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Boxe: Daniel Dubois, la relève de la garde

La boxe britannique, nouvel eldorado des lourds, offre un choc des titans ce samedi à Londres (à partir de 22h sur RMC Sport 1). Joe Joyce, vice-champion olympique 2016, affronte un autre invaincu chez les pros, le jeune et puissant Daniel Dubois, vu comme le futur de la catégorie. Avant ce combat très attendu, portrait de "Dynamite" Dubois, machine à KO à l’avenir brillant dont la légende raconte qu’il a couché un certain Anthony Joshua en sparring.

dL’eldorado a changé de continent. Pendant longtemps, quand on parlait des lourds, le regard se tournait invariablement vers les Etats-Unis, couveuse à champion de Jack Dempsey à Evander Holyfield en passant par les Joe Louis, Rocky Marciano, Floyd Patterson, Sonny Liston, Muhammad Ali, Joe Frazier ou George Foreman (liste non exhaustive). Désormais, les yeux sont rivés sur la Grande-Bretagne. Entre Tyson Fury (champion WBC et The Ring) et Anthony Joshua (ceintures WBA Super, IBF et WBO), la boxe britannique détient tous les joyaux de la couronne planétaire. On trouve aussi les solides Dillian Whyte et Dereck Chisora, habitués des hauts rangs mondiaux. Et des espoirs dont les deux meilleurs représentants s’affrontent ce samedi soir à Londres dans un choc très attendu et très indécis entre Joe Joyce et Daniel Dubois

Déclic instantané 

En jeu? Une ribambelle de ceintures, Commonwealth, titre britannique BBBofC, titre européen EBU, et l’idée d’un avenir brillant. Joe Joyce n’a plus de temps à perdre. Après une belle carrière amateur, champion européen 2015 en battant Tony Yoka en demi-finale avant les vengeances du Français en demi-finale des championnats du monde 2015 puis en finale des Jeux de Rio en 2016 (décision qui lui a laissé un goût très amer et un antagonisme prononcé envers Yoka), "Juggernaut" fait ses débuts pro en octobre 2017, à trente-deux ans. Trois ans plus tard, onze succès (dix KO), aucune défaite et les ceintures Commonwealth et WBA Continental dans la poche au passage. En mission pour se rapprocher au plus vite d’une chance mondiale, car les années passent, et du top 10 planétaire (onzième pour la WBA et la WBC, treizième pour l’IBF).

Mais là, pour le coup, il y a obstacle. Majeur. Daniel Dubois – favori des bookmakers – partage ses envies de grandeur. Il a même de quoi rêver plus grand. Le garçon est un "vrai" espoir, par l’âge d’abord, vingt-trois ans, et par le talent, digne pour beaucoup d'une future tête couronnée. Elevé dans les rues du sud de Londres, où il dit avoir su "éviter les problèmes" en passant son temps à la salle, ce beau bébé – 1,96 mètre 1,98 mètre d’allonge, pointure 48 – vient à la boxe en suivant son père à six ans au Peacock Boxing Gym de Canning Town, où il s’entraîne encore aujourd’hui sous les ordres de coach Martin Bowers. Pour celui qui ne s’intéresse pas trop au foot et a pratiqué plusieurs sports, dont l’athlétisme (sprint, saut en longueur et javelot), le déclic est instantané. Et le talent vite évident. 

Il couche Joshua, il impressionne Fury

Baladé de club en club car son père ne s’entendait pas avec ses coaches, il grimpe les échelons pour finir par passer un an et demi au siège de l’équipe nationale à Sheffield. Une carrière amateur solide avec un bilan de 69-6, quelques titres chez les jeunes et un sacre national senior, mais stoppée avant de rentrer vraiment dans le grand bain. En 2017, deux ans après être passé chez les lourds et après seulement quelques combats amateurs seniors, il décider de passer chez les pros sans tenter sa chance pour les Jeux Olympiques (il craignait d’être mis de côté en faveur de Frazer Clarke) sous l’égide de Frank Warren, promoteur entre autres de Tyson Fury. "Je n’avais pas de rêve olympique, reconnaissait-il en début d’année pour le site SecondsOut. Depuis mon premier jour dans la boxe, je veux devenir champion du monde des lourds."

Daniel Dubois (à droite) fait parler sa puissance contre Keijiro Maeda en décembre 2019
Daniel Dubois (à droite) fait parler sa puissance contre Keijiro Maeda en décembre 2019 © Icon Sport

Son compteur pro est encore vierge mais sa réputation le précède. La conséquence d’une séance de sparring au centre national de Sheffield quelques mois auparavant avec un certain Anthony Joshua, qu’il aurait couché d’une grosse gauche. "AJ" n’a jamais nié. L’intéressé, lui, sort un large sourire quand on l’interroge sur cet épisode: "Je l’ai touché avec quelques gros coups, oui". Il en avait même dit plus au Telegraph: "Lui infliger un knockdown m'a permis de comprendre la puissance que j'avais dans les poings". Avant cela, il avait déjà sparré Chisora mais aussi… Joe Joyce. "Et je n’ai jamais été mis en difficulté", soulignait-il sur le site WorldBoxingNews avant ses débuts chez les pros. Plus tard, c’est avec Tyson Fury qu’il partagera quelques rounds. "Je me suis bien débrouillé et il a fait une interview derrière où il a parlé de moi comme d’un futur champion du monde", expliquait Dubois au Guardian en mars 2019. Le "Gypsy King" confirmait en août dernier au micro de BT Sport: "Il se débrouille très bien. C’est un gros gars puissant et tout ce qu’il touche tombe. On dirait Ivan Drago: 'Je vais te frapper et de détruire, peu importe ce qui se passe'."

Mike Tyson en idole

Entre-temps, celui qui a aussi sparré le Russe Alexander Povetkin à Moscou pour l'aider à préparer Joshua a confirmé les attentes et trouvé un surnom, "Dynamite", expliqué en une stat: 15-0 pour débuter la carrière, 14 KO, tous avant le cinquième round (quatre dans la première, six dans la deuxième)! Le Britannique a déjà battu quatre combattants invaincus et n’a boxé que 43 des 140 rounds prévus à son programme. Un bulldozer, machine à détruire le gars en face en un coup. "Demandez à AJ et aux autres si j’ai du punch, s’en amuse-t-il. Tous ceux que j’ai affrontés ont été choqués par ma puissance." Seul à avoir forcé "DDD" (son autre surnom) à la décision? L’expérimenté Américain Kevin Johnson, ancien détenteur de la ceinture IBO qui avait poussé le champion WBC Vitaly Klitschko et Tyson Fury au bout des douze rounds en 2009 et 2012. Ce garçon très sérieux – on ne le trouvera pas au pub ou en boîte, il préfère le cinéma, le bowling ou la nage – a la foudre dans les poings et l’attribue à son "travail", comme ces trois heures de pompes… sur les articulations de ses doigts (il en a gardé des marques) qu’il dit avoir souvent réalisées en fin d’adolescence (celui qui participait à des concours de pompes dans sa jeunesse se contenterait d’une demi-heure désormais). 

Une telle puissance brute, comme toujours quand elle claque autant chez les lourds, fait un clin d’œil à son idole pugilistique: Mike Tyson, dont le retour sur les rings se fera le même soir que son combat contre Joyce. "C’est quelqu’un que j’ai beaucoup regardé, confirme-t-il. Quand j’étais jeune, j’essayais d’imiter ce qu’il faisait dans le ring. Je regardais des vidéos et j’allais à la salle en essayant d’être Tyson pour une journée. Ça fait partie de moi et de mon style de combat. J’adorais son côté féroce et j’essaie de m’en inspirer." Avec Tyson, il partage ce sentiment que le plus grand adversaire reste soi-même. "L’état mental est essentiel dans la boxe, appuie-t-il. J’ai ce bon état d’esprit et le sentiment d’avoir quelque chose de spécial en moi. A moi de le contrôler et de l’utiliser pour devenir champion du monde. Il faut regarder en soi pour sortir son meilleur. Rester en contrôle et discipliné n’est pas facile."

Neuf ceintures en quinze combats!

Reste une (grosse) différence avec Tyson: il manie moins le trash-talking et l’arrogance, bien plus poli. Il joue le jeu, comme il faut le faire pour vendre ses combats. Mais ce sont ses poings qui sont là pour parler. "J’aime bien frapper les gens, avouait-il dans le passé. Quand je suis dans le ring, je suis là pour vous faire mal. Je suis excité quand je leur fais mal, oui. C’est ça, la boxe." "Etudiant" revendiqué du noble art, le Britannique expliquait avant ses débuts pros ne faire "que regarder des combats de poids lourds" quand il était chez lui. Pour "Iron Mike", donc, mais aussi pour d’autres, à commencer par l’ancien champion WBC-WBA-IBF Lennox Lewis, considéré comme le meilleur lourd de l’histoire de la boxe britannique, apprécié pour "sa capacité à allier puissance et technique". Il lui faudra les deux pour arriver au sommet.

Daniel Dubois
Daniel Dubois © Icon Sport

"Je compte gagner tous les titres possibles", claironnait-il aux balbutiements de sa carrière. Il en a fait un slogan: "Every belt!" (toutes les ceintures). Il en a surtout fait une dynamique avec déjà neuf titres: WBC Youth, BBBofC Southern Area, BBBofC English, BBBofC British, WBO European, WBO Global, WBO international, Commonwealth et WBC Silver. S’il bat Joyce, il pourra rajouter la ceinture européenne EBU à sa collection. Avant de viser plus haut. Il ne sera pas seul dans sa quête. Très famille, pour qui il a acheté une maison où il habite encore avec une partie de ses frères et sœurs (son père a onze enfants), celui qui racontait l’an dernier ne plus avoir de petite amie pour ne pas se disperser de la boxe peut parler ring avec sa sœur Caroline, invaincue chez les amateurs, championne du monde et championne olympique Youth et plusieurs fois championne d’Europe. "Parfois, j’ai honte quand je me compare à elle, lance le lourd britannique. La façon dont elle travaille dur m’éblouit."

Bientôt une chance mondiale?

Dans la famille on-met-les-gants-et-on-vise-très-haut, il y a aussi un petit frère, Prince. "C’est un peu prématuré mais il sera champion du monde", annonçait Dubois en mars 2019, quand Prince avait… six ans. Pour Dubois, qui pensait il y a deux ans être "prêt à défier les Joshua et Fury dès 2021", cela viendra plus vite. Le garçon est déjà septième du classement WBC et surtout deuxième du classement WBO. Si Joshua – qui affronte d’abord Kubrat Pulev le 12 décembre – refuse en début d’année prochaine l’obligation de boxer son challenger pour cette ceinture, Oleksandr Usyk, et abandonne ce titre afin de monter sur le ring avec Fury, un Dubois qui aurait vaincu Joyce serait en position de disputer la ceinture à l’Ukrainien. L’un des grands espoirs de la catégorie va passer ce samedi un très gros test, son premier d’une telle envergure, au lendemain du combat de Tony Yoka contre l’Allemand Christian Hammer à Nantes, rappel que le Britannique a pris de l’avance avec pour différentes raisons presque deux fois plus de combats que notre champion olympique qui avait commencé deux mois plus tard chez les pros. Si Daniel Dubois en sort bras levé, la relève de la garde pourrait se faire plus vite que prévu. 

Alexandre HERBINET (@LexaB)