
Sarah Abitbol, championne de patinage artistique, accuse de viols son ancien entraîneur

Sarah Abitbol - AFP
Elle a décidé de briser l’omerta. Sarah Abitbol, dix fois championne de France de patinage artistique et médaillée de bronze lors des Mondiaux 2000 avec son partenaire Stéphane Bernadis, sort un livre intitulé "Un si long silence" (aux éditions Plon), jeudi, pour dénoncer les viols que lui aurait infligé son entraîneur entre 1990 et 1995 alors qu’elle n’avait que 15 ans. L’Obs publie les bonnes feuilles de l’ouvrage et du récit glaçant. Une démarche "pas pour se venger, mais pour aider la parole à se libérer", confie-t-elle auprès de l’hebdomadaire en ciblant son agresseur qu’elle nomme 'Monsieur O'.
L’entraîneur accusé par Sarah Abitbol s'est déjà expliqué devant la justice sur d’autres faits précédents (enquête classée sans suite). Sarah Abitbol n’a jamais porté plainte pour ces faits qui sont aujourd’hui prescrits. "Je ne pouvais pas porter plainte, je voulais simplement m’en sortir, s'explique-t-elle dans un entretien au magazine. Je ne mangeais plus, je ne dormais plus. Il n’y avait pas un seul moment de la journée où je me sentais bien. J’essayais de sauver ma peau. Le fait de se taire, c’est dû à la honte. C’est horrible. Il m’a aussi dit 'c’est un secret'. Mes parents avaient déménagé de Nantes à Paris pour essayer que j’ai une carrière de haut-niveau. Comment je pouvais leur dire une chose pareille?"
"'A quoi ça sert de parler du passé? Pense à l’avenir', me supplie Stéphane, mon ex‑partenaire de glace et ex‑compagnon, écrit-elle dans son livre. […] Mais comment penser à l’avenir quand le passé me hante et que je n’arrive pas à vivre le présent? […] A 15 ans, j’ai dormi en dehors de chez moi, j’ai été vulnérable, et vous en avez profité. Aujourd’hui encore, dès que je sors de la maison, j’ai peur. J’ai horreur d’aller dans les lieux que je ne connais pas. L’inconnu est forcément synonyme de danger. Je ne peux pas voyager seule. Conduire une voiture sans quelqu’un à mes côtés m’a longtemps été impossible. Prendre l’avion est une torture.
[…] Il y a la peur de partir de chez moi, mais aussi celle d’être enfermée. Vous m’avez piégée dans des lieux clos. J’en ai développé une phobie. Dans une voiture, dans un appartement, j’ai besoin qu’on ouvre les fenêtres. L’idée même de mettre un pied dans un parking, où vous m’avez tant de fois agressée, génère une crise d’angoisse. Je ne supporte pas les ascenseurs, je suis devenue claustrophobe.
J’ai peur de la nuit aussi. C’est la nuit, quand j’étais en stage à La Roche‑sur‑Yon, que vous êtes venu la première fois me réveiller. C’est la nuit bien souvent que vous avez continué à abuser de moi, quand nous étions en déplacement. Aujourd’hui encore, quand je dors seule, j’ai du mal à respirer. […]
La loi du silence et la Fédération épinglée
Pendant deux ans, vous dites régulièrement à ma mère: 'Ce soir, je garde Sarah pour l’entraîner.' Et vous me violez dans le parking, les vestiaires et dans des recoins de la patinoire dont je ne soupçonnais même pas l’existence. […] C’est dangereux de parler. Les témoignages dans le patinage sont rares, et souvent anonymes. Ils se retournent vite contre celles qui les émettent. Je ne connais qu’une affaire d’entraîneur condamné : Pascal Delorme, qui a écopé en 2003 de dix ans de prison pour viol sur sept de ses élèves âgées de 9 à 15 ans. La Fédération est restée très discrète sur le sujet. […]
Dans son livre, Sarah Abitbol dénonce le système qui a permis de protéger 'monsieur O'. "Beaucoup de gens ont intérêt à garder le silence, écrit-elle. Le rompre, c’est casser des années de petits arrangements, c’est déséquilibrer tout un écosystème. Des politiques ont fermé les yeux. Des dirigeants vous ont maintenu en place. Des entraîneurs se sont tus pour ne pas risquer d’être virés ou pour protéger leurs propres turpitudes. Des femmes de coach ont mis un mouchoir sur les crimes de leurs conjoints. Des parents ont été aveuglés par leur volonté de voir leurs enfants réussir, des élèves eux‑mêmes ont eu peur d’être discriminés s’ils parlaient. Chacun, à son niveau, a nourri et continue de nourrir le crime. […]"
"J’ai été violée à 15 ans"
Elle complète ces passages insoutenables d’un témoignage accordé au magazine. "En 1990, j’ai 15 ans, je pars en stage de patinage artistique. (...) Un jour, cet entraîneur m’a réveillée. Il est assis sur mon lit, il s’est approché tout doucement et s’est mis à m’embrasser, voire plus. Il a commencé à faire des choses horribles jusqu’aux abus sexuels. J’ai été violée à 15 ans, c’était la première fois qu’un homme me touchait. J’espérais qu’il ne revienne pas mais il est revenu. Il me disait qu’on allait discuter et il m’emmenait dans un autre dortoir et ça continuait."
Elle assure aussi avoir alerté le ministère des Sports après avoir obtenu des médailles puisque son accusateur était toujours à la tête d’un club. Malgré l’existence d’un dossier contre ce dernier, le monde politique a aussi fermé les yeux.