
Jamais deux sans trois dans la cage: l’histoire extraordinaire du trio polygame du MMA

Ricardo (torse nu les bras levés) fête une victoire avec ses deux femmes, Aline et Bianca - DR/Batalha MMA
On n’aurait jamais dû vous parler d’eux, voire entendre parler d’eux. Question de bilan en carrière pro. Combattants de MMA, Ricardo Sattelmayer, Aline Sattelmayer et Bianca Reis affichent chacun un record en-dessous de 50% de victoires – respectivement 15-20, 12-13 et 7-12 selon le site spécialisé Sherdog – amassé dans diverses organisations régionales chez eux, au Brésil. Loin de l’UFC, donc, et pas de quoi rameuter la lumière médiatique. Mais il y a un détail qui change tout. Il y a quelques années, Bianca Reis est officiellement devenue Bianca Sattelmayer. La seconde femme de Ricardo après Aline. Une histoire de polygamie illégale dans de nombreux pays qui remet en cause les standards "classiques" et nous plonge à Sao Jose dos Camps, dans les faubourgs de Sao Paulo, là où les trois ont débuté leur carrière.
"Beaucoup fantasment sur le fait d’être au lit avec deux ou trois femmes mais ce n’est pas ce que je voulais"
Mariés depuis plus de dix ans, Ricardo et Aline y ont ouvert la Sattelmayer Top Team, salle où le premier officie en tant que coach principal. Et dont Bianca, alors âgée de dix-neuf ans, a fini par pousser les portes. Vite devenue amie des propriétaires, elle va faire face à une demande sortie de l’ordinaire: Ricardo, qui a commencé à en parler plus ou moins sérieusement avec Aline après trois années ensemble, veut une seconde femme et jette son dévolu sur son élève, parfois gérée à l’entraînement par une Aline plus expérimentée et qui aide son mari à donner ses leçons. "Beaucoup d’hommes cherchent une aventure et beaucoup fantasment sur le fait d’être au lit avec deux ou trois femmes mais ce n’est pas ce que je voulais, témoigne l’intéressé dans un bel article signé Guilherme Cruz sur le site MMA Fighting. Je voulais une famille."
Des parents à convaincre
Finalement convaincue, Aline accepte si les deux trouvent "la bonne personne". Pas facile alors que le couple a déjà une fille d’un an, Barbara. Mais Bianca, qui veut comme eux faire du combat une vie professionnelle et partage leur passion, arrive sur leur chemin et présente le profil parfait pour eux. Quand la proposition est faite, Bianca ne la prend pas tout de suite au sérieux. Mais Ricardo, appuyé par Aline, revient à la charge et la convainc d’essayer une relation petit ami-petite amie pour mieux se connaître avant d’aller plus loin. "Bianca est entrée dans nos vies avec un mélange de 'travail' et de romance", raconte Ricardo. Ce dernier va ensuite aller demander la main de sa nouvelle dulcinée à ses parents pour officialiser le "trouple". "Si ça nous paraît bizarre, imaginez pour une mère ou un père, pointe Guilherme Cruz au micro de RMC Sport. Ses parents ont dû accepter qu’elle devienne la seconde femme d’un homme qui a environ quinze ans de plus qu’elle..."
Invité à dîner pour discuter de la situation après la grosse appréhension initiale de papa et maman Reis, couple standard pas habitué à un tel trio, le combattant brésilien insiste sur sa volonté de créer une famille à trois et sur l’amour qui les unit. Accord obtenu. "Quant à Aline, elle n’est pas très proche de sa famille donc ça n’a pas posé de problème", poursuit le journaliste brésilien. Reste à expliquer le changement à Barbara, alors âgée de quatre ans et qui avait pris l’habitude d’appeler Bianca (qu’elle voyait souvent à la salle) "tatie", surnom affectueux donné au Brésil à une femme plus âgée et proche de vous qu’elle soit de votre famille ou pas. "Ricardo a réussi à lui expliquer que sa 'tatie' Bianca serait là tous les jours et elle s’est habituée à m’avoir avec eux, lâche Bianca. Parfois, elle blague avec d’autres enfants à l’école sur le fait qu’elle a deux mères, mais elle sait que sa mère est Aline et que je suis sa 'tatie'. Elle le comprend."
Un lit sur mesure de 2,50 mètres
Il n’y a plus qu’à. Avec une précision d’importance. "Ils sont bien mariés mais pas dans le sens traditionnel du mot car on ne peut pas épouser deux femmes au Brésil, précise Guilherme Cruz. Ils ont essayé, et Ricardo m’a dit qu’il avait parlé à de nombreux avocats mais qu’aucun d’eux n’avait voulu prendre cette affaire car ils lui ont dit que ça n’arriverait pas et que c’était juste une perte de temps. Ils ont donc réussi à être légalement ensemble mais pas mariés, l’équivalent du PACS en France. Devant la loi, il a bien deux femmes." Les démarches administratives derrière eux, il faut s’adapter à une nouvelle vie. Pas facile quand tous les repères sont bousculés. Le nouveau lit? Fait sur mesure, large de 2,50 mètres, pour accueillir le trio. Mais la jalousie n’entre pas en compte. Elle n’aurait "aucun sens", dixit Aline et Bianca, la première car elle a accepté que Ricardo trouve une seconde femme, la seconde car elle a accepté – alors qu’elle reconnaît être jalouse de nature – de rejoindre un couple déjà marié et ensemble depuis longtemps.
"S’il n’y avait pas cette union inhabituelle, ils n’auraient pas toutes ces opportunités"
Devenus plus populaires chez eux grâce à leur histoire, qui a fait parler dans les médias locaux, Ricardo, Aline et Bianca subissent bien quelques regards et commentaires réprobateurs. Mais rien de terrible non plus pour ceux qui ne comptent pas faire de prosélytisme de ce mode de vie qui leur convient mais demandent juste du respect. Barbara, par exemple, n’est pas harcelée à l’école en raison de la situation de ses parents. On peut aussi poser la question de l'influence du coach sur ses deux élèves dans ce type de relation, problématique au cœur d'un mouvement de fond autour des pratiques malsaines qui éclabousse enfin plus le sport ces derniers mois, mais celui qui les a côtoyés peut témoigner du contraire. "Certains ont trouvé ça bizarre. Mais les gens font des trucs bizarres tout le temps, sourit Guilherme Cruz. Et ils ne font rien de mal. Ils s’aiment, c’est tout. Pour quelque chose de bizarre, c’est aussi quelque chose de beau. Quelques personnes se sont élevées contre, car c’est contre leur religion ou des choses comme ça, mais je n’ai pas vu beaucoup de réponses négatives à leur histoire."
Ricardo, lui, s’en amuse pour MMA Fighting: "Avoir deux femmes est plus facile que d’en avoir une". Il affirme aussi que l’adultère serait en net recul si plus de gens se convertissaient à la polygamie mais qu’il n’a pas choisi de vivre comme cela pour cette raison. Il ne veut ni d’une troisième femme ni d’un second mari. C’est le deal passé entre eux, et sans sexisme derrière selon le combattant: "Elles ne m’appartiennent pas, comme je ne leur appartiens pas. (...) Si elles décidaient d’aimer quelqu’un d’autre, elles sont libres de vivre leur vie." Elles ont choisi la voie de la polygamie. Qui leur sert aussi à attirer la lumière malgré des carrières loin des sommets. "Ils combattent toujours à Rio, Sao Paulo ou ailleurs, dans différentes promotions, car ils se sont fait connaître sur le circuit régional grâce à leur histoire, confirme Guilherme Cruz. S’il n’y avait pas cette union inhabituelle reprise par les médias, ils seraient comme d’autres combattants de leur niveau et n’auraient pas toutes ces opportunités."
Jamais à trois sur la même carte
Mais au fait, combattent-ils sur les mêmes cartes? La chose semblerait arrangeante pour l’organisation de la vie familiale. Mais pas pour le reste. "Cette année, il y a eu un événement à Rio où Ricardo et Aline ont combattu sur la même carte mais Ricardo déteste faire ça, explique Guilherme Cruz. Si Aline et Bianca sont sur la même carte, il s’en fiche car il est leur coach et il peut les aider toutes les deux. Mais s’il combat sur une carte, il n’aime pas qu’une de ses femmes le fasse également car il ne peut pas se concentrer assez sur la façon de les aider au mieux en tant que coach. Aucune organisation n’a encore réussi à les convaincre de combattre tous les trois sur la même carte. Mais peut-être qu’un jour ils arriveront à les convaincre de faire s’affronter Aline et Bianca. (Rires.)"
Trois, quatre et cinq... défaites de rang, séries en cours
Avec leur mini-célébrité, les deux femmes ont aussi eu l’opportunité de combattre en Chine, où elle ont pu se mesurer à Zhang Weili. La Chinoise, actuelle championne des pailles de l’UFC, a battu les deux en quatre mois en 2017, décision unanime pour Aline, soumission au premier round pour Bianca. Les deux femmes ont d’ailleurs connu beaucoup de défaites contre des combattantes depuis passées à l’UFC ou chez Invicta (organisation 100% féminine liée à l’UFC). De quoi prendre conscience que les plus brillantes lumières du MMA ne seront jamais sur elles. Alors pour garnir le frigo, les trois acceptent de combattre partout où on leur propose, même à la dernière minute.
Ricardo espère juste "un contrat international" s’il parvient à enchaîner les victoires, mais il reste sur trois défaites. Sa première femme, Aline, ne veut plus connaître de revers mais n’a connu que ça dans ses quatre derniers combats. Pour Bianca, qui devait combattre en mai avant la pandémie alors que les deux autres l’ont fait début mars, c’est encore pire: sa série en cours de défaites monte à cinq et la seconde femme compte plutôt se tourner vers sa carrière en kickboxing, discipline où elle affirme avoir un bilan de 13-2 et où Aline prétend avoir poussé Zhang Weili à un nul sur un unique round de neuf minutes (aucune confirmation officielle ne peut être trouvée).
Mais l’important est ailleurs. Leur histoire raconte combien la façon dont le MMA est perçu par les médias traditionnels a évolué. Il y a dix ou quinze ans, l’histoire des Sattelmayer aurait été reprise et utilisée pour pointer du doigt une discipline que beaucoup ne comprenaient pas. "Ça aurait fait parler partout: 'Regardez ces monstres du MMA, qui font de la polygamie et vont combattre comme des sauvages'. Mais désormais, le MMA est une discipline reconnue partout comme un grand sport, et encore plus au Brésil, et tout ça est traité de façon différente", conclut notre témoin. A respectivement trente-neuf, vingt-neuf et vingt-quatre ans, Ricardo, Aline et Bianca Sattelmayer vivent leur passion à plein. Et avec qui ils l’entendent. Aline prétend que le combat est "l’amour de (s)a vie". Il y a aussi Ricardo et Barbara. Sans oublier Bianca.