
Amour, gloire et rejet: A la découverte du Conor McGregor version Irlande
Charles, quand on passe autant de temps sur les traces de Conor McGregor, quelle image finit-on par garder du personnage?
J’ai plutôt une bonne image de lui. Il vient plutôt d’un quartier un peu compliqué mais il a réussi à s’imposer dans un sport où aucun Irlandais ne s’était encore imposé. Et plus que ça, il a rendu le MMA populaire. Ensuite, mon travail a été rendu un peu difficile à cause de l’image que Conor peut avoir aujourd’hui en Irlande. Il y a eu les révélations du New York Times sur les accusations d’agressions sexuelles. Il y a un peu ses sorties dans les bars, avec des personnes avec qui les Irlandais aimeraient ne pas le voir traîner. J’ai vraiment senti tout ça pendant le travail sur le livre. Des gens qui m’avaient donné leur accord pour une interview ont annulé au dernier moment. J’ai passé beaucoup de temps au Crumlin, son quartier d’origine, et on sent que certains lui ont un peu tourné le dos. C’est un sportif qui m’a toujours impressionné et fasciné mais on sent que sa réputation a été atteinte ces derniers mois.
On est passé de la fascination à une forme de rejet?
Oui, je pense. Je suis arrivé en Irlande à la fin de l’année 2015 et il était partout. Il y avait des photos de lui dans les pubs. Au moment de ses combats contre Eddie Alvarez et Floyd Mayweather, où il fallait veiller tard en raison du décalage horaire avec les Etats-Unis, les gens faisaient la fête le soir et se retrouvaient vers deux-trois heures du matin pour les voir dans les pubs, qui restaient ouverts toute la nuit pour ça. Mais lors de son retour, contre Donald Cerrone en janvier, il n’y a rien eu. Aujourd’hui, quand tu parles de McGregor à Dublin ou ailleurs dans le pays, les gens ne sont pas super contents d’être identifiés à lui. C’est une vérité. En réalisant ces reportages, en allant dans son quartier d’origine, j’ai vraiment senti ça. L’Irlande lui a tourné le dos, oui.
McGregor n’avait plus rien à prouver à l’UFC, si ce n’est partir sur une meilleure image que celle laissée contre Khabib Nurmagomedov. Ce retour, c’est aussi pour se refaire une image au pays?
C’est l’impression que ça m’a donné. Il veut un peu reconquérir le cœur des Irlandais. Il était très fier, et il pouvait l’être, d’avoir donné une image positive de ce pays au moment où l’Irlande était un peu moins bien avec la grosse crise économique entre 2008 et 2013. Il arrive vraiment sur la scène médiatique en 2013 et il a redonné de l’espoir aux gens, ils me l’ont dit. Mais depuis sa défaite contre Khabib et les accusations à son encontre, les gens lui tournent le dos. Quand il est revenu à l’UFC, c’était la première fois depuis longtemps qu’on le voyait prendre le temps de parler aux médias irlandais, de beaucoup évoquer l’Irlande dans ses interviews, et quand il a gagné le combat et qu’on lui a tendu le micro, il a tout de suite fait une déclaration d’amour à l’Irlande. Quand on le suit sur Instagram, on voit aussi qu’il s’est beaucoup impliqué ces dernières semaines pour la crise du coronavirus en faisant des dons, en allant lui-même sur le terrain pour livrer du matériel, etc. Avant ça, il avait déjà commencé à multiplier les bonnes actions là-bas. On sent qu’il veut redonner cette image d’une personne proche des Irlandais et de son pays, à l’écoute des gens.

Dans cette crise du coronavirus, on l’a même vu se prendre le bec pour défendre le confinement...
Au départ de la crise, il a fait des posts où il a identifié des ministres et leur a dit qu’il fallait fermer le pays. Il n’y avait pas de confinement au départ en Irlande, il est venu un peu plus tard qu’en France, et il a demandé au Premier ministre et au différents ministres concernés de mettre en place un confinement. Il s’est impliqué. Quand tu regardais les sondages dans les médias irlandais à ce moment-là, les gens étaient en faveur d’un confinement et voulaient que l’Irlande agisse, et il a joué là-dessus. Je ne dis pas que ce n’est pas sincère, il y croyait aussi, mais en tout cas en termes de communication, c’était très bon pour lui car il a pu montrer qu’il prenait soin de son pays et qu’il voulait vraiment se rapprocher des gens. C’est comme ça que je l’ai ressenti.
Avant son retour, il est revenu aux bases au Crumlin Boxing, son club des débuts dans son quartier d’origine. Son image a-t-elle également été modifiée là-bas ou reste-t-il l’enfant chéri adulé?
C’est mitigé. Il y a des gens là-bas qui m’ont dit qu’ils ne voulaient pas parler pour ne pas avoir leurs noms associés à McGregor. Et il y en a d’autres qui le défendent. C’est un gamin du quartier, plutôt défavorisé, et le fait qu’il ait grimpé aussi haut et en gardant son accent et ses codes du Crumlin, des gens en parlent même avec beaucoup d’émotion. Il se montre aussi assez généreux avec le quartier et au Crumlin Boxing, ils sont encore tous assez en admiration et supporters de lui.
Le livre évoque ses premiers combats en Irlande, anonymes, et un Conor qui refuse d’aller boire un verre après une victoire pour rester sérieux ou qui demande des nouvelles d’un adversaire battu. On est loin de l’image arrogante qu’il véhicule pour une partie du grand public aujourd’hui…
En fait, c’est un peu le Conor des débuts à l’UFC. Quand il est sur sa spirale de victoires avant la défaite contre Nate Diaz, il est comme ça, très concentré, il sort peu, et il est aussi capable de reconnaître la défaite. Après celle contre Diaz, il avait eu des mots que personne n’attendait, où il était très respectueux de Diaz, très fair-play. Au fond, c’est sa nature. Il a une capacité à faire le show, à créer de l’attention autour de lui, et c’est ce qu’il veut depuis le début pour signer les plus gros chèques et être le meilleur, en étant très irrespectueux avant le combat. Mais il est aussi très fair-play après, quand il faut l’être. On a une mauvaise image de lui car il a complètement franchi les limites lors du combat contre Khabib et que c’est resté.

Dès le départ, on le voit aussi maîtriser l’art du trash-talking pour rentrer dans la tête de l’adversaire.
J’ai été surpris de mon moment passé avec Ciaran Campbell, la première personne contre qui il se bat dans un combat amateur de MMA, qui me dit : ‘Il avait déjà ça. Il m’a provoqué dès le départ, il m’a fait sortir complètement de mon combat, il en était capable juste par un geste ou une petite provocation verbale’. Et il entraînait déjà la foule avec lui. J’ai été surpris quand il m’a raconté qu’ils étaient deux combattants inconnus mais que la foule s’était tout de suite mise derrière lui. En parlant à ses premiers adversaires, on sent qu’il avait déjà cette capacité d’attirer.
Il y a déjà sa gauche foudroyante, son côté showman, ses provocations et ses ambitions affirmées. Le McGregor des petites salles irlandaises était-il déjà celui de l’UFC?
Exactement, et c’est ce qui est assez fascinant. Ce caractère, ce trash-talking, je me suis demandé d’où ça venait, si c’était un truc qu’il avait travaillé avec son entraîneur ou quelque chose qui vient naturellement et oui, on découvre au fil des pages que c’est quelque chose qu’il avait en lui et qu’il était capable de faire à vingt ans dans une petite salle en Irlande devant deux cent personnes. J’ai aussi passé un moment au téléphone avec Tom Egan, la personne qui l’a introduit au MMA en Irlande, et lui me disait que McGregor, qu’il a côtoyé adolescent, était alors fasciné par Muhammad Ali, le roi du trash-talking.
On se dit parfois que McGregor, sur ce plan, c’est un peu Ali à l’ère des réseaux sociaux…
Tout à fait. Je ne sais pas si c’est lui ou les personnes autour de lui mais il a tout de suite pris conscience que sa personnalité était très adaptée aux réseaux sociaux et il sait très bien jouer là-dessus. Il a fait un énorme boulot sur internet, et en particulier sur Instagram, et derrière, il s’est servi de tout ce travail pour vendre son whisky.

Le livre évoque son côté "Mystic Mac", surnom donné pour sa capacité à annoncer l’issue d’un combat à l’avance dans ses moindres détails, et les théories de la visualisation et de l’attraction. Les a-t-il adoptées parce qu’il a vu que ça marchait ou y croit-il vraiment?
Il en parlait beaucoup, beaucoup lors de ses débuts à l’UFC. Au début, j’étais sur la ligne d’une personne qui parle dans le livre et qui dit qu’il fait ça pour attirer l’attention d’un public plus large et créer une sorte de fascination autour de lui. Mais dans le livre, une professeure de la loi de l’attraction dit que quand tu l’écoutes, tu sens que c’est quelqu’un qui a pratiqué. Et quand il a fait son premier combat UFC, un documentaire a été fait sur lui par la chaîne irlandaise RTE, où tu le vois presque tout le temps avec un livre sur la loi de l’attraction. Il récite des phrases, il en parle, on a l’impression qu’il se nourrit de ça. Est-ce qu’il le fait pour attirer l’attention des médias? Je ne sais pas. J’ai l’impression que c’est réel chez lui, qu’il s’est beaucoup servi de ce livre et de ces pratiques pour atteindre le sommet.
On apprend aussi qu’il a influencé la jeunesse et la mode irlandaises, avec des ventes de costumes en hausse quand il les a multipliés à l’UFC...
Pour les magasins de costumes, il y avait eu des articles, je me suis renseigné et ils me l’ont confirmé: c’est McGregor qui a amené les jeunes Irlandais à s’habiller un peu plus, car ils le voyaient toujours bien sapé à la télé, et il y a aussi eu un effet chez les barbiers. Si tu parles aux barbiers de Dublin, ils te disent que les gamins entre douze et seize ans qui arrivent disent tous qu’ils veulent être coiffés comme McGregor, qu’ils veulent la même barbe, la même petite moustache, les cheveux un peu courts sur le côté. Il a influencé la jeunesse irlandaise sur tous ces plans.
Humour typique irlandais, accent de Crumlin, façon de faire du story-telling, une notion importante en Irlande: McGregor semble avoir su garder ses codes pour mieux les cultiver devenir une star.
Quand je parlais avec des gens du Crumlin Boxing Club avec lesquels il a boxé à douze-treize ans, il était déjà très excentrique et faisait beaucoup de blagues, avec cet accent typique du quartier… Sur ces codes, il y a une chose à relever. Son succès, au départ, il est en Irlande mais aussi aux Etats-Unis. Il y a un lien historique entre ces deux pays, les Irlandais sont très appréciés là-bas, et McGregor a aussi bénéficié de ça. Il était l’Irlandais typique aux Etats-Unis, avec son accent, ce story-telling irlandais qui est quelque chose historique là-bas, qu’on retrouve beaucoup dans la littérature du pays. McGregor l’avait et il a bénéficié de cette sympathie américaine à l’égard des Irlandais pour grandir. C’est aussi l’histoire d’un Irlandais aux Etats-Unis.
Vous avez recueilli des témoignages de plusieurs universitaires locaux qui étudient McGregor et son impact...
C’est un champion de MMA mais beaucoup de gens s’intéressent à lui pour le marketing, l’économie, le story-telling, la psychologie. Beaucoup de psychologues se servent de lui et essaient de comprendre sa capacité à créer autant d’attention et à être complètement fou en conférence de presse mais très tranquille une fois qu’il rentre dans l’octogone et capable de gagner son combat avec classe. C’est un sujet d’étude, oui. Un professeur de l’University College Dublin travaille en ce moment sur lui pour voir comment il a impacté la société irlandaise. Il y a aussi un économiste très connu en Irlande, David McWilliams, qui parle beaucoup de lui sur son blog, ce qu’il représente par rapport à l’économie et aux théories économiques actuelles. C’est un vrai sujet d’étude.
McGregor vient au Crumlin Boxing Club pour savoir se défendre dans son quartier, mais ses coaches de l’époque racontent n’avoir pas eu besoin d’aller lui parler car il se tournait vers le mauvais chemin. Conor a-t-il réussi à ne prendre que le bon côté de son quartier de Crumlin?
Même dans la boxe, ils sont souvent impactés par les guerres de gangs en Irlande. Quand on en parle là-bas, c’est quelque chose qui gêne les gens et génère même un sentiment de tristesse. McGregor n’a pas pris ce côté-là au départ. Après, ces dernières années, le fait qu’il s’affiche de plus en plus avec des figures non pas du crime organisé mais des gangsters du quartier, que les gens le voient dans des endroits où ils préféreraient ne pas le voir, on a l’impression que le mauvais côté du quartier est un peu en train de le rattraper. Et c’est pour ça que certaines personnes lui tournent le dos. Mais il n’a pris que le positif au début, sinon il ne serait jamais devenu ce qu’il est devenu.
Comment les Irlandais prennent-ils ses relations avec des personnages affiliés à des gangs?
Ils n’aiment pas. Dublin est une capitale mais c’est une petite ville. Les gens n’auraient même pas besoin des médias pour le savoir. Mais les médias le relaient énormément, car ça marche. Et il ne s’en cachait pas, il s’affichait sur Instagram. Cette guerre des gangs, au départ, elle était centrée au Crumlin et dans des quartiers un peu annexes de Dublin, mais ces dernières années elle a été très violente, elle a impacté la vie en Irlande, et c’est quelque qui choque assez à Dublin. Voir McGregor quasiment rire de ça ou s’afficher avec des gens qui participent plus ou moins à cette guerre des gans, ça ne passe pas. Les Irlandais préféreraient ne pas avoir ça chez eux. C’est aussi pour ça qu’il a été moins soutenu lors de son combat contre Cerrone.

Le combat contre Khabib semble un point de fracture. Il s’est dit blessé mais on a aussi l’impression qu’il était presque plus là pour vendre son whisky et qu’il s’est raté dans son trash-talking pour la première fois…
Il y a un peu des deux. Il le répète depuis le début de sa carrière, il veut devenir un businessman, réussir en dehors du sport, donc c’était très important pour lui que son whisky marche. Et quoi de mieux qu’une conférence de presse de l’UFC lors d’un combat contre Khabib pour lancer la promotion? Et derrière, en plus, il s’est complètement planté dans le trash-talking. Il a peut-être sous-estimé Khabib. Là où il arrivait à faire craquer tous ses adversaires par son trash-talking et gagner le combat avant de rentrer dans l’octogone, avec Khabib, ça a été l’inverse. Il a réagi différemment. Il s’est dit: 'Je vais t’exploser'. Et on se sent dans le combat, quand ils se parlent, qu’il avait vraiment envie de lui montrer que le trash-talking ne marcherait pas avec lui.
Il avait aussi évoqué la religion de Khabib, et réitéré avec des posts très irrespectueux. Comment tout cela a-t-il été perçu en Irlande, plutôt connue comme une terre d’accueil?
Au départ, il incarnait vraiment les valeurs de l’Irlande. Mais déjà lors de son combat face à Mayweather, il avait été un peu critiqué dans les médias car accusé d’avoir été un peu raciste, alors que c’était plus de la com’. Et là, avec Khabib, il s’est pas mal fait allumer par les médias, car il a été un peu trop irrespectueux. Dans tous les pays du monde, on n’aurait pas aimé qu’un de ses athlètes parle comme ça. Quand je parle de l’Irlande qui commence un peu à lui tourner le dos, c’est un tout, tout ce qu’on a évoqué.
"Tout de suite, il ne pourrait pas faire de politique, la fracture est trop grosse"
Comment l’imaginez-vous dans quinze ans? Siroter un whisky dans un pub à Crumlin ou seul dans sa grande maison?
Je me suis posé la question et je ne sais pas. Je crois vraiment qu’il est revenu pour s’éloigner un peu des bêtises qu’il était en train de faire. Il l’a d’ailleurs dit avant son combat contre Cerrone: 'J’étais peut-être un peu en train de tourner comme Mike Tyson'. Il a une personnalité forte et ça peut aller des deux côtés. Soit ça tournera bien et il peut devenir une sorte d’ambassadeur de l’irlande, soit il ira de l’autre côté. Cela fait quand même un moment qu’il n’avait pas été aussi impliqué dans le MMA. Il va sans doute combattre en juillet ou en août, avec un autre combat derrière, et après ça j’attends de voir.
Pensez-vous qu'il pourrait un jour occuper de hautes fonctions politiques en Irlande?
Il y a deux-trois ans, j’aurais dit oui. Les gens l’adoraient, c’était une icône. Il aurait peut-être pu prétendre à ça. Aujourd’hui, honnêtement, pas du tout. Un exemple. L’an dernier, il a été fêter la Saint-Patrick à Chicago, invité d’honneur pour le défilé. Il y avait le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, et ils ne se sont pas parlé, pas serré la main. Les Irlandais, la grande majorité de la population en tout cas, ont aujourd’hui quelque chose contre lui. Là, tout de suite, il ne pourrait pas faire de politique. La fracture est trop grosse. Ou alors il va falloir qu’il se réinvente une histoire. Quand on regarde cette fracture, effectivement il y a ces critiques mais il y a aussi beaucoup de gens qui continuent de le soutenir. Quand il a sorti son whisky, il n’a fait aucune interview dans des médias irlandais et il y a quand même beaucoup de gens qui l’ont acheté. Il incarne toujours quelque chose. Mais pour faire de la politique, il faut quand même être respecté par une grande majorité de la population. Et en plus, je ne sais pas s’il en a l’envie.