
Boxe: fini le gendre idéal, comment Anthony Joshua s’est réinventé après la chute
Des cases construites sur pilotis en vielle tôle ondulée ou en bois. Des pirogues d’un autre âge pour se déplacer. Une pauvreté palpable. Extrême. La légende dit que même les politiciens locaux ne s’y rendent pas. Anthony Joshua, si. Bienvenue à Makoko, bidonville flottant surpeuplé sur le lagon Lagos – du nom de la principale ville du Nigeria, où il se trouve – dont les autorités locales n’ont pas daigné compter les 300.000 âmes estimées lors du dernier recensement. Comme s’ils n’existaient pas. Si l’ancien roi déchu des lourds récupère ses ceintures WBA Super, IBF et WBO abandonnées à Andy Ruiz Jr en juin ce samedi soir en Arabie saoudite, les habitants de Makoko auront pourtant joué un rôle essentiel. Ranimer le feu.
Le même mais plus le même
Né en Grande-Bretagne de parents immigrés, Anthony Oluwafemi Olaseni Joshua avait passé six mois en internat au Nigeria à douze ans mais n’était plus revenu depuis dans le pays de ses ancêtres. Plus de dix-sept ans. Mais passé le choc du TKO subi au Madison Square Garden, le boxeur qui a un tatouage de l’Afrique sur le biceps droit a senti le besoin d’un retour aux racines. Et pas dans les ors et le luxe. "Après la défaite, j’ai eu le temps de respirer pour la première fois depuis longtemps, explique-t-il à RMC Sport. On m’a dit: 'Tu vas au Nigeria? Wow! C’est la bande de Gaza là-bas!' Je suis allé dans les ghettos les plus pauvres, où il ne s’agit pas des egos ou des querelles. Les gens ont faim, il est question de survie. J’aurais aimé y aller plus tôt."
Obama en inspiration
Il promet de combattre en Afrique un jour. A Makoko, certains ne savaient pas vraiment qui il était. Mais on a chanté son nom. On lui a donné de l’amour. Tout ce qu’il fallait après la destruction en règle de réseaux sociaux devenus tribunaux populaires de l’époque. Il cherchait des réponses, il a trouvé de la force. "Cela m’a revitalisé et ramené à la vie. Ils m’ont dit: 'Assure-toi de récupérer ces ceintures', raconte-t-il à Sky Sports. C’est très, très inspirant." Anthony Joshua est le même homme que celui battu à New York il y a six mois. Mais il n’est plus le même. Il s’est "réinventé mentalement", a retrouvé "l’appétit pour (s)on sport". La locomotive du golden boy de la boxe britannique a déraillé sur la voie tracée vers l’éternité pugilistique.

Mais le champion redevenu challenger semble avoir compris quelque chose. Cette idée que tout n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Qu’il faut se battre pour durer, encore, et encore, même si on avait jusque-là toujours tout réussi entre les cordes. Symbole de cette évolution sur la quête de la rédemption, ces retrouvailles avec le Nigeria, où il veut désormais "aider plus", en ont précédé un autre. Sa rencontre avec un certain Barack Obama, ancien président américain, expert en gestion de critiques. "C’est un homme inspirant, pointe Joshua. Il a dû faire face à beaucoup et il n’a pas fait un mauvais pas. Il est marié avec des enfants et sans scandale. Il est devenu président juste après une crise financière globale et a quand même été réélu. Il était le premier président noir et certains disaient qu’il n’était même pas américain et demandaient à voir son certificat de naissance à cause de son héritage africain. Quand je l’ai rencontré, je me suis demandé: 'Quel genre de personne est-ce que je veux être?' C’est quelqu’un de très puissant mais qui la joue profil bas."
Sous le choc
Un bidonville et l’ancien homme le plus puissant de la planète. Le grand écart dessine le chemin pour se réinventer en six mois. Souvenez-vous de son sourire et son bras sur l’épaule de Ruiz après la défaite. La première idée était de souligner son fair-play. Mais il était juste sous le choc. Terrifié par le vide devant lequel l’avait plongé celui qui avait remplacé au pied levé le dopé Jarrell Miller – un risque pour Joshua, qui en avait marre d’entendre qu’il esquivait Deontay Wilder ou Tyson Fury et a voulu un adversaire de haut niveau même au dernier moment – et à qui beaucoup ne donnaient aucune chance vu sa bedaine un peu trop protubérante. On se souvient de sa visite surprise sur un playground new-yorkais juste après sa défaite, où le garçon se fait chambrer par des inconnus en gardant un grand sourire. Son monde s’était écroulé mais il ne le réalisait pas vraiment encore.
Nuits difficiles
"On se rend compte qu’il a été touché, très affecté, estime Brahim Asloum, ancien champion olympique et champion du monde, consultant pour RMC Sport, quand on lui montre son interview à notre micro. Quand on perd, tout est remis en question. On se pose de vraies questions, qui seront utiles." L’intéressé confirme: "La question n’est pas ce qui reste de cette défaite, car c’est un discours de perdant, mais ce que j’en ai tiré. J’ai encore beaucoup à donner et seules les leçons importent." Il évoque la notion de "cauchemar" et quelques nuits difficiles pour trouver le sommeil, ce moment où il y "pensai(t) vraiment". Mais il a fallu faire front. Rester debout face au flot de critiques d’un public qui s’est senti trompé. Répondre aux rumeurs, aussi. Pour expliquer ce qu’on n’attendait pas, on a cherché à trouver ce qui pouvait le justifier.
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Un sparring-partner l’aurait blessé à l’entraînement. Il aurait fait une crise de panique dans les vestiaires. Il fallait virer son coach historique Rob McCracken, directeur de la performance de GB Boxing, forcément responsable de la chute. Il a tout nié et assumé, confirmant très vite sa volonté de rester avec son entraîneur pour le sport comme pour l’humain, mais on continue encore de l’interroger là-dessus. Comme si on ne voulait toujours pas y croire. L’acceptation est pourtant au cœur du rebond. Réaliser que sa défaite ne sortait pas seulement d’un "coup béni des dieux", comme il l’a d’abord affirmé, ou d’une simple volonté de bien faire trop vite pour répondre au spectaculaire KO de Deontay Wilder sur Dominic Breazeale au premier round quinze jours avant, mais avait tout de la logique avec un Ruiz qui avait concocté le plan parfait avec son coach Manny Robles. Et qui rappelle que le style du Britannique était "parfait" pour le voir le renverser.
"Je suis toujours un bébé!"
Dans les mots, il évoque une "complaisance" et l’idée qu’il aurait battu son rival "neuf fois sur dix". Mais dans les faits, on comprend que celui qui dit avoir pris "sérieusement" le premier combat sait que la copie est à revoir. Alors retour à la base, à manger de la boxe encore et encore. "C’est important, confie-t-il à RMC Sport. Tous les grands boxeurs se sont appuyés sur de solides fondamentaux. Je sais que je dois encore travailler. Je suis toujours un bébé! Cela ne fait que dix ans que je boxe, amateurs et pros confondus. J’ai encore à apprendre, je ne vais pas le nier. J’ai été sous les projecteurs depuis le début de ma carrière et je n’ai jamais eu le temps d’apprendre." Il n’a pas fallu le pousser beaucoup pour repartir au turbin. "Parfois, c’est dur de trouver la flamme. Mais il y a des combats pour lesquels on a envie d’aller à la salle", sourit-il.
L’œil du tigre
L’entraîneur principal n’a pas changé mais des choses ont bougé. On trouve deux nouveaux "hommes de pattes d’ours" à ses côtés, Angel Fernandez et Joby Clayton, qu’il a été chercher lui-même alors que beaucoup d’autres avaient proposé leurs services. Il a aussi changé ses sparring-partners après avoir critiqué ceux du premier combat, accusés de chercher "quinze minutes de gloire" car certains avaient fait fuiter l’idée qu’ils lui avaient fait mal à l’entraînement. Si "AJ" avait parfois eu du mal à trouver des sparring dans le passé, il y avait du monde au portillon "pour voir ce qui se passe" dans les effluves de la défaite, avec par exemple une session avec le lourd britannique Derek Chisora.
On trouvait aussi l’invaincu prospect américain Timothy Moten, venu répliquer le physique atypique pour l’époque proposé par Ruiz. Un Moten qui a confirmé au Daily Mail que Joshua avait retrouvé l’œil du tigre en balayant la rumeur qui voulait (une nouvelle fois) qu’il ait été blessé par un sparring: "Il y a des gars qui sont venus, se sont fait laminer et ont été renvoyés à la maison la même semaine. Il a mis à terre plusieurs de ses partenaires et il en a secoué beaucoup. Il a l’esprit du guerrier. Sa mentalité est de tout détruire. Il est un lion en cage hyper concentré et quand il sera l’heure, il sera lâché." Pour s’habituer au style mexicain et aller à la bagarre, ce que Ruiz sait très bien faire, le Britannique a aussi sparré Elvis Garcia, un lourd mexicain. Qui revenait toujours au feu après avoir été touché, permettant à Joshua de travailler son calme, sa maîtrise des événements, ses mouvements de tête et sa capacité à garder sa garde haute même quand il veut toucher avec des coups puissants.
Klitschko en conseiller spécial
Etudiant de son sport, Joshua a aussi ouvert des livres d’histoire pour s’inspirer des glorieux anciens qui avaient trébuché. Il a surtout pris des conseils auprès du plus illustre de ses... adversaires, l’Ukrainien Wladimir Klitschko, ancien champion WBA Super, IBF et WBO, battu par TKO en avril 2017 à Wembley dans un combat resté dans la légende et depuis lequel ils sont en contact. Un boxeur capable de lui rappeler la forcer du "framing", technique consistant à utiliser ses bras pour garder un adversaire loin de vous ou sous vous dans le cas d’un "AJ" qui possède l’avantage de taille et d’allonge sur Ruiz mais n’a pas su l’utiliser dans leur premier combat, confirmant sa tendance (mauvaise) à plier les genoux pour se rabaisser et se mettre au niveau de l’autre comme il l’avait déjà fait face à ses trois adversaires précédents, eux aussi tous plus petits, Carlos Takam, Joseph Parker ou Alexander Povetkin.
Plus question de plaire à tout le monde
En restant haut et le plus à l’abri possible des coups de son adversaire, il obligera ce dernier à l’attaquer au corps pour faire son travail de sape mais ouvrira la voie à la maîtrise de la distance par des uppercuts dans le bon timing (dès que l’autre avance) comme Lennox Lewis s’était régalé à faire pour mettre Mike Tyson KO en 2002. "Il m’a dit beaucoup de choses, a raconté le Britannique. Il est plus discipliné que moi. Il m’a donné des conseils diététiques et pour l’entraînement. J’ai adopté quelques-unes de ses leçons." Pour gagner en vitesse, celui dont on avait noté la musculature trop imposante avant le premier combat a aussi perdu du poids. Et si le corps a changé, la tête aussi. "J’écoute des discours de motivation sur YouTube et avant, je zappais toujours la partie sur la défaite. Mais mes oreilles sont ouvertes à cela désormais."

A voir les interviews enchaînées comme autant de passages sur un divan nécessaire pour repartir, la différence est nette. Le charisme est toujours là. Mais les mots sont moins calculés. Fini le gendre idéal trop lisse. Joshua a vu certains qui l’adulaient le détruire pour une défaite et "commencé à entendre ce que les gens pensaient vraiment de (lui)". Plus question d’essayer de plaire à tout le monde pour celui qui admet tout de même avoir su tirer "des vérités" de certaines critiques. En pratique, cela donne une sortie comme celle-là: "Je vais lui botter les fesses. Tout le monde parle de combien Andy Ruiz est grand donc quand je vais le battre, je veux que tout le monde se prosterne à mes pieds et me dise combien je suis grand."
Le "clown" Lennox Lewis
Ou ça, au sujet du côté fardeau d’être champion du monde unifié des lourds, sortie irréelle pour le garçon il y a encore quelques mois, surtout dans une période où les boxeurs ont payé un lourd tribut à l’image de Patrick Day: "C’est comme d’être un tueur à gages, non? Bang, le prochain. Bang, le prochain." Ou encore ça, lâché à des journalistes avec deux doigts d’honneur à l’appui: "Quand je vais gagner, je dirai: 'Allez tous vous faire foutre'." Joshua, qui a aussi traité son illustre compatriote et ancien champion du monde des lourds Lennox Lewis de "clown" après des critiques ces derniers mois, montre enfin les dents, et ça le rend plus humain. Tout comme son défi à l’histoire. Souvent, un roi déchu du noble art va attendre un peu avant de retourner au charbon contre celui qui l’a détrôné. Histoire de prendre le temps de s’adapter pour corriger ce qui a tourné dans le mauvais sens. Pas le genre de la maison "AJ".
"Un autre moment qui va me définir"
"Quand vous subissez une défaite comme ça, ça demande beaucoup pour se relever, rappelle Rob McCracken. Mais il était tout de suite très positif. Un ou deux jours après, il voulait déjà y retourner pour effacer ses erreurs et montrer une meilleure version de lui-même." "Ce qui motive à gagner est la peur de perdre, philosophe l’intéressé dans le podcast In The Duffle Bag de son sponsor JD Sports. J’ai perdu et tous les yeux sont à nouveau sur moi. Comment va-t-il gérer ça? Il était important pour moi de le gérer comme un vrai champion. Et la plus grande des opportunités est sortie de ça. Un autre moment qui va me définir." Attendre aurait sans doute signifié un adieu (à court terme en tout cas) à ses rêves de champion unifié et incontesté à quatre ceintures, car la WBO et/ou l’IBF auraient pu rendre leurs ceintures vacantes si Andy Ruiz Jr n’avait pas accepté d’affronter ses challengers obligatoires.

Morcelés, les titres auraient été longs à rassembler. Mais là, il s’offre encore la possibilité d’en récupérer trois et d’espérer croiser Deontay Wilder et sa ceinture WBC pour l’unification totale. Le défi d’un vrai champion qui veut "passer à l’étape supérieure". "La plupart des combattants attendent deux ans pour venger une défaite, lance-t-il à notre micro. Mais ils ne sont pas moi. Je marche face à l’adversité, je ne la fuis pas. Je n’ai pas peur de lui. J’aurais pu retourner combattre en Grande-Bretagne et me reconstruire mais non! Je boxe pour le titre mondial des poids lourds." "Il a fait le vide et il revient pour être le plus fort. Il veut remonter à cheval tout de suite et il a raison car c’est la marque d’un champion", pointe Brahim Asloum.
"Je revois ce gamin ambitieux"
"Il veut récupérer ce qui lui revient de droit, insiste Eddie Hearn, son promoteur et patron de Matchroom Boxing, pour Sky Sports. Il n’y a pas de combat de transition ou d’échauffement pour se remettre dans le rythme. Il m’a dit: 'Je veux ce combat maintenant'. C’est très dangereux d’affronter quelqu’un de confiant comme Ruiz. Mais Anthony est remonté. Je ne l’avais pas vu comme ça depuis longtemps. Il est prêt, il a faim: je revois ce gamin ambitieux et j’adore ça! Il est passé d’une superstar adulée à des gens qui disent qu’il est surcoté. C’est un bon mec, qui a donné sa vie à ce sport. Ne le rayez pas, il est dos au mur désormais et il a sur les épaules le poids de montrer au monde qu’il est le roi. Je suis fier de la façon dont il est revenu car personne n’avait plus mal que lui après cette défaite. Il a connu des nuits sans sommeil mais il a relevé ses manches et il vise le retour sur son trône."
"J'ai appris comment prendre une défaite comme un homme"
Joshua, qui pourrait finir 2019 sans victoire en cas de nouveau revers et dont le promoteur promet un retour sur un ring britannique (là où il a façonné sa carrière jusqu’à New York) en 2020, dit qu’il expliquera tout ce qu’il a "traversé" une fois ses titres reconquis. On a déjà saisi l’idée. Le changement, c'est maintenant. "Repartir de zéro", comme il dit. "J’accepte ma défaite, je vis avec et je reviens. Elle m’a affecté mais pas de manière négative. Il en faut plus pour abattre un homme comme moi. Mais j’ai appris comment prendre une défaite comme un homme. Et célébrer d’avoir une deuxième chance. On y retourne."
Tyson Fury, son rival britannique, affirme que Joshua a trouvé son "croque-mitaine" avec Ruiz, typique des petits lourds aux mains rapides contre lesquels "AJ" a toujours galéré selon le champion WBA Super, IBF et The Ring des super-légers et son ancien coéquipier de l’équipe olympique britannique Josh Taylor. Que le premier champion du monde des lourds de descendance mexicaine possède le style parfait pour le battre et qu’il va le refaire. Peut-être. Mais "AJ" fait face et ne se cache pas. Ruiz l’a accusé droit dans les yeux d’avoir "abandonné" lors du premier combat à l’occasion du débat Gloves Are Off organisé par Sky Sports. Il n’a pas sourcillé, déterminé. Certains le voient raccrocher les gants en cas de nouvelle défaite qui l’expédierait loin des sommets mondiaux. Lui promet de rester encore sur les rings de nombreuses années quoi qu’il arrive.
"Pas de marge d'erreur"
S’il perd, il aura toujours moins de défaites que Klitschko au même âge (30 ans), ce qui n’avait pas empêché l’Ukrainien de régner ensuite plus de dix ans sur la catégorie. Il devra juste tout réinventer, son chemin de carrière, son clan, sa façon de combattre. Dans le cas inverse, il aura su boucher les failles pour se replacer dans la discussion du meilleur lourd actuel. Quoi qu’il en soit, le pari est énorme. Mais il est prêt. "Il est de bonne humeur, il blague et rigole, confirme Rob McCracken au Guardian. Il sait aussi que s’il fait tout bien, il gagnera. Mais qu’il n’y a pas de marge d’erreur."
Vous avez dit pression? "Pour certains, je suis toujours leur grand champion. Pour d’autres, non, constate-t-il. Mais moi, je me sens bien. Je n’ai aucune appréhension. Et je suis toujours heureux de boxer. Je n’ai pas perdu mon courage. Je sais ce que je veux et je le fais pour moi. J’ai toujours la passion." L’une des plus grandes stars du noble art va être poussée jusqu’à sa limite. Va-t-elle craquer? "Je me suis fait brûler la première fois, je ne me ferai pas brûler la deuxième", répond celui qui a déjà annoncé une belle "à coup sûr". Anthony Joshua, toujours favori des bookmakers malgré ce qui s'est passé en juin, ne laissera plus personne écrire son scénario à l’avance. Il sait trop ce que ça lui a coûté au Garden.