
Boxe: Errol Spence Jr, le retour du miraculé
Il n’a pas de souvenir précis de l’accident, sorte de flou dans sa mémoire. Mais les images en laissent une trace indélébile. Il y a quatorze mois, dans la nuit du 9 au 10 octobre 2019, Errol Spence Jr a vu la mort de près dans les rues de Dallas. Alors que l’horloge approche les trois heures du matin, il perd le contrôle de sa Ferrari – il avait bu au-delà de la limite autorisée – qui part dans une impressionnante série de tonneaux captée par les caméras de surveillance. Le boxeur américain invaincu (26-0, 21 KO ; 30 ans), qui trois semaines auparavant ajoutait la ceinture WBC à son titre IBF des welters en battant son compatriote Shawn Porter sur décision partagée dans un combat épique, est éjectée du véhicule et termine sur le goudron.
Vite envoyé à l’hôpital, il s’en sortira avec quelques dents en moins, des coupures et des gros bleus au visage, très gonflé, mais sans blessure majeure, fracture ou os cassé. Un miracle quand on revoit les images de l’accident, terrible, violent. Pour son camp, la suite de sa carrière n’était plus la question. On était juste heureux, soulagé, de le voir sain et sauf. L’intéressé aussi. Avec en conséquence une nouvelle approche de la vie. "Quand vous êtes plus jeune, vous pensez que vous êtes invincible, philosophe-t-il pour le site du magazine The Ring. Vous ne pensez pas à un crash ou autre chose qui puisse vous faire mourir. Vous pensez juste que vous êtes immunisé à tout, que rien ne va vous arriver. Et quand vous vivez une expérience proche de la mort, cela change votre perspective sur les choses. Vous vous dites: 'Je peux partir n’importe quand'. J’ai pu m’assurer que les gens que j’aime seraient protégés si quelque chose m’arrivait."
"Comme une deuxième chance pour moi"
A l’époque, il n’avait encore rien prévu de précis pour ses enfants (deux filles, plus un fils venu les rejoindre entre-temps) et leur mère. En cas de malheur, il dit que "les gens se seraient battus pour (mon) argent". Depuis, il a contracté une assurance vie et rédigé un testament pour assurer l’avenir financier des siens. L’homme a changé. Et le boxeur? A sa sortie de l’hôpital, les douleurs au cou et à la hanche étaient constantes. Ses muscles étaient "traumatisés", selon ses propres mots. Il a fallu reconstruire son outil de travail, pas à pas. "Ça a pris beaucoup de temps pour que mon corps revienne en forme", confirme-t-il. Il y avait aussi les difficultés mentales à surmonter, comme ce jour il y a quelques mois où il fondait en pleurs dans sa douche en pensant à sa "chance" d’être encore de ce monde. Et au milieu de tout ça, il fallait redevenir combattant.
Quand il avait battu Porter, l’ancien champion WBC des welters Danny Garcia était monté dans le ring pour le défier et mettre en route un combat prévu pour le 25 janvier 2020. L’accident avait repoussé l’échéance au printemps. La pandémie de Covid-19 est ensuite passée par là pour un nouveau report. C’est finalement ce samedi, dans le stade des Dallas Cowboys (NFL) à Arlington (Texas), que les deux hommes vont se retrouver dans le ring pour un combat très attendu, ceintures WBC et IBF en jeu. Un choix osé pour Spence. Car Garcia, qui a également été titré chez les super-légers et qui n’a jamais été mis à terre dans une carrière pro où ses deux seules défaites (36-2, 21 KO; 32 ans) étaient des décisions accrochées, n’est pas n’importe qui. Mais pas question pour Errol de passer par un combat d’échauffement avant de replonger dans le grand bain, accident et inactivité de plus d’un an ou pas.
"Je l’ai choisi car c’est un adversaire très difficile avec un menton en granite, appuie-t-il. Il est toujours dans des combats durs et serrés et il va sortir mon meilleur. Si j’avais pris un combat de chauffe avant, je ne serais pas aussi concentré et déterminé que pour lui. Il veut venir prendre mes ceintures chez moi et je dois m’assurer que ça n’arrive pas. Les adversaires moins forts, c’était quand je n’étais pas champion. Je suis enfin arrivé au top, où je peux combattre les grands noms, ceux que j’ai toujours voulu boxer, et je ne vais faire machine arrière. L’accident m’a donné encore plus faim. J’ai retrouvé la faim que j’avais avant de gagner le titre."
Spence, qui a repris l’entraînement sérieux et mars et voulait être sûr d’être à 100% avant de remonter sur le ring, confirme ne plus avoir de reste physique de l’accident. Son médecin lui a donné le feu vert pour son retour. Son entraîneur de longue date, Derrick James, qui avait au départ des doutes sur sa capacité à retrouver son niveau, parle d’un "processus graduel" et de "progrès visibles jour après jour" et annonce que le public "va voir qui il est vraiment" face à Garcia. Son boxeur, lui, compte "frapper un grand coup" et "envoyer un message" au reste des welters, et notamment à l’invaincu champion WBO Terence Crawford avec qui tout le monde espère le voir combattre l’an prochain: "Je garantis qu’on verra des images de mes bons moments partout. Ce sera une grande performance."
Considéré comme un des meilleurs boxeurs de la planète toutes catégories confondues, et à raison, Spence va devoir prouver avec ses gants qu’il appartient toujours à cette élite. Sur ses qualités dans le ring, aucun doute. Mais tant qu’on ne l’aura pas revu aux affaires, le doute persistera vu d’où il revient. Lui voit la chose autrement. S’il repense parfois à son accident, c’est pour se dire que la vie lui a ouvert une nouvelle porte au lieu de la fermer pour de bon: "C’était un miracle que je survive. Combattre un boxeur comme Danny Garcia un peu plus d’un an après, et chez moi au Texas, c’est énorme. La route du retour a été longue mais c’est comme une deuxième chance pour moi." Elle a commencé quand il est sorti indemne de l’accident. Elle va maintenant se poursuivre dans le ring.