur que moi dans un combat. Jamais." 

"The Ring m’a remis là où je mérite d’être, ils ne se sont pas trompés"

Depuis, il a poussé la bête américaine à un nul sur ses terres, résultat controversé tant beaucoup avaient jugé le combat en sa faveur. Il a ensuite fait ses débuts à Las Vegas, découvert façon rock'n'roll en juin histoire de se faire mieux connaître du public américain avant la revanche tant attendue contre Wilder, pour une démonstration de noble art face au pauvre Tom Schwarz, dépassé dans tous les compartiments et TKO dès le deuxième round. Et maintenant, place à Wallin, obstacle qu’il devrait encore franchir sans encombre – même s’il faut toujours se méfier chez les lourds, voir la jurisprudence Ruiz – et en brillant. Tout cela ne vous donne pas de ceinture ou ne tranche pas le débat sur la légitimité de sa revendication du titre "Lineal". Mais ses derniers combats ont permis d’en lancer un autre: Fury est-il le meilleur des lourds?

Tyson Fury à l'entraînement
Tyson Fury à l'entraînement © AFP

Taper "Fury greatest heavyweight" sur les réseaux sociaux/sites de partage vidéo suffit pour comprendre. Si Joshua préfère mettre Ruiz sur le trône, façon de se motiver avant la revanche prévue en décembre, ceux qui répondent Fury sont légion. Boxeurs actifs ou retraités, coaches, consultants, observateurs, beaucoup – vous pouvez englober votre serviteur – placent le Britannique au sommet de la pyramide. La ceinture des lourds du magazine The Ring est pour l'instant vacante. Mais le magazine américain, autre autorité du milieu, place Fury en haut de son classement de la catégorie (la ceinture sera en jeu pour Fury-Wilder II s'ils restent numéros un et deux) depuis le tremblement de terre du Madison Square Garden avec la défaite de Joshua face à Ruiz. L'intéressé a apprécié d'un large sourire au micro de talkSPORT: "The Ring m’a remis là où je mérite d’être, ils ne se sont pas trompés". 

"Il fait plus de cent kilos mais il boxe comme un léger" 

"Il n’a pas de ceinture mais sur tout ce qu’il dégage et sa boxe, le voir en haut de ce classement est tout sauf incohérent, juge Brahim Asloum, ancien champion olympique et champion du monde, consultant pour RMC Sport. Il est capable de rebattre Wilder, car il avait gagné selon moi, et de faire pareil avec Joshua. Il a la science de la boxe pour mettre tout le monde d’accord." Comptez sur le bonhomme, en bon boxeur, pour chanter ses propres louanges. "Sur un combat de douze rounds, j’en ai dix d’avance. Je suis plus fort que tous les autres à ce point-là. En quelques années, ils auront tous été mis KO", lançait-il à BT Sport en juillet 2018, un mois après son retour sur les rings post-dépression. Même l'adversité se range derrière cet avis. "Tyson est le meilleur au monde", lâchait Schwarz... avant de se faire découper sur le ring en juin!

Alors, qu'est-ce qui fait de lui le meilleur? D'abord sa maîtrise du noble art. "Il est le meilleur techniquement, et de loin. C'est le meilleur boxeur dans le pur sens du terme, estime le Britannique Tony Bellew, ancien champion WBC des lourds-légers, pour talkSPORT. Il n'a pas ni la puissance brute et la force de Wilder, le puncheur le plus destructeur depuis Mike Tyson, ou de Joshua mais ça peut être battu par le timing et la variété des coups." Fury les possède dans son arsenal. Et plus encore. Il boxe en avançant comme sur son pied arrière, en orthodoxe comme en southpaw (en gaucher). Son jab du gauche est une merveille, ses pieds dansent et ses mains fusent, géant aussi gracieux qu'efficace. "Il fait plus de cent kilos mais il boxe comme un poids léger, s'extasie Brahim Asloum. Il a cette mobilité, cette aisance, cette vista. Une science de la boxe. Les autres ne sont pas aussi techniques. Il sait tout faire." 

"Ma boxe, c'est de la Kryptonite pour les autres"

Complet, polyvalent, non conventionnel. Dans "la meilleure forme de (s)a vie", aussi, c'est lui qui le dit, débarrassé des kilos en trop et des démons intérieurs, rédemption physique autant que mentale. Forcément, ça aide. On le voit dans ces séquences bien plus fluides sur le ring. On le voit dans ces quatre mandales de Schwarz évitées contre les cordes au prix d'un numéro d'équilibriste-danseur du haut du corps, dextérité rare chez les lourds. On sait que ça lui permettra de tenir la distance plus facilement, essentiel pour celui qui n'est pas le plus gros puncheur, plus marathonien des lourds que sprinteur. "Je peux le battre en un coup, en une seconde, alors qu'il doit être parfait douze rounds pour me battre", fanfaronne Wilder quand on lui parle de la revanche. Mais il en est plus que capable.

Tyson Fury
Tyson Fury © AFP

Et puis il y a ce petit truc en plus qui façonnent les grands. "Tyson peut aller à terre, il se relèvera toujours, vous ne pouvez pas vous en débarrasser", s'amuse Bellew. "Wilder frappe le plus fort mais Fury a de grosse couilles et il est très difficile à affronter", complète Richard Towers, passé au sparring avec Fury, Wilder, Joshua et les deux frères Klitschko, au micro de BT Sport. "C’est un combattant qui comprend l’art de la défense et qui est spectaculaire", conclut Nacho Beristain, coach mexicain très respecté, sur le site de The Ring. "La façon dont je boxe, c'est de la Kryptonite pour les autres", résumait le boxeur britannique il y a quelques semaines pour ESPN.

"Avec ce qu'il a traversé, il en devient attachant. On l'aime ou on l'aime pas, mais il est vrai, honnête"

Si Fury est le lourd actuel idéal, c'est aussi qu'il est un lourd hybride. Un mix de ses deux rivaux. "Il a cette arrogance d'un Wilder mais aussi cette intelligence et cette sagesse d'un Joshua, pointe Brahim Asloum. On a Deontay le bad boy, Joshua le gendre idéal et Tyson un mélange parfait. Il sait être humble, surtout après sa descente aux enfers, mais aussi grande gueule quand il le faut. Il fait partie de ces grands champions qui ont aussi bien une grande gueule que de belles performance sur le ring. Il est même touchant. Avec ce qu'il a traversé, il en devient attachant. On l'aime ou on l'aime pas, mais il est vrai, honnête."

Le "Gypsy King" apprécie d’autant plus son retour au sommet qu’il considère Wilder et Joshua comme des pièces rapportées du noble art, deux hommes qui ont "respectivement échoué au basket et au foot" avant de se lancer entre les cordes quand lui a toujours combattu. Et entre un Wilder trop clivant qui veut "tuer quelqu'un" sur le ring et un Joshua trop gentil garçon pour un sport qui aime tant les failles et les aspérités, Fury et sa personnalité électrique à souhait ont presque un boulevard devant eux. Ça tombe bien: il sait en jouer. Il blague, il chambre, il chante après un combat ou en conférence de presse, il parle de la taille de son pénis aux journalistes. Et il assume tout ça dans le ring. 

Des interviews dans un jacuzzi, un Starbucks, un restaurant de tacos ou un Uber 

Revenu d’un enfer personnel, il s’est mué en porte-parole des victimes de dépression et de troubles mentaux. On ne peut que l’aimer, quoi, et le public américain ne s’y est pas trompé en l’adoptant à l’heure de ses débuts US en juin. Si des sièges de la Grand Garden Arena du MGM Grand de Las Vegas étaient restés vides face à Schwarz, sa performance pugilistique et son côté showman (on se souvient de son entrée déguisé en Apollo Creed, personnage de la saga Rocky) ont beaucoup plu outre-Atlantique. Rebelote ces derniers jours dans l’approche du combat contre Wallin, où ce malin de Fury a multiplié les clins d’œil au Mexique pour profiter du fait de monter sur le ring lors du week-end hommage à l’indépendance mexicaine (ce qui a irrité Ruiz, premier champion du monde des lourds de descendance mexicaine, d'autant que la WBC, basée à Mexico, donnera au vainqueur une ceinture spéciale pour l'ocassion), et conquérir un public encore plus large après avoir prouvé qu’il pouvait porter une réunion américaine sur ses larges épaules.

Il a également encore régalé les médias avec des interviews dans un jacuzzi, dans un Starbucks, dans un restaurant de tacos, dans un Uber ou encore pour le podcast de Mike Tyson dans les locaux de l’entreprise consacrée à la marijuana lancée par celui dont il tire son prénom. Il a nourri sa légende en affirmant, ce qu'on ne pourra jamais vérifier, qu'il avait sifflé "quatre pintes de bière" la veille de son combat face à Wilder. Une attitude parfaite pour mieux ‘‘vendre’’ la future revanche contre le "Bronze Bomber", son promoteur Bob Arum – qui l’a comme promis lors de sa signature avec Top Rank aidé à se faire un nom outre-Atlantique – estimant même que ce combat pourrait "égaler ou surpasser les chiffres de Mayweather-Pacquiao" (4,6 millions de pay-per-views vendus, plus de 600 millions de dollars de gains générés) si Fury atteint une belle notoriété aux Etats-Unis quand la première occurrence n’avait entraîné que 325.000 achats en PPV. La réalité du marché incite à bien plus de prudence sur les chiffres mais on comprend l’idée. 

"Je n’avais pas vu un combattant avec autant de charisme depuis Muhammad Ali"

Pour atteindre l’objectif, Arum n’hésite d’ailleurs pas à verser encore plus dans l’emphase au sujet de son nouveau protégé. "Tyson est une force de la nature et c’était un des meilleurs shows que je n’ai jamais vus, et pas que dans la boxe, s’était-il extasié après la victoire de Fury sur Schwarz. C’est un showman et il est unique. Maintenant qu’il est en forme, il peut mettre KO tous les autres lourds. Je n’avais pas vu un combattant avec autant de charisme depuis Muhammad Ali." On a beau adorer la cible des louanges, l’enthousiasme est à nuancer. "Fury a du charisme, on a rarement vu un boxeur attirer la caméra comme il le fait, mais on ne peut pas le comparer à Ali que ce soit sur ou en dehors du ring", estime Brahim Asloum. "Tyson est le meilleur mais on n’a pas un Ali moderne chez les lourds actuels", confirme Tony Bellew.

Tyson Fury (à gauche) fait le show face à Deontay Wilder
Tyson Fury (à gauche) fait le show face à Deontay Wilder © AFP

Mais il y a des parallèles. Dans ces esquives en série et en danseur des rings, dans sa faculté à répondre du tac au tac à ce que propose l’adversaire. "Il faut avoir la qualité intellectuelle pour le faire et c’est son cas, constate le consultant RMC Sport. Il faut être bon sur le ring, il faut oser, il ne faut pas avoir peur et c'est vrai que ce n'est pas donné à tout le monde." Ersatz du "Greatest" ou pas, cela n’empêche pas un constat. Pour basculer pour de bon à la table des superstars, Fury va devoir battre ses rivaux. Klitschko, sa plus belle victoire en carrière, c’était déjà il y a près de quatre ans. Schwarz ou Wallin sont bien gentils mais franchir ces étapes ne fabrique pas une icône éternelle des rings. Il faudra faire chuter Wilder puis Joshua et/ou Ruiz pour cimenter sa place au panthéon du noble art. Afficher des ceintures autour de la taille en plus du titre "Lineal".

L'histoire serait d'autant plus belle

Il s’en sait capable, tellement sûr de sa force qu’il n’hésite pas de temps en temps à prendre son téléphone pour appeler Joshua en direct et lui expliquer qu’il va "(l)e mettre KO" comme les deux l’ont raconté ces derniers jours. S’il y parvient, vu sa trajectoire personnelle, l’histoire sera d’autant plus belle. Hollywoodienne. "Je ne connais personne dans l’histoire de la boxe qui a perdu autant de poids, qui a quitté les rings presque trois ans, a pris de la drogue, de l’alcool, a souffert de problèmes mentaux mais est revenu battre le soi-disant meilleur lourd de la planète après six mois d’entraînement (il parle du premier combat contre Wilder, ndlr), rappelait-il à ESPN il y a quelques semaines. Ce n’est pas humainement possible. Mais tout ça a été fait par un être humain.’’ Pas n’importe lequel. Le meilleur lourd de la planète boxe actuelle. 

Alexandre HERBINET (@LexaB)