
Coupe du monde à Chamonix: l'avenir du ski alpin passe-t-il par les épreuves parallèles?
Le slalom géant parallèle et le City Event, qu’est-ce que c’est?
Les organisateurs le voient comme un vrai show. Les qualifications mettent aux prises 64 skieurs. Les 32 meilleurs se qualifient pour les 16es de finales. Ceux-ci s’affrontent alors dans des duels en deux manches (avec inversion des tracés). Les écarts en première manche sont matérialisés en deuxième manche par l'ouverture du portillon en retard dudit écart au débours du moins bien classé des deux skieurs.
Le reste de la compétition, à partir des huitièmes de finale, se joue sur des duels en mort subite, en une seule manche. C’est d’ailleurs là où le bât blesse pour l’immense majorité des skieurs. Mais le problème vient principalement de la nécessité de faire des formats TV courts qui empêchent en l'état les organisateurs de faire des matchs aller-retours en huitièmes, quarts et demi-finales.
Pourquoi les meilleurs skieurs n’y gagnent-ils pas de manière plus régulière?
"Ce ne sont jamais les mêmes athlètes sur le podium. Ça veut bien dire que c’est difficile d’être régulier sur ce format de 20 secondes", explique Alexis Pinturault. Et en effet… Jansrud, Olson, Windingstad, etc., le palmarès des géants parallèles ces dernières saisons ne regorge pas de techniciens de premier plan (exception faite de la victoire d’Hirscher en 2019 à Alta Badia). Il y a une douzaine de jours, le veille du slalom nocturne de Schladming en Autriche, Clément Noël s’était confié à RMC Sport, confortablement installé dans le fauteuil d’un salon cosy de l’Hôtel Jufa, en dessous de la mythique Planaï. "Malgré tout ce que je viens de dire, je serai à Chamonix pour le géant parallèle", avait alors asséné, en guise de conclusion à notre discussion, le slalomeur français. Et ce qu’il avait dit dans les minutes précédentes n’était pas vraiment favorable à ce format ou à celui du City Event.
"L’idée de City Event (slalom spécial parallèle) sur une colline dans une ville, c’est une super idée… si ça ramène du monde, analysait alors le skieur originaire de Ventron dans les Vosges. Quand c’était à Oslo, il n'y avait personne, c’était nul. A Stockholm, ça avait ramené des gens. Les Suédois aiment ça, donc c’est une bonne idée. Quoi qu’il en soit, le problème c’est le manque d’équité. En géant parallèle, il n’y a plus qu’une seule manche à partir des huitièmes de finale. Or, l’un des deux tracés est souvent bien plus avantageux que l’autre. Tout ça pour des questions de durée. Mais si c’est trop long, il faut mettre moins d’athlètes, ça fera un format de parallèle qui fera le show et qui sera surtout plus équitable." Et Alexis Pinturault d’enfoncer le clou sur ce point: "Pour notre sport, c’est presque impossible d’avoir quoi que ce soit d’équitable sur ce genre de formats. A moins de courir sur des estrades ou des pistes en plastique recouvertes de neige. Là, les deux parcours seront les mêmes, analyse le skieur de Courchevel. Mais ce n’est pas notre sport et c’est impossible d’amener ce format pour notre sport."
La FIS, consciente du problème, explique toutefois ne pas en être responsable. Elle étudie désormais la possibilité de réduire ces courses parallèles à 16 skieurs qui s'affronteraient toujours en duel, mais seulement en match aller-retour, à chaque tour.
Est-ce l’avenir de la Coupe du monde de ski alpin?
"En partie" si l’on écoute la FIS, qui devrait, selon nos informations, inscrire au calendrier quatre courses parallèles la saison prochaine. Tout ce que ne voulait pas la majorité des skieurs du circuit, à l’image d’Alexis Pinturault: "Je ne suis pas le seul, mais si je pouvais m’en passer je m’en passerais. Mais comme 90% des athlètes avec qui je discute. Henrik Kristoffersen, il est encore pire que moi. Marcel Hirscher en pensait la même chose que moi." La même chose aussi que Sébastien Amiez, consultant ski alpin de RMC Sport, et vice-champion olympique de slalom à Salt Lake City en 2002: "Je ne me fais pas que des amis quand je dis ça, mais le vrai avenir du parallèle passe par les skis dômes (pistes de ski en intérieur considérées comme des hérésies environnementales, ndlr). Il y en a beaucoup dans le monde, et il faudrait les utiliser pour les épreuves parallèles, mais en dehors de la saison de Coupe du monde. Le calendrier hivernal est déjà suffisamment chargé. Après, on se plaint qu’il y ait beaucoup de blessés dès le mois de janvier (comme Dominik Paris ou Adrien Théaux cette saison). Mais c’est normal, ils sont déjà en permanence sur les entraînements et les courses (plus de 30 courses dans l’hiver pour certains). Donc imaginez si, en plus, on leur met de plus en plus d’épreuves parallèles."
Pinturault: "Si je pouvais m’en passer, je m’en passerais"
Une position partagée par le géantiste Mathieu Faivre, qui préférerait voir deux géants classiques supplémentaires en Coupe du monde: "Ok pour des géants parallèles, mais en dehors de la saison de Coupe du monde. Et si les organisateurs veulent vraiment des gros noms, ils assument, et mettent un gros prize money pour attirer les meilleurs." Moins engagé, le skieur Clément Noël avoue, lui, ne pas être "hostile à ce genre de trucs. Certains y sont hostiles, et disent: "Si je ne jouais pas le général, je n’irais pas." Moi je m’en fous, j’y vais, je trouve ça sympa à skier, c’est un format de confrontation directe qui est cool. En plus là, c’est une course en France. On en a déjà assez peu, donc c’est bien de pouvoir en faire une. Il y a quelques petits détails à régler mais ça peut donner quelque chose de bien." Et Cyprien Sarrazin, vainqueur du parallèle d’Alta Badia en 2017, d’aller plus loin: "J’aime bien cette discipline, mais il faut que ce soit plus cadré, avec de vraies règles. Il faut que ce soit une discipline à part entière. Tant pis pour ceux qui n’aiment pas le parallèle. On ne les oblige pas à venir. C’est fun, c’est souvent en nocturne donc c’est sympa. C’est un show."
Comment redynamiser l’intérêt du public pour la Coupe du monde ?
Une question à laquelle il est bien délicat de répondre. En France en particulier, où le biathlon monopolise les lumières médiatiques, avec la diffusion de la saison en clair à la télé, et une discipline portée par des athlètes de la trempe de Martin Fourcade, multi-médaillé olympique. "Le biathlon nous a sauvés aux JO, pendant des années, mais leur circuit est différent, avec des Mondiaux chaque année, des courses qui se ressemblent toutes et où seules les distances changent, analyse Sébastien Amiez. Pour Alexis Pinturault qui court des dizaines de courses par hiver depuis 2011 en ski alpin, c’est beaucoup moins facile de changer tout le temps de discipline."
Alors, "Bastoune" imagine ce que pourrait être l’avenir de la Coupe du monde, en restant sur des formats historiques de course, mais en y mettant un peu de piment: "Peut-être serait-il pas mal de passer par des qualifications les jours d’avant, ne garder que les 30 meilleurs, et arriver sur un show le dimanche sur trois manches. En slalom géant traditionnel, il y a trop de monde, au départ, en Coupe du monde. Pareil en combiné alpin où, par ailleurs, le suspense est très limité. Quand tu arrives devant ta télé et que tu regardes ce sport parce que tu es passionné, tu le suis. Mais quand tu allumes la télé et que tu tombes par hasard là-dessus, tu éteins et tu ne regardes plus."
Clément Noël, lui, voit les choses à peu près dans le même sens: "Le ski pourrait évoluer et changer. Certains shows et organisations de compétitions dans d’autres sports comme Moto GP et cyclisme font envie, les gens viennent voir un événement et faire un souvenir marquant. On a moins ça dans le ski. Bien sûr, il y a les courses autrichiennes (Kitzbühel, Schladming, etc.) qui peuvent attirer pour des choses spéciales, mais sinon c’est juste une course de ski, un peu la fête le soir. Moi je pense surtout qu’on aurait moyen de faire plus de contact entre les athlètes et le public. Il faudrait changer les choses en ce sens pour que ce soit plus sympa à voir."
Quant à Alexis Pinturault, lui ne voit pas pourquoi il faudrait changer quoi que ce soit. Ni pour le City Event, ni pour le slalom géant parallèle. Il plaide pour un renforcement des courses historiques: "Plutôt que de vouloir développer ces formats, il vaudrait mieux mettre toujours plus de moyens sur les grandes classiques que sont Wengen, Kitzbühel, Schladming ou encore Zagreb. Ça aurait beaucoup plus de sens."