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Super Bowl : Comment la NFL pourrait légaliser la marijuana

Peyton Manning

Peyton Manning - -

Le Super Bowl oppose, ce dimanche (00h30) près de New York, les Denver Broncos aux Seattle Seahawks, équipes des deux Etats ayant légalisé l’usage récréatif du cannabis. Dans une ligue où les fumeurs sont légion, le débat médical se pose.

On l’a surnommé le « Super Pot Bowl ». Vite traduit, le « match de la super herbe ». Avec les Seattle Seahawks et les Denver Broncos, le 48e Super Bowl revêt une caractéristique unique : deux équipes dont les Etats, Washington et le Colorado, ont légalisé au 1er janvier l’usage récréatif de la marijuana. L’existence de coffeeshops à Denver - pas encore à Seattle - a même poussé John Fox, coach des Broncos, a prévenir ses joueurs lors d’une réunion d’équipe : « C’est légal mais vous ne pouvez toujours pas en fumer. » Prévention assortie d’un mémo adressé à tous les employés de la franchise. Au-delà de l’anecdote, le « Super Pot Bowl » aura déclenché le débat. Et si la NFL suivait le mouvement de la légalisation, notamment sur le plan médical ?

Patron de la ligue américaine la plus florissante, Roger Goodell ne ferme pas la porte : « Si la médecine détermine qu’un usage pourrait être approprié dans un certain contexte pour traiter les douleurs et les blessures, nous le considérerons. » Entre témoignages de patients « soulagés » et études publiées dans de prestigieuses revues médicales, l’opinion publique US se fait de plus en plus à l’idée de l’utilisation thérapeutique du cannabis. Vingt Etats et le district de Columbia ont déjà légalisé au moins dans le cadre médical, englobant 11 des 32 franchises NFL. Un nombre qui devrait bientôt monter à 17.

Un agent : « Je préfère voir mes gars prendre quelque chose de plus naturel »

Une étude publiée l’an dernier par Lancet expliquait également que les effets secondaires et addiction sont moins importants avec la marijuana qu’avec les antidouleurs légaux. « Elle est probablement moins risquée que beaucoup de médicaments permis par la NFL », explique Donald Abrams, chef du service hématologie et oncologie du General Hospital and Trauma Center de San Francisco. Un agent influent précise à Sports Illustrated : « Contre la douleur, les joueurs prennent des drogues bien plus sérieuses et addictives : Vicodin, Percocet, Oxycodone, des produits synthétiques qui peuvent vous foutre en l’air. Je préférerais voir mes gars prendre quelque chose de plus naturel. »

Autre découverte essentielle, celle de Raphael Mechoulam. S’il n’a encore rien prouvé avec des humains, ce professeur en médecine chimique et produits naturels à l’université hébraïque de Jérusalem a utilisé des souris - proches de l’homme sur le plan génétique - pour montrer la possible réduction des dommages causés par les commotions cérébrales. « Le THC imite l’action des endocannabinoïdes qui sont une défense naturelle pour réduire les traumatismes crâniens », précise-t-il. En guerre judiciaire contre des joueurs retraités autour des commotions cérébrales, avec une amende de plus de 750 millions $ pour l’instant annulée, la NFL ne négligera pas cette perspective. Beaucoup de joueurs et leurs agents militent pour. Car l’usage de la marijuana, purement récréatif ou pour soulager des douleurs, semble déjà bien implanté.

Selon un ancien joueur, 35% fument de l'herbe... tous les jours !

Un sondage de Sports Illustrated auprès d’employés de franchises, de joueurs et de personnes les côtoyant estime que plus de la moitié des joueurs fument de l’herbe régulièrement. Un agent a poussé son évaluation à 80%, un coach à 60%. Selon un joueur à la retraite depuis 2012, 35% fument... tous les jours ! « Je viens de Californie du sud et ça pousse partout près de chez moi, avoue Omar Bolden des Denver Broncos. Je ne vois pas ça comme quelque chose de grave. » La situation découle de l’approche particulière des ligues privées US sur la lutte antidopage, dont les modalités sont négociées avec les syndicats de joueurs. Un premier test positif pour cannabis (également interdit par les lois fédérales) donnera souvent lieu à un simple suivi thérapeutique. Un deuxième à une suspension de quatre matches, soit un quart de la saison.

Peu sévères vues d’Europe, ces règles sont tout de même plus dures que celles de la NBA (basket) ou de la MLB (baseball). Mais avec un seul contrôle par an pour tous ceux ne présentant aucun antécédent sur le plan des drogues, échapper aux sanctions reste un jeu d’enfant. Le contrôle urinaire (et non sanguin) passé, le joueur se sait tranquille jusqu’à l’année suivante. « Ils l’appellent le test idiot », précise un ancien manager général de franchise. Hamza Abdullah, joueur à la retraite, explique : « La NFL vous demande beaucoup physiquement et mentalement. Certains coéquipiers s’empressaient de rentrer chez eux pour fumer dès la fin de l’entraînement. C’est une sorte d'automédication. »

Une idée de sprays vaporisateurs à la marijuana

Pour certains, la volonté des franchises de réduire l’utilisation des antidouleurs aurait plongé un peu plus les joueurs dans le cannabis. Souvent pour... leur bien. « Des amis qui n’ont plus accès aux antidouleurs vont très mal, relate un ancien joueur. Ceux qui ne faisaient que fumer s’en sortent mieux. » Trois possibilités s’offrent à la NFL pour le futur, tout changement devant être négocié entre la ligue et l’association des joueurs (NFLPA). Les plus frileux réclament des punitions plus légères, calquées sur la NBA où les joueurs ne sont suspendus qu’à la troisième infraction. Beaucoup évoquent plutôt une possibilité de légaliser l’utilisation thérapeutique de la marijuana pour les joueurs avec des conditions strictes d’application, à l’image de ce qui est fait en NFL pour le médicament Adderall (amphétamine) dans le cas des traitements contre le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. Il faudra pour cela attendre que les Etats des 32 franchises NFL aient tous passé une loi autorisant un tel usage.

Si la légalisation du cannabis se multiplie dans les Etats, une dernière éventualité voit certains imaginer... des sprays vaporisateurs de marijuana (ce qui réduit ses effets nocifs et psychoactifs) à utiliser jusque pendant les matches pour les douleurs et le traitement des commotions cérébrales ! Quoi qu’il arrive, les choses seront longues à se mettre en place. « Ceux qui financent la ligue auront le dernier mot, juge l’avocat Shawn Stuckey, ancien linebacker des New England Patriots. Il y a trop d’argent en jeu. » Steve DeOssie, ancien joueur, approuve : « La NFL ne s’occupera pas du problème marijuana avant d’en avoir l’absolue nécessité. » Première ligue à avoir accueilli un coach afro-américain dès 1921 (Fritz Pollard), la NFL va-t-elle être tentée de se rappeler au souvenir de son progressisme historique ? Réponse dans les années à venir.

Alexandre Herbinet