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Boxe: Yoka, Duhaupas, Edouard Philippe... Les vérités de le Banner

Contre Tony Yoka, Johann Duhaupas pourra compter dans son coin sur le soutien d’une légende de la boxe pieds-poings, qui se trouve être aussi son ami depuis plus de vingt ans: Jérôme Le Banner. Avec son franc-parler habituel, le Havrais a accepté de revenir sur ses dix vies de champion, rythmées par des combats aux quatre coins de la planète, mais d’évoquer aussi l’avenir de la boxe en France et la violence qui couve dans notre pays. Geronimo se livre la rage au coeur et s’impatiente de voir son ami livrer une ultime bataille à 39 ans contre l’un des meilleurs poids lourds de sa génération. .

Jérôme, Tony Yoka va affronter Johann Duhaupas à la Defense Arena. Pensez-vous que ces affrontements franco-français sont ce qui manque aux sports de combat en France pour susciter plus d'intérêt ?

C’est ce qu’on dit. Quand j’ai commencé ma carrière, j’avais les jumelles sur le Japon. Il parait que ça plaît le truc franco-français. Moi, ça ne m’a jamais plu. Pour quelle raison ? Parce que je me dis qu’il y a tellement de belles choses à voir, l’herbe est plus verte ailleurs. Les lettres de noblesse, je les ai eues à l’étranger, contre des combattants étrangers. Je sais qu’on n’est pas sur un terrain conquis en France, surtout pour les sports de combat, et qu’on n’est jamais prophète en son pays, mais je préférais chercher mon graal, ma valeur, à l’étranger. Être connu dans ma rue, dans mon village, je m’en câlisse !

Vous connaissez Johann depuis près de 20 ans, racontez-nous cette rencontre ? Est-ce une relation qui s’est tissée au-delà de la boxe ?

25 ans ! Je suis son témoin de mariage. Son témoin de conneries et son témoin de mariage. Je commençais à tourner avec des mecs en boxe thaï kick-boxing, ça ne faisait plus mon affaire. Il fallait que je progresse, que je mette l’accent sur les poings, sur la boxe anglaise. J’avais demandé à M. Champfort s’il pouvait me trouver quelqu’un. Il m’avait trouvé un Anglais, Joseph, et un Français, Johann Duhaupas, qu’on appelait le gitan. Pour moi, il était gitan, de la communauté des gitans. Mais non, en fait, il n’était pas du tout gitan. J’ai aussi pensé à un moment donné qu’il était tourneur fraiseur. Il avait un fulguro-poing droit, et un fulguro-poing gauche. Le mec, il frappait des deux mains. On s’est fait une bonne guerre à l’entraînement. Malheureusement, il est parti avec deux côtes pétées parce qu’à l’époque, ça cognait fort. On est devenus amis. J’étais là au tout début du flirt avec sa femme, on part en vacances ensemble.

25 ans d'amitiés lient ces deux combattants
25 ans d'amitiés lient ces deux combattants © @JLB

Johann Duhaupas face à Tony Yoka, ce sont deux mondes qui s’affrontent. D’un côté, un garçon qui est peut-être le produit de son époque, qui a acquis chez les pros une aura médiatique certaine en France, sans forcément des résultats probants pour l’instant. Et de l’autre côté, un garçon qui vous ressemble davantage sur ce côté humble, qui a boxé dans son coin sans rien demander à personne. Qu’en pensez-vous ?

Je suis 100% d’accord avec ce constat. Tony Yoka me fait un peu penser à Brahim Asloum. Les promoteurs font la même erreur. Ils vont le mettre à 20h30, en fin de gala, alors que le mec fait son premier combat pro. Tout tourne autour de lui. Mais non, mec ! Ils lui mettent la pression alors qu’il sort des amateurs. Ensuite, on le met à 20h30 sur Canal+. On le suit quand il va manger, faire pipi, on ferme la porte, quand il va chez grand-maman. On le suit quand sa femme est enceinte. Il y a une concentration médiatique sur lui. On le met en avant et ça me fait penser à Brahim Asloum. C’est normal que les gens le sifflent, mais ce n’est pas de sa faute à lui. On a voulu faire du cash tout de suite. Le mec, il a Cyril Hanouna derrière lui, C8, Canal+... Mais il n’y est pour rien. On lui propose de passer d’un salaire de 1000 balles par mois à … je ne sais pas combien. Tapez moi dans le dos si j’ai tort, mais tout le monde aurait fait la même chose. Ce sont les gens autour de lui qui auraient dû dire, pour la boxe, on ne peut pas mettre un mec, tout champion olympique qu’il est, en combat événement. Ils auraient dû mettre quelques images du combat et lui permettre de commencer sa carrière tout doucement. Duhaupas, ce n’est pas la même carrière. Son sac, il sent le cuir mouillé. Il se le trimballe depuis un bout de temps. Yoka, je pense qu’il change de sac en même temps qu’il change d’entraînement. 

>>> Boxe: "Ça ne se finira pas en douze rounds", promet Duhaupas face à Yoka

Vous serez dans le coin de Duhaupas ?

Of course ! J’étais là pour le début de l’entraînement, je voulais voir si mon pote était bien. Mentalement, il est super. Il va faire une guerre. Gagné ou perdu, je m’en fous, je sais qu’il va faire une guerre. Johann, il ne raconte pas sa vie. Il est comme moi, il est discret. Il avait donné sa parole à Yoka (ndlr, le ton est monté entre les deux hommes en juillet dernier, il était question de parole donnée). Après, l’agent a mis son nez là-dedans forcément, c’est le business. Johann n’a pas pu parce que sa femme a fait trois fausses couches. Il n’allait pas partir deux mois à Miami ou en Alabama. Il était obligé de rester près de sa femme. Je vous le dis, je suis une personne extérieure. J’ai demandé si je pouvais le dire, on m’a dit oui, donc je le dis: le mec il ne pouvait pas, sa femme a fait trois fausses couches. Voilà, c’était la dernière fois, ça passait ou c’était fini. Je trouve qu’il a bien fait de ne pas faire le combat, de ne pas partir en camp d’entraînement pendant deux-trois mois. Il était préférable pour lui de rester près de sa femme, et d’avoir un merveilleux petit garçon qui s’appelle Arsène, et qui a maintenant deux ans. Tony Yoka ne sait pas tout ça ("Yoka le savait", a déclaré Duhaupas à l'Equipe dans l'édition du journal datée du 25 septembre). Il va le sentir.

Comment croyez-vous qu’il va se dérouler ce combat, et sur quels aspects peut-il se jouer ?

Il y a une guerre psychologique, forcément, même si le trash-talking a été moindre. Je pense qu’il y a du respect des deux côtés. On respecte beaucoup Tony, pour ce qu’il va apporter à la boxe anglaise, en France. Il sait aussi que ça ne va pas être une partie de plaisir, que ça ne va pas être douze rounds de tranquillité. C’est clair. J’ai le sentiment qu’on n’ira pas jusqu’au douzième round. Je prédis que quelque chose va se passer entre le 8e et le 9e round.

Le super-fight de Jérôme Le Banner contre Cyril Abidi, à Bercy
Le super-fight de Jérôme Le Banner contre Cyril Abidi, à Bercy © @IconSport

Vous avez tout gagné ou presque dans votre discipline, acquis une renommée qui dépasse assez largement les frontières de la France. Mais vous restez un bourreau de travail. Qu’est-ce qui, à 47 ans, vous motive encore ?

Rien faire, c’est déjà faire quelque chose, à la limite. Je crois que c’est venu pendant la confinement, où je me suis dit: 'Qu’est-ce que je fais ? Est-ce qu’on déménage de France ?' C’était valable aussi. J’avais envie à un moment donné de tout quitter ici pour être l’inconnu de service au Québec ou en Thaïlande. J’ai vu que mes vidéos marchaient plutôt bien pendant le confinement. Je reçois aussi beaucoup de lettres de gens qui sont dans la misère la plus totale, qui comptent les centimes pour finir le mois, de gens qui ont plus de quarante ans et qui n’ont plus de motivation après une maladie ou un accident. Je me suis dis que je devais endosser ce rôle, d’être une canne pour les gens qui n’arrivent plus à marcher. Je n’y croyais pas, mais c’est ma femme qui a mis le doigt dessus. Je ne lis pas tout ce qui est sur Facebook, un commentaire sur cent peut-être. Elle me dit: 'regarde cet homme-là, tu as éclairé sa vie, et puis regarde celui-ci…' Au bout de vingt fois, je me suis dit, putain, oui, quand même. Parce que, même encore maintenant, quand on me pose des questions sur la boxe, je vous réponds, mais, moi, la boxe, je l’ai faite. Elle est en moi. Les sports de combat, le dépassement de soi, il est à l’intérieur de moi. Je n’arrive pas trop à exprimer, mettre des mots sur une volonté.

Le jeune homme hyperactif que vous étiez avait-il imaginé vivre une vie aussi riche de voyages et de rencontres ?

Non, du tout. Parfois, quand je vais donner à manger à mes poules tout au bout du terrain, je m’assois, je regarde la maison, et le vent qui effleure la cime des arbres. Et je me demande: 'Est-ce que tu aurais pu imaginer cela il y a trente ans ?' La réponse est non. Je ne me vois pas vieillir, c’est un peu chiant d’ailleurs. Je ne voyais pas ma vie faite de rencontre comme vous dites. Et même dans le sport de haut niveau, non.

Vous avez fait votre premier combat en full-contact à 18 ans. Qu'attendiez-vous alors des sports de combat ?

J’étais fasciné par un sportif qui s’appelait Dominique Valera. Je me souviens que j’avais fait un stage avec lui pour entrer en équipe de France. J’avais trouvé un monsieur d’une simplicité, d’une force intérieure, une rage que je percevais, qu’il étalait comme ça, tout doucement, dans ces stages. Cela me donnait envie de mettre les mêmes protections tibia, rouges ou bleues, de la marque vis. Je voulais être comme ça. Au fond de moi, je savais que les sports de combat et les arts martiaux allaient me conduire à être quelqu’un de meilleur. C’est cela qui a été le déclencheur.

Vous avez souvent dit, la violence, c’est dans notre ADN. Comment y êtes-vous arrivé à la violence, à cette haine sportive ? D’où vient cette rage qui vous anime et que vous avez su canaliser pour la disperser dans ces techniques de combat ?

Je pense que l’être humain est foncièrement méchant. On l’a toutes et tous en nous, cette violence. Dès qu’on a commencé à comprendre le pourquoi du comment de son propre être, on arrive à faire le pas de côté qui puisse enlever de ce trouble. J’ai essayé de la canaliser, cette violence, parce que j’étais hyperactif.

Le Japon, une partie de son identité
Le Japon, une partie de son identité © @JLB

Vous comptez 86 victoires en 111 combats de kick-boxing. Quelle est la victoire dont vous avez gardé le meilleur souvenir ?

Le bon truc, c’était Mark Hunt en 2002, à Paris-Bercy. C’était la première qu’on faisait ça, le K-1 arrivait en France. Il y a eu aussi ce combat où je me suis fait casser le bras (ndlr, contre Ernesto Hoost la même année, lors de la grande finale du K-1, organisée au Tokyo Dome). On apprend beaucoup dans la défaite. J’en ai appris beaucoup sur moi et sur les autres. Le téléphone a un peu moins sonné. Je me disais à moi-même: 'Tu verras Jérôme, quand t’auras fini la boxe (il pensait arrêter à 35 ans), le téléphone sonnera beaucoup moins. Et t’auras beaucoup moins d’amis'. C’est surtout ce combat-là contre Hoost qui m’a fait comprendre qu’on est rien. Toute ta vie peut basculer. Quand t’as mis tous tes oeufs dans le même panier, tout peut péter en un coup.

Vous avez remporté des titres majeurs à peu près partout où vous êtes passé, mais pas en K-1, un sport dont vous étiez la star incontestée pendant près de 20 ans. N’est-ce pas un regret majeur ?

Si, bien sûr. Quand on signait le K-1, la finalité, c’était de remporter au moins une fois le tournoi. Et en même temps, c’est aussi grâce à ce combat contre Hoost que j’ai été surnommé le roi sans couronne. Et quelque part, ça me suit encore. Si j’avais gagné le K-1, bon… c’est un peu la loterie aussi. On prend une boule, on choisit le mec… Les Japonais ne sont pas dupes. Mais démontrer l’esprit samouraï comme je l’ai fait lors de ce combat, ça m’a valu toutes les lettres de noblesse du K-1.

Le Japon c’est un pèlerinage obligatoire, une partie de votre identité ? 

On essaye d’y aller au minimum une à deux fois par an. Demain, si le Japon entre en conflit armé avec un autre Etat et que j’en suis capable, j’y vais. Je suis avec eux. Quand il y a eu le Tsunami et qu’il fallait se rendre dans les zones radioactives, ma femme et moi, on n’a pas du tout hésité à oeuvrer pour récolter des fonds qui ont servi à monter des écoles et des hôpitaux. Je leur ai dit, cela ne me dérange pas de mourir là-bas. Si je suis ici aujourd’hui, si j’ai cette vie en France, c’est grâce à vous, les Japonais, et à votre pays, le Japon. C’est le moins que je puisse faire, leur rendre la pareille. Si on me dit demain que je vais mourir d’un cancer de la gorge à cause de mon exposition aux ondes radioactives, c’est pas grave.

Dans votre carrière, vous avez aussi fait des combats libres et de boxe anglaise. Une carrière dans le MMA et à l'UFC, où de nombreux anciens kickboxeurs brillent, aurait-elle pu vous intéresser ?

Bien sûr ! J’en ai fait un peu, j’ai manié, j’ai merdé. C’est vrai que c’est sympa. Le combat ne s’arrête réellement que quand le dernier coup de gong retentit, ou quand le mec tape, ou quand il y a un KO. Il peut toujours se passer quelque chose. Quelqu’un qui a une jambe fracturée, endommagée, qui saigne du nez, il peut très bien aller au sol, redonner de la vie au combat. C’est vrai que ça m’aurait bien plu, bien sûr. Je suis né quinze ans trop tôt.

Jérôme Le Banner prépare une grosse annonce
Jérôme Le Banner prépare une grosse annonce © @JLB

Le MMA a été légalisé en France cette année après une longue attente. Pensez-vous que cette discipline a le potentiel de relancer l'intérêt des sports de combat en France ?

Honnêtement, entre vous et moi, si un tel événement devait passer sur une grande chaîne comme TF1 à partir de 22h30, je me demande si le CSA laisserait passer. Voir des vieux garçons baigner dans leur propre sang, ça peut choquer. Les Néerlandais, qui sont juste à côté de chez nous, ils ont beaucoup de clubs de boxe thaï, de MMA, il y a des galas toutes les semaines. Nous, c’est quand même la croix et la bannière. La boxe thaï a eu ses bonnes heures à un moment donné, mais ce n’était quand même pas à la vue de tout le monde. C’était généralement quand il y avait une sale affaire dans les banlieues, ou alors c’était le concert de NTM. Parce que c’était toujours rap-pitbull-banlieue-boxe thaï. J’espère que ça va se démocratiser un peu. Je dirais aux arbitres, les gars ne faites pas comme aux Etats-Unis. Là-bas les armes sont autorisés, chez nous non. En France, je pense qu’il faudrait y aller par petites touches avant d’imposer l’intégralité des règles.

Mike Tyson va faire son retour dans les rings à 53 ans. Que pensez-vous de ce retour et voir cet exemple a-t-il suscité chez vous une envie de remettre les gants ?

Les gants, je n’ai pas arrêté de les mettre. Je devais combattre au mois de novembre mais je pense que c’est annulé par rapport au Covid-19. Il y a peut-être aussi un événement en janvier à Lyon et un autre mais dont je ne peux pas vous parler dans la mesure où j’ai signé une clause de confidentialité. Mais si ça se fait, on le saura dans deux ou trois semaines, et je pense que l’annonce aura un retentissement mondial. Concernant Mike Tyson, c’est sympa pour les fans de l’époque qui n’avaient peut-être pas l’âge ou les moyens de le voir. On se rend bien compte avec les réseaux sociaux que le mec est en forme. Je suis content de le revoir. Je pense que c’est un beau projet. Quand je navigue sur Facebook, des gens me disent qu’ils n’ont plus la forme à 45 ans. Je leur dis, j’arrive à la porte de la cinquantaine, je suis en pleine forme. C’est clair qu’on a des vies différentes, mais votre corps n’est pas usé les copains. Allez, on y va ! Même s’il est un peu usé, tout est dans la tête. Il faut y aller ! Il ne faut pas s’écouter, donc là je suis content qu’il ne s’écoute pas, Mike. On aura peut-être l’occasion de se dire bonjour.

Ce serait beau, non ?

Il parle de moi dans son bouquin, je devais le rencontrer au Japon. Il avait un casier judiciaire, donc il ne pouvait pas prendre l’avion pour le Japon. On s’est rencontré une fois à Vegas. Pourquoi pas remettre ça, l’avenir est incertain (sourire).

En septembre 2017, vous aviez sauvé un chauffard d'un lynchage à Annecy en le retenant jusqu'à l'arrivée de la police pour laisser la justice faire son travail. Que pensez-vous de la violence qui semble monter dans notre société ?

La violence, je la sens monter. Il y a beaucoup moins de respect, les gens n’ont pas assez peur. Je remettrai au goût du jour les maisons de correction et de redressement. L’éducation, ce bateau, l’arche, sur lequel on naviguait avant, ce n’est plus le même. Les choses prennent une telle tournure dans ce beau pays qu’est la France… Je suis dégoûté ! Je commence à détester mon pays. Il faudrait de la poigne, une main de velours dans un gant de fer. Et même une ferraille rouillée, vu la tournure que ça prend.

Edouard Philippe a retrouvé son fauteuil de maire. A-t-il repris le chemin des salles de boxe ?

J’étais avec lui hier*, justement, il est très, très bien. Il a pris un petit peu de poids après ses trois années de fonction en tant que Premier ministre. Je m’occupais d’un gosse quand lui s’entraînait le matin à 7h. J’avais rendez-vous avec un mec de l’INSEP qui fait de la lutte. On a eu l’occasion d’échanger deux ou trois minutes. Techniquement, il a bien progressé. Je l’appelle toujours soit Monsieur le Maire, soit PM (pour Premier ministre) voire NP (pour Next President), il le sait bien, ça le fait rigoler. Mais je le considère en tant que sportif. Je n’ai jamais été le voir dans son bureau. On ne parle jamais de politique.

*L’entretien a été réalisé le vendredi 18 septembre

Quentin Migliarini (avec Alexandre Herbinet)