
Boxe: Deontay Wilder, l'homme qui ne connaissait pas les limites de sa puissance
L’anecdote fait sourire autant qu’elle terrifie. Pour le narrateur, on se tourne vers l’intéressé, Deontay Wilder, champion WBC des lourds qui retrouve le Cubain Luis Ortiz (déjà battu en mars 2018 après un combat où il avait été mis en grande difficulté) ce samedi à Las Vegas pour la dixième défense de son titre conquis en janvier 2015. "Parfois, je tiens la main de ma copine et elle me dit: 'Hey bébé, tu me fais mal', raconte le boxeur américain au micro de Fight Hub TV. Je ne réalise pas de quoi elle parle car c’est normal pour moi." Bienvenue dans le monde du "Bronze Bomber". Pas besoin de chercher ailleurs, dans le noble art actuel, personne ne présente une puissance similaire à celle de Deontay Wilder. Peut-être même dans l’histoire de la boxe.
95% de KO, aucun lourd n'a fait mieux
Les statistiques parlent pour lui: 95% de KO/TKO en quarante-deux combats (41-0-1 ; 40 KO), meilleur pourcentage de l’histoire chez les lourds avec au moins quarante passages entre les cordes devant les légendaires Rocky Marciano (88%), Vitali Klitschko (87%), Frank Bruno (84%) ou George Foreman (84%). Une patate de forain sur pattes, terreur des rings qui coucherait un buffle de sa foudre dans le poing droit. De quoi rappeler à certains le profil dévastateur du "baddest man on the planet" de la fin des années 80, grande gigue en plus. "Wilder, pour moi, c’est Mike Tyson mais encore un cran au-dessus physiquement, compare Brahim Asloum, ancien champion olympique et champion du monde consultant pour RMC Sport. Un Tyson faisait 1,80 mètre pour 98 kilos. Lui fait plus de deux mètres et plus de cent kilos! Mais dans le punch, c’est pareil. Et ils ont la même folie de tueurs à gage dans le ring."
Des coups "à la limite de la légalité et de la criminalité"
Wilder est pourtant le plus léger des grands lourds actuels à l’heure de monter sur le ring. Mais celui qui n'est pas adepte de la musculation possède ce truc en plus. "Je suis né avec, estimait-t-il en 2018 au micro de FightHype. J’ai toujours eu cette puissance. Mon père ne voulait pas nous voir ne rien faire alors il nous faisait travailler. J’ai travaillé toute ma vie, je faisais beaucoup de choses à la maison. Ça a construit ma force." Jay Deas, l'un de ses entraîneurs, qui admet renforcer ses pattes d'ours quand il faut le faire travailler, confirme: "Dans une large mesure, vous êtes né avec votre puissance. Vous ne pouvez l'améliorer que d'environ 10% avec le travail physique et technique." Sur le ring, l’homme fan de plongée sous-marine dans son temps libre paraît possédé. Il faut voir, ou revoir, son terrifiant KO en moins d’un round contre l’Haïtien Bermane Stiverne – le seul qui l’avait poussé au bout d’un combat avant Tyson Fury lors de leur premier affrontement en 2015, quand Wilder avait remporté la ceinture WBC – en novembre 2017 pour comprendre. "Moulin à vent swinguant", comme l’avait surnommé Fury avant leur nul en décembre dernier, Wilder fracasse son adversaire comme on se lâcherait sur un sac de frappe ou un mannequin en mousse.

Ses deux bras-baguettes dans tous les sens, les bases défensives laissées au vestiaire et la technique aux oubliettes, l’Américain avance, encore, toujours, et envoie valdinguer un Stiverne dont le langage corporel finit par évoquer une forme de peur. Plus envie de manger ça dans la tête. On peut le comprendre... Ce soir-là, à Brooklyn, même l’arbitre ne passera pas loin d’en prendre une en tentant de séparer les deux hommes après avoir arrêté le challenger. "Ce n’est pas un boxeur qui essaie d’être propre, constate John Dovi, manager de l’équipe de France olympique et autre consultant RMC Sport. C’est un ouragan. Il est vraiment furieux sur le ring, habité, et c’est ce qui est encore plus dangereux. Ses principales qualités sont son punch et sa furie car il faut être un peu débranché là-haut pour être aussi dingue sur un ring... C’est même parfois dangereux pour l’arbitre. Mais c’est sa force." Le style est tellement anarchique que Luis Ortiz a évoqué ces derniers jours en conférence de presse des coups "à la limite de la légalité et de la criminalité" quand il frappe "avec l’intérieur de ses poings" ou "vers le bas depuis le haut du crâne". "La seule chose criminelle, c’est que je frappe des gens avec ma main droite et que je ne suis pas loin de les tuer", a répondu l’accusé.
Il peut égaler Ali
Qu’on aime son style ou pas, le surpuissant Wilder fait peur à la concurrence. Très peur. Mais avec lui, il y a toujours un mais. Pas assez technique, pas assez boxeur, trop pur bagarreur, trop à la limite dans ses déclarations. Sauf rares exceptions, personne ne place dans son top 10 pound-for-pound (toutes catégories confondues) celui que beaucoup accusent de ne pas avoir assez affronté de grands noms en plus de quarante combats. Quasi insultant si l'on s’en tient juste aux faits: s’il bat Ortiz, l’Américain qui blesse parfois ses propres coaches à l’entraînement tant il ne contrôle pas sa patate égalera le second règne de Muhammad Ali avec la mythique ceinture verte de la WBC (dix défenses victorieuses) et seul Larry Holmes sera encore devant (seize défenses victorieuses)! Et la question de se poser: un lourd, catégorie où un coup bien placé ne pardonne souvent pas, doit-il forcément posséder plus que cette électrisante capacité à éteindre la lumière de l’adversaire en un clin d’œil?
"Parfois, j’essaie de réparer quelque chose et je finis par le casser"
Pour les puristes, la réponse sera positive. Pour le spectacle proposé au grand public, en revanche... "Il n’a qu’un style, avancer et vous mettre KO", critiquait Tyson Fury avant leur premier combat (une revanche est prévue pour le 22 février si Wilder passe l’obstacle Ortiz sans encombre). Pas faux. Mais il marche. Alors pourquoi s’embêter à changer de formule? "Techniquement, il correspond à ce que j’étais quand j’avais onze ou douze ans, reconnaît Mark Breland, un de ses entraîneurs, médaillé d’or olympique en 1984 et deux fois champion du monde chez les pros, au brillant journaliste-auteur Brin-Jonathan Butler pour le site The Undefeated. Mais il est un lourd dans l’ère moderne. S’il peut vous faire valdinguer en une droite, ça suffit." L’intéressé résume la chose d’une formule parlante: "Mon adversaire doit être parfait pendant douze rounds pour me battre alors que je n’ai besoin que de deux secondes."
Le choc face à Fury (comme la première avec Ortiz d'ailleurs) en avait apporté une preuve éclatante. Pour beaucoup, le Britannique a dominé l’Américain sur l’ensemble du combat. Mais la foudre a parlé pour envoyer deux fois Fury au tapis et arracher un nul après avoir vu son valeureux rival se relever de l’enfer au douzième round. La puissance de Wilder, qui avait envoyé une mascotte à l’hôpital après avoir testé son punch sur elle pour une émission de télé, peut tout renverser. Jusqu'à demander à être domptée. "Je ne connais pas encore les limites de ma propre puissance, balance-t-il à Fight Hub TV. Je me dis parfois que c’est fou d’avoir tant de puissance que vous blessez quelqu’un à chaque fois que vous faites quelque chose. Si je pose la main sur votre torse, vous avez l’impression d’avoir une brique dessus." Un de ses frères, mécanicien qui taquine aussi de la peinture, peut témoigner. "Parfois, j’essaie de réparer quelque chose à la maison ou avec lui et je finis par le casser", s’amuse Deontay.
Docteur Deontay Wilder et Mister Bronze Bomber
Pour les têtes de ses adversaires, il fait exprès. Sans contrôle, vraiment? Il est très intéressant de noter que 48% de ses coups puissants touchent leur cible, meilleur ratio chez les boxeurs actifs toutes catégories confondues. Et que ses adversaires ne lui mettent que 7,4 coups par round contre une moyenne de 15 chez les lourds. A le regarder, le bordel technique est évident. Mais peut-être plus maîtrisé qu’on ne le pense, comme s'il avait trouvé une formule pour manier au mieux la nitroglycérine de sa droite et son timing. "Il y a tellement de choses que je sais faire sur un ring et pour lesquelles je ne reçois aucun crédit, se plaignait-il il y a quelques mois dans les colonnes du Daily Mail. La vérité sur mes qualités n’a pas encore été exposée. Les gens négligent beaucoup d’aspects de ma boxe. Et c’est pour ça qu’ils finissent KO. Quand ils disent que je n’ai que ma droite, ils ont le mauvais état d’esprit car ils ne me prennent pas assez au sérieux." On comprend son envie de de plus grande considération. Mais le punch reste la principale – seule? – arme du "Bronze Bomber", surnom hommage à l’ancien champion du monde des lourds Joe Louis, lui aussi originaire de l’Alabama et qu’on appelait Brown Bomber.
"En grandissant, je devais être dur"
Celle sur laquelle le premier Américain à détenir une ceinture mondiale principale dans la catégorie reine depuis Shannon Briggs en 2006-2007 a raison d’insister pour continuer de lever les bras. Celle qui le raconte, aussi. Son style et sa puissance, c’est son histoire personnelle. La dichotomie Docteur Deontay Wilder et Mister Bronze Bomber d’un monstre gentil plus nounours que brute dans la vie de tous les jours mais qui sait endosser un autre visage à l’heure de boxer et de vendre ses combats. "C’est comme si une autre personne sortait de moi", répète-t-il souvent. La résultante d’une vie à plusieurs facettes. Plongée en enfance, à Tuscaloosa, dans cet Alabama où le racisme perdure encore trop, où il grandit – il compte racheter de l’immobilier et construire des logements et des commerces dans son ancien quartier – dans une famille de six frères et sœurs. Pas de ghetto, deux parents présents, une grand-mère et un père pasteurs, une famille religieuse et des règles très strictes. On n’écoute pas de rap ou de r’n’b, musiques du démon. On ne regarde que très peu la télé, et pas n’importe quel programme.

Dehors, par contre, on défend les siens. Quitte à sortir les poings. "Je ne cherchais jamais les problèmes mais les problèmes me trouvaient toujours, raconte-t-il au Daily Mail. J’ai toujours été un solitaire, je n’ai jamais embêté quelqu’un. Mais les gens autour me testaient pour voir si j’avais du courage et du cœur. (...) Si les gens m’embêtaient ou tentaient de me frapper, je répliquais. Mon père nous a appris ça. Il m’avait dit de m’occuper de mes frères et sœurs et avait précisé: 'Si tu reviens à la maison en pleurant, je vais te donner une vraie raison de pleurer car cela veut dire que tu n’as pas fait ce que tu devais faire'. En grandissant, je devais être dur. C’était une obligation. Sinon, on allait me marcher dessus."
"On se corrige car on s'aime"
La furie qu’on voit sur les rings vient en partie de là. "Mon père nous répétait: 'Je vous corrige car je vous aime', poursuit-il. Dans la boxe, ont fait pareil: on se corrige car on s’aime. On s’appelle ça le respect." Le gamin solitaire se transformait devant l’adversité et le champion en pleine lumière fait de même. "Ma mère m’a toujours dit que j’avais beaucoup de colère en moi. On n’a jamais su d’où ça venait, confiait-il à L’Equipe en 2017. Parfois, en pleine bagarre, cette colère jaillissait et même si le gars saignait, impossible de m’arrêter avant d’être rassasié. J’étais juste un mec timide, je détestais me battre. J’ignore pourquoi les gens venaient autant me provoquer. En tout cas, je ne me suis jamais échappé, mon truc c’était d’être un bonhomme et de faire face. J’avais cette violence à apaiser. Parfois, j’avais l’impression d’être un faucon qui ne s’arrête que lorsqu’il a fait assez de dégâts à sa proie."
Naieya, sa raison de se battre
On a parfois sorti des flingues devant lui mais "grâce à Dieu" (qu’il évoque souvent, les chiens ne font pas des chats) il n’a "jamais été blessé". A l’époque, l’adolescent qui fait le coup de poing a deux rêves: football américain et basket, sports où il se révèle prometteur. Avec l’université d’Alabama (situé à Tuscaloosa) dans le viseur, au point de s’enrôler dans un community college pour faire la transition. Mais à dix-neuf ans, sa compagne tombe enceinte. Les études passent à l’as car il faut se mettre au turbin rémunéré pour assurer les besoins de la future famille. Serveur, job en cuisine, les petits boulots s’enchaînent. Mais les médecins vont bouleverser son monde. Ils diagnostiquent à sa fille Naieya, née en 2005, un spina bifida (malformation de la colonne vertébrale qui peut entraîner la paralysie des membres inférieurs). Pas d’assurance et pas assez d’argent pour assurer les frais médicaux. Il faut trouver une solution. Elle s'appellera boxe.
Un pote du lycée, qui connaît son potentiel de bagarreur de rue, lui suggère la boxe et les sacs de frappe. Direction le Skyy Boxing, à Newport, tout près de Tuscaloosa, où il va croiser Jay Deas, son entraîneur historique. Le punch se devine déjà et la trajectoire va se révéler express. Victoire dans le prestigieux tournoi des Golden Gloves en 2007, médaille de bronze olympique à Pékin en 2008 (la seule de l’équipe américaine) et premier combat pro en novembre 2008, pour lequel il avouera plus tard avoir "fait l’amour deux heures avant" comme avant d’autres combats car il aime "détruire les mythes" (dont celui du sexe avant le sport, donc), une bourse de 3500 dollars consacrée à Naieya. Le nom qui motive toute sa conquête pugilistique. La raison pour laquelle il se bat. Sa force brutale lui a permis de la soutenir. Elle l'a aussi porté au sommet de la planète des lourds. Et au diable la technique et la beauté du geste...
Grand écart
"Tous les boxeurs ne sont pas dans le même moule, rappelle John Dovi. Chacun a ses qualités et l’important, c’est de savoir les améliorer pour vous porter le plus haut possible. Chez les amateurs, on savait qu’il frappait un peu mais il n’était pas très fin dans sa boxe et on ne pensait pas qu’il allait avoir cette carrière. Mais il a commencé à foutre tous les mecs en l’air chez les pros et on s’est rendu compte que c’était un vrai puncheur. Il a un gros déficit technique, certes, mais il ne faut pas prendre sa droite." Grand écart. Sur tous les plans. L’homme a peur des aiguilles mais collectionne les armes à feu et possède notamment un bazooka. Il répète son "respect" pour tous les boxeurs mais a plusieurs fois évoque son envie de "tuer quelqu’un dans un ring", source de nombreuses critiques. Il aime la lumière des grands combats mais adore plus que tout revenir chez les siens, à Tuscaloosa, son "sanctuaire isolé" et "paradis de paix" où il peut méditer et "parler aux étoiles" au bord de la rivière Black Warrior.
"Mon boulot est d’infliger le plus de douleur possible"
Il fait le fanfaron invincible devant les caméras mais reconnaît qu’il s’est plus d’une fois vu comme l’outsider avant un combat. La fille de Luis Ortiz est elle aussi touchée par un handicap? Il accorde une revanche au dangereux pugiliste cubain, qui avoue avoir fait des cauchemars de la puissance de l’Américain après leur premier combat, pour lui permettre de prendre un gros chèque alors que tout le monde semble l’éviter. Une terreur au cœur tendre, quoi. Regarder une de ses interviews est un cas d’école: un grand bonhomme plein de joie de vivre mais dont on sent le potentiel explosif sous la couche de sourires. Il se dit encore "surpris" quand il met un KO. Mais admet trouver du plaisir dans le fait de faire mal à l’autre. "Je sens la structure de la face et des os avec mes poings, lance-t-il dans un sourire carnassier sur le plateau de l’émission Inside PBC Boxing sur Fox Sports. J’aime ça. Ça va avec le faire d’être un boxeur: on doit aimer ce qu’on fait. Si je m’inquiétais du genre de punition que j’inflige à mes adversaires, je ne serais pas là car mes sentiments interféreraient sur mon boulot. Mon boulot est d’infliger le plus de douleur possible."

Dans un milieu très marqué par plusieurs décès récents, et notamment celui de son compatriote Patrick Day, son discours agressif et en quête d’un corps inerte passe tout de même beaucoup moins bien. Et pourrait en partie expliquer son déficit de popularité même aux Etats-Unis, où un Andy Ruiz Jr semble déjà plus mainstream après avoir choqué le monde face à Anthony Joshua. D’autant que quand Deontay Wilder explique vouloir tuer quelqu’un entre les cordes dans sa carrière, ce qui est encore différent de chauffer un adversaire style "je vais te tuer" comme on peut souvent le voir, on sait qu'il en est capable sur sa seule puissance. "Ce n’est pas un sport avec lequel on doit jouer, lâche-t-il à Fight Hub TV. Beaucoup de gens ont perdu leur vie dans un ring, notamment cette année. Je n’avais jamais vu ça, c’est fou! Je prends tout ça très au sérieux."
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"Showman en plein dans le rôle qui lui convient car la boxe américaine aime ça" (Brahim Asloum), Deontay Wilder n’a pas l’image que son caractère naturel devrait lui conférer. Mais celui qui se dit ''moins sauvage" qu’en début de parcours professionnel assume. "Les gens pensent que je suis méchant mais je suis juste un réaliste, qui croit et fait ce qu’il dit. C’est peut-être mon sourire ou mes KO qui font ça." Il faut peut-être juste voir ça derrière sa puissance. Un combattant qui donne tout et ne retient rien. La santé de sa fille, dont les médecins avaient assuré qu’elle ne marcherait pas alors qu’elle fait aujourd’hui de la gymnastique, est à ce prix et rien ne l’arrêtera dans cette entreprise. Surtout pas les critiques. "Tout le monde a toujours douté de moi, toute ma vie, et j’ai toujours prouvé qu’ils avaient tort, résume-t-il pour The Undefeated. Tout ce que je fais, j’y mets tout mon cœur et je m’y consacre à 100%. Si j’étais rentré dans le marché de la drogue, j’aurais été le plus gros dealer, je ne me serais pas contenté d’un rôle au coin de la rue." Dans le noble art, il a endossé celui d’un champion du monde.