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Foot US: Impossible n'est pas Rob Mendez

Coach Rob Mendez mène ses joueurs de la Prospect High School avant un match lors de la saison 2018

Coach Rob Mendez mène ses joueurs de la Prospect High School avant un match lors de la saison 2018 - DR/Lammi Sports Management

Il est né avec le tetra-amélie, un rare syndrome génétique qui l'a privé toute sa vie de bras et de jambes. Mais il n'a jamais rien lâché pour devenir coach d'un sport qu'il n'a jamais pu pratiquer, le football américain, avant d'être mis en lumière et de voir sa vie changer. RMC Sport vous raconte l'incroyable et inspirante histoire de Rob Mendez.

Son mantra, "Who says I can’t" (qui dit que je ne peux pas?), qu’on retrouve dans ses discours, avec ses joueurs ou sur des t-shirts vendus pour la bonne cause, trouve son origine dans un bal de ses années middle school, l’équivalent américain du collège. "J’ai toujours détesté quand les gens doutaient de moi, raconte Robert Mendez Jr à RMC Sport. Ça allume un feu en moi. Mes amis m’ont défié en me disant que je ne pourrais pas danser avec une des filles. Et je leur ai répondu: 'Ah oui? Qui dit que je ne peux pas?' Je me suis approché d’elle avec mon fauteuil roulant. Et on a fini par danser ensemble toute la nuit." En une anecdote, Rob Mendez vient de résumer un coach et un homme pas comme les autres. 

Syndrome tetra-amélie

Rob Mendez vit une histoire d’amour et de coaching avec un sport auquel il n’a jamais pu jouer, le football américain. Ce Californien de trente-deux ans est né avec le tetra-amélie, syndrome génétique congénital caractérisé par l’absence des quatre membres. Pour vulgariser, il est venu au monde sans bras ni jambes. Une maladie extrêmement rare qui ne voit que peu de cas survivre entre les morts avant la naissance et ceux juste après l’accouchement. Nick Vujicic, prédicateur et motivateur australien touché par ce syndrome, affirmait dans sa biographie que seuls sept personnes au monde vivent avec. Qu’il dise vrai ou non, ils sont peu. Et parmi eux, Rob Mendez. Le coach qui se déplace sur un fauteuil roulant électrique actionné par ses épaules et qui dessine ses tactiques sur tableau blanc ou portable (attaché à son fauteuil et qu’il utilise avec son nez et ses lèvres) avec un feutre ou un stylet dans la bouche. "Au lieu de m’apitoyer sur mon sort, j’ai cru en mes capacités et j’ai profité à fond des opportunités", lance-t-il comme un défi à ceux qui ont douté de lui.

Pour saisir le lien qui unit Rob Mendez au coaching, il faut d’abord comprendre l’homme. Comprendre le chemin pris par une famille qui ne s’attendait pas à cela – ses parents ont appris son syndrome lors d’un ultrason au huitième mois de grossesse, sa mère avoue ne pas avoir pu le regarder pendant les deux premières semaines, son père a un temps noyé sa peine dans la boisson – mais qui a tout fait pour ne pas exclure leur fils envoyé en établissement préscolaire dès dix-huit mois. Son père, Robert Mendez Sr, détestait le mot "spécial" et lui préférait "différent". Il l’a toujours poussé à "repousser (ses) limites". A "prouver qu’ils ont tort à tous ceux qui ont un problème avec (lui)". Ce feu de vie ne va plus le quitter, toujours vif aujourd’hui.

Rob Mendez dessine une tactique sur son portable pour l'expliquer à un de ses joueurs de la Prospect High School en 2018
Rob Mendez dessine une tactique sur son portable pour l'expliquer à un de ses joueurs de la Prospect High School en 2018 © AFP

Il apprend à écrire et à dessiner (mais aussi à jouer au piano) avec la bouche. Grâce aux technologies adaptés, il fait du ski et de la nage. Il s’essaie aussi au bodyboard, arrive à actionner une voiture télécommandée. A neuf ans, son père le met en bas d’un escalier et lui demande de le monter. Son menton sur la marche suivante pour soulever son corps et le porter dessus, il relève le défi en une demi-heure. Avec son fauteuil, il remorque les skates des amis de son quartier. Ses potes remplissent son t-shirt d’oreillers et attachent une planche sur le devant de son fauteuil pour qu’il puisse jouer gardien dans des tournois de street hockey. Quand ils se font un basket, il est arbitre.

Devenu maître tacticien... sur console

Le football américain n’est pas oublié. Devant les exploits de ses idoles des San Francisco 49ers, le jeune Rob se met sur le dos dans son salon, un ballon coincé sous le cou. Il le fait glisser vers son épaule droite qui l’envoie en l’air à la façon d’un flipper avant de le récupérer sous le cou puis de recommencer. "Les gens étaient toujours hypnotisés quand j’envoyais la balle en l’air dans une spirale parfaite, se souvient-il dans une lettre ouverte au football américain publiée par ESPN. Mais je ne connaissais pas d’autre moyen de faire ça. J’aimais le jeu. Je voulais jouer à attraper la balle. J’ai donc trouvé un moyen de le faire."

Lors de sa première année de lycée, dans sa ville de Gilroy, au sud de San Francisco et San José, alors qu’il regarde l’entraînement de ses copains à travers la grille, un des coaches lui propose de devenir manager de l’équipe. On lui offre également le rôle de speaker. Mais "(s)on esprit obsédé par le foot" aspire à autre chose. Car le garçon est devenu un maître tacticien… sur console. Jackie Castillo, sa grande sœur, lui a un jour calé une manette sous le menton. Pour ne pas trop se fatiguer dans des jeux où il faut toujours être en action, le choix se porte sur Madden, la simulation de football américain. Il devient accro. Et très bon. Quand des amis organisent un tournoi à trente joueurs au lycée, il termine deuxième. Sur Madden, il s’amuse à créer des plans de jeu qu’il prend avec lui pour les exploiter à l’entraînement. Pour sa dernière année lycéenne, il est nommé coach des quarterbacks, position la plus importante du foot US. Il a surtout compris ce qu’il voulait faire de sa vie.

Rob Mendez coache un de ses quarterbacks de la Prospect High School en 2018
Rob Mendez coache un de ses quarterbacks de la Prospect High School en 2018 © AFP

Son père s’inquiète d’un choix de carrière qui rapporte peu. Il répond qu’il préfère vivre de sa passion que de gagner plus d’argent. Pendant les douze années suivantes, où il n’hésitait pas à démissionner de jobs à temps partiel en cas de conflit avec l’emploi du temps football malgré le scepticisme parental, il sera coach assistant dans cinq lycées, en attente d’une chance de devenir coach principal. Au printemps 2018, sans travail, celui qui vient d’une famille très religieuse avait même fini par implorer le ciel de lui donner un signe qu’il ne gâchait pas sa vie dans cette voie. Il arrivera quelques jours plus tard.

"Comment ce gars peut-il coacher?"

A la recherche d’un coach pour l’équipe junior varsity (deuxième équipe) de la Prospect High School, à Saratoga, sur la limite ouest de la Silicon Valley, Mike Cable tombe sur son CV et tape son nom dans Google. Bouche bée. Coup de fil dans la foulée. "Pour être brutalement honnête, la première fois que je l’ai vu, je me suis dit: 'Comment ce gars peut-il coacher?', admet celui qui l’a engagé. Puis il s’est approché et m’a dit de lui donner une tape du poing sur l’épaule. Je l’ai fait et toute cette nervosité a disparu. On avait d’autres candidats mais je savais qu’il serait un parfait renfort pour nos jeunes athlètes."

Quelques semaines plus tard, celui qui se sentait "oublié" par les recruteurs entame son nouveau job. En pleine lumière. Car ESPN et ses caméras ont décidé de le suivre toute la saison. "A la base, je pensais que ce n’était pas un vrai coach, avoue Wayne Drehs, journaliste pour le célèbre network sportif américain auteur d’un long article sur lui en février 2019, pour RMC Sport. Je me disais que quelqu’un faisait quelque chose de bien pour un jeune homme qui a eu une vie difficile. Mais quand on s’est rendu là-bas, on a été soufflé: 'Oh mon Dieu! Il est vraiment le coach!'" Avec sa collègue Kristen Lappas, productrice qui a dirigé le documentaire SC Featured sur son histoire, Wayne Drehs va découvrir au fil de ses visites un entraîneur brillant.

Rob Mendez avec ses joueurs de la Prospect High School lors d'un match de la saison 2018
Rob Mendez avec ses joueurs de la Prospect High School lors d'un match de la saison 2018 © AFP

"Rob ne va pas être capable de montrer à un running back le jeu de jambes dont il a besoin sur telle ou telle action, c’est évident, constate le journaliste. Mais il des assistants qui peuvent le faire. Lui peut sortir un tableau blanc, mettre un stylo dans sa bouche et dessiner la tactique. Et quand on regarde ce tableau, vous n’auriez aucune idée qu’il ait utilisé sa bouche. Et son esprit… Il a tellement joué aux jeux vidéo de football américain qu’il voit des choses que d’autres coaches ne sont pas capables de voir. Quand il regarde des matches de NFL, il dit des trucs comme: 'Ils auraient dû mettre ce receveur à cet endroit-là'. Ses connaissances tactiques sont très pointues. Et il est bien sûr très inspirant et motivant pour ses joueurs. Il peut aussi être têtu et avoir la tête dure, comme les autres coaches. Il ne veut pas non plus toujours écouter les suggestions. C’est un vrai coach, à 100%!" 

"Je n'ai jamais peur d'être moi-même"

Ceux qui l’ont côtoyé sur un terrain acquiescent. Rob Mendez n’a jamais pu lancer une balle à un coéquipier. Mais il comprend comment le jeu marche plus que beaucoup, obnubilé par la tactique au point de se laisser parfois absorber quand il mange avec des amis et qu’un match est diffusé. Le tout doublé d’une personnalité détonante. Sa condition l’expose aux regards? Il en a fait une force. "C’est une des personnes les plus ouvertes que je connaisse, poursuit Wayne Drehs. Quand on allait au restaurant, s’il y avait deux filles assises au bar, il me disait: 'Allons-y pour dire bonjour!' Et j’étais là: 'Bordel mec, je suis marié…' Mais il le faisait. Il n’a aucune peur de parler à qui que ce soit à n’importe quel moment. Il a aussi un sens incroyable pour savoir quand quelqu’un le fixe et est gêné ou nerveux. Il va direct vers la personne et met les pieds dans le plat: 'Hey mec, comment ça va? Je m’appelle Rob. Fais-moi une tape du poing sur l’épaule.' Ça désarme tout de suite la personne en face."

Brian Lammi, son agent, confirme pour RMC Sport: "Coach Rob met tout de suite les gens à l’aise et sait très bien 'lire' une pièce. Cela se ressent dans n’importe quelle situation. Il nous pousse à penser aux challenges de nos propres vies et à apprécier ce qui va bien." "Je n’ai jamais eu peur d’être moi-même, appuie Rob Mendez. Ma famille m’a toujours appris à ne pas juger les autres sur ce à quoi ils ressemblent." Tous les témoins l’attestent: il suffit de quelques instants avec Rob Mendez pour oublier sa condition. "En moins de dix minutes, je ne le regardais plus du tout comme un homme sans bras ni jambes, complète Wayne Drehs au sujet de leur première rencontre. Quand les plats sont arrivés, j’ai commencé à manger et tout d’un coup, il me regarde et lance: 'Ça ne te dérangerait pas de mettre ce sushi dans ma bouche?' J’avais oublié qu’il ne pouvait pas se nourrir tout seul! C’était devenu normal."

Avec ses joueurs de Prospect, des élèves de première et deuxième années sans grande expérience du jeu, l’exceptionnel fait aussi vite place à la normalité. Avant sa première saison, un d’eux avait pourtant abandonné l’équipe en raison de sa présence. D’autres ne croyaient pas non plus en lui. "Au début, les autres élèves se moquaient, témoigne Wayne Drehs. Ils disaient à ses joueurs: 'Vous avez un coach sans bras ni jambes? Vraiment? Bonne chance avec ça!" 

"Ne parlez pas de notre coach comme ça!"

Au fil de sa carrière, il a aussi connu ça avec des parents. Parfait pour le motiver. Ceux qui l’ont suivi vont vite se ranger derrière lui, sa détermination XXL et sa volonté de faire de ces enfants "de bonnes personnes avant de bons joueurs". "Ses joueurs combattaient ces critiques, reprend le journaliste. Ça les rendait fous et ils répondaient: 'Fermez-la! Vous ne le connaissez pas et ne parlez pas de notre coach comme ça!' D’une certaine façon, ça leur a servi de carburant sur le terrain. Ils l’aiment tellement. La saison suivante, alors que ce n’est pas une grosse école de football, beaucoup plus d’enfants sont venus à ce sport car ils voulaient être avec lui. Toute l’école s’est ralliée derrière lui." 

Fiers de leur coach, et encore plus quand les adversaires ne le prennent pas au sérieux en raison de son handicap et que leur défaite est au bout. Pas le dernier à hausser le ton pour recadrer ses joueurs, Rob Mendez se situe dans la fourchette haute quand il s’agit de motiver ses troupes. L’histoire de celui qui se définit comme "fou, extraverti et très bruyant sur le terrain" est trop inspirante pour ne pas être mobilisatrice. "A la moitié de la saison, les deux-trois meilleurs joueurs de son équipe ont été invités à rejoindre l’équipe varsity (équipe première, ndlr), qui avait besoin d’aide, se souvient Wayne Drehs. Mais ils avaient développé un tel lien avec Coach Rob qu’ils ont décidé de finir leur saison avec lui. Ça veut dire beaucoup."

Rob Mendez observe ses joueurs de la Prospect High School lors d'un match de la saison 2018
Rob Mendez observe ses joueurs de la Prospect High School lors d'un match de la saison 2018 © AFP

"Ma motivation est de leur faire passer le message de s’aimer soi-même, explique l’intéressé. Une fois que vous comprenez ce concept, vous pouvez commencer à apprécier certaines petites choses de la vie comme être capable de se lever, aller à l’école, passer du temps avec ses copains ou être capable de se nourrir soi-même. Et vous êtes plus là les uns pour les autres." Rob Mendez a passé deux saisons aux rênes de l’équipe junior varsity des Panthers de Prospect, en sécheresse de bons résultats avant son arrivée. Il a signé deux bilans à 8-2 et 7-2, chaque fois battu en finale de conférence. Pour toute l’école, les élèves, les profs, les autres coaches, il a surtout été un modèle. La preuve que rien n’est impossible.

"J'ai réalisé que mon histoire pouvait aider beaucoup de gens"

Quand il en parle, il souligne surtout l’inverse. Il a toujours eu le sentiment d’être aidé. Ses joueurs, son autre famille, ont fait de lui celui qui aide. Pas un homme en fauteuil mais leur coach. Il avait autant besoin d’eux qu’ils avaient besoin de lui. Et ne venez pas chercher des noises aux siens. "Quand son équipe a perdu le match pour le titre, quelqu’un lui a dit que l’adversaire avait utilisé contre eux un joueur de l’équipe varsity, raconte Wayne Drehs. Et Rob est devenu dingue. Il s’est déchaîné auprès de l’arbitre: 'Ce gars est illégal!' Rob a tellement remué ciel et terre que l’autre équipe a décidé de ne pas faire jouer ce joueur dans le match varsity pour que ce ne soit pas considéré comme de la triche. Ses joueurs pleuraient car ils avaient perdu le match et il était en furie sur son fauteuil: 'Je ne peux pas croire que ces gars aient triché!' C’était l’exemple parfait de son côté combattant et guerrier. S’il pense qu’on a fait du tort à son équipe ou à lui, il va vous le faire savoir." "Ma voix peut être très forte", sourit Coach Rob.

A l’époque, Rob Mendez n’aimait pas la lumière. Il souhaitait "juste être un coach". Pas envie de raconter encore et encore son histoire ou de se mettre trop en avant, à l’image d’un Nick Vujicic qui avait expliqué à sa famille qu’il pouvait gagner 25.000 dollars par soirée pour des "discours de motivation". Mais entre l’article et le film, sa médiatisation a tout changé. L’homme qui voulait rester dans l’ombre est devenu une source d’inspiration. Sur les réseaux sociaux, ses followers se multiplient. Sa boîte mail se remplit. Sa boîte aux lettres aussi. "De jeunes enfants à travers le monde m’ont écrit des lettres manuscrites. Quand je les ai lues, cela m’a motivé à plus partager mon histoire. J’ai réalisé qu’elle pouvait aider beaucoup de gens."

Rob Mendez célèbre avec ses joueurs de la Prospect High School après une victoire lors de la saison 2018
Rob Mendez célèbre avec ses joueurs de la Prospect High School après une victoire lors de la saison 2018 © AFP

Donald Driver, détenteur du record de yards à la réception avec les Green Bay Packers (NFL) et ancien vainqueur du Super Bowl, tombe sur son histoire et décide de le prendre sous son aile. Avec son ami Brian Lammi, fondateur et patron de l’agence l’agence Lammi Sports Management, ils l’invitent à être honorés aux trophées annuels Driven to Achieve organisés par Driver. Brian Lammi va finir par devenir son agent. "Coach Rob est tellement motivant et inspirant pour une large palette de gens", constate ce dernier. Les propositions et hommages commencent alors à tomber de partout.

Un trophée au milieu des stars

Il passe des soirées avec le chanteur Gavin DeGraw ou le basketteur Tristan Thompson. Il est honoré au Tribeca Film Festival de New York, où sa personnalité empathique ressort à la première occasion. "Après la cérémonie, nous étions dans les rues pour aller à une soirée pour célébrer cela et il s’est arrêté pour parler avec un sans-abri, raconte son agent. C’était un grand moment pour lui, ses amis et sa famille l’attendaient pour le féliciter, mais il s’est arrêté sans caméra ni témoin autour pour lui donner des paroles d’encouragement." Les propositions de discours de motivation ou de business arrivent de plus en plus. Brian Lammi en évoque aujourd’hui "des centaines".

L’été 2019 va accélérer le processus. En juillet, lors de la cérémonie des ESPYS, les trophées du sport version ESPN, Rob Mendez reçoit le Jimmy V Award for Perseverance, qui récompense une histoire sportive unique et inspirante. "Rob était un choix évident", sourit Wayne Drehs. Qui raconte: "Avant la cérémonie, nous étions devant l’hôtel et la star NFL Adrian Peterson passe dans une voiture. Il sort et dit: 'Oh mon Dieu! Coach Rob! Je dois prendre une photo avec toi, t’es le meilleur!'" En coulisses, il est assis à côté de Dwyane Wade, l’ancienne star du Miami Heat (NBA), et doit s’arrêter aux toilettes avant son discours pour calmer sa nervosité. Sur scène, auteur d’un discours à vous donner des frissons, il fait pleurer l’artiste Ciara venue lui remettre son prix et entraîne une émouvante standing ovation.

Rob Mendez sur scène pour son discours lors de la cérémonie des ESPYS 2019
Rob Mendez sur scène pour son discours lors de la cérémonie des ESPYS 2019 © AFP

Après la cérémonie, c’est au milieu de la skieuse Lindsey Vonn, de l’équipe féminine américaine de football tout juste championne du monde et d’autres étoiles du sport que Wayne Drehs le retrouve. "Voir comment ces célébrités, ces athlètes et ces coaches le regardaient était vraiment cool", poursuit le journaliste. Le coach qui inspire des ados fait de même pour les stars. Il l'admet: l'expérience a "changé (s)a vie". "Il a réalisé l’inspiration qu’il pouvait être et à quel point cela pouvait lui ouvrir des perspectives, relate Wayne Drehs. Il peut aider les autres en s’aidant lui-même à être plus tranquille pour sa vie, à payer ses factures." Invité à rendre visite aux Los Angeles Rams en juin, il remet ça chez les San Francisco 49ers, les Carolina Panthers et les Green Bay Packers, des franchises NFL, pour livrer des discours inspirants. 

Il déride Aaron Rodgers et traîne avec Snoop Dogg

A Green Bay, il chambre le quarterback Aaron Rodgers sur son incapacité à sourire et voit la star qui s’ouvre difficilement prendre place à ses côtés pour parler. Quelques mois plus tard, début mars, juste avant le coup d’arrêt pandémique, il se rend au camp d’entraînement des Houston Astros, franchise MLB (baseball). Pour des défis aux jeux vidéo avec quelques joueurs (ils n’ont pas pu le faire faute de temps) et une rencontre inoubliable avec le manager Dusty Baker, qui occupait ce poste aux San Francisco Giants – l’équipe avec laquelle il a appris à aimer le baseball via son grand-père – quand il était jeune. "Je n’ai pas juste pu le rencontrer et prendre une photo, se souvient-il. Il est venu en voiture à mon hôtel. J’étais en vacances, je passais du bon temps, je buvais un cocktail, et il est venu traîner avec moi comme si de rien n’était. Il voulait prendre le temps d’apprendre à me connaître. Mon grand-père est décédé en 2018 et il n’y aurait pas cru si je lui avais dit que j’avais pu m’asseoir et discuter avec Dusty Baker."

Un mois plus tôt, lors de la semaine du Super Bowl, où il a rencontré sa compagne par l’entremise du joueur NFL Clay Matthews, c’est avec un rappeur très connu qu’il fait ami. "J’étais à Miami, je participais à des shows radio, quelqu’un qui travaillait avec Snoop Dogg m’a entendu et m’a contacté. J’ai pu le rencontrer et passer du bon temps avec lui. (Sourire.)" "J’ai vu Snoop, la footballeuse Megan Rapinoe, le golfeur Brooks Koepka et d’autres stars connecter avec lui, confirme Brian Lammi. Les plus grands noms sont émus par Coach Rob et son histoire. C’est une plateforme puissante pour lui."

Pas la seule. La lumière sur lui a élargi le champ des possibles. Rob Mendez avait un téléphone Samsung, la marque lui en donne un nouveau et le met au centre d’un film promotionnel. La NFL l’utilise dans des vidéos de promotion. Les médias le reçoivent en grandes pompes. La saison 2019 tout juste terminée, Rob Mendez saute d’avion en avion pour honorer tous ses rendez-vous. Il a aussi "démissionné volontairement" de son poste à Prospect, avec l’envie de se mettre en danger pour monter plus haut, ce qu’il avait refusé un an auparavant pour finir le boulot entamé malgré les propositions d’autres écoles pour un poste de coach principal. 

La suite ne connaît pas le mot limite

Mais quand il a postulé pour de nouvelles aventures, la crise sanitaire a frappé avec son confinement passé avec sa copine entre lectures, films, infos, écriture et jeux vidéo. "J’espérais vraiment trouver un job de coach principal d’une équipe varsity en Californie du sud, explique-t-il. J’ai eu quelques entretiens en mars mais c’était l’un des pires moments par rapport à la pandémie et j’ai perdu le contact avec ces écoles. On m’a aussi proposé quelques postes de coach assistant mais je ne cherchais alors qu’un poste de coach principal. Mais je veux rester actif, avoir un emploi du temps stable, car j’ai trop de temps libre en ce moment. Je peux donc être ouvert à un poste de coach assistant désormais." La suite reste à écrire. Avec lui, elle ne connaît pas le mot limite. "J’ai toujours cet état d’esprit: si tu vises les étoiles, tu pourras atterrir dans un bel endroit, confie-t-il. Donc si je vise la NFL, je serais déjà heureux d’atteindre le niveau universitaire ou d’être un coach d’équipe principal de lycée à succès. Tout est possible tant que vous êtes patient et déterminé à travailler dur."

"Rob peut aller aussi loin qu’il le voudra dans le coaching, même en NFL", avance son agent. "Il a les connaissances et la capacité à inspirer suffisantes pour être un coach d’équipe varsity ou assistant coach ou coach principal à l’université, estime Wayne Drehs. Je ne pense pas qu’on le verra un jour en coach principal des Dallas Cowboys mais je crois vraiment qu’il pourrait être assistant pour des équipes spéciales ou différentes choses à haut niveau. Il serait d’accord sur un point: son défaut principal est parfois son entêtement et sa volonté d’admettre qu’il lui reste beaucoup à apprendre. Je peux imaginer une situation où il serait avec un coach très expérimenté et respecté et où il dirait: 'Je ferais ça de cette façon'. Et l’autre qui lui répondrait: 'C’est super mais je suis coach en NFL depuis quinze ans'. Mais ce côté batailleur, cette volonté de ne pas accepter ce que les gens vous disent que vous devriez faire, est ce qui lui a donné son chemin. Il ne doit pas abandonner ça."

Rob Mendez tout sourire après un touchdown de ses joueurs de la Prospect High School lors de la saison 2018
Rob Mendez tout sourire après un touchdown de ses joueurs de la Prospect High School lors de la saison 2018 © AFP

Dans les prochains mois, Rob Mendez compte sortir un livre et lancer un podcast. S’il ne s’imaginait pas le faire il y a deux ans, il n’abandonnera plus l’idée d’inspirer les autres par ses discours: "J’ai l’impression qu’on a besoin de ce message. Mes parents me disent souvent de plus partager mon histoire même si je veux parfois n’être que Coach Rob. Mais il y a des gens pour qui cette forme d’inspiration peut être utile. Nous avons besoin d’espoir dans ce monde. Si mon histoire peut en apporter, je suis reconnaissant de pouvoir être cette personne." Il semble fait pour ça. Son agent évoque "une opportunité" et même "une responsabilité". Coach Rob raconte combien il lui arrive souvent de faire sortir le meilleur des gens. A Las Vegas, par exemple, c’est un homme éméché et qui semble sortir d’une bagarre qui se redresse en le voyant et fait l’effort de garder ses esprits pour lui ouvrir la porte. 

"J'aimerais un jour coacher en NFL"

A terme, il s’imagine aussi un destin médiatique. "Quand j’en aurai fini avec le foot, je me tournerai peut-être vers la radio ou la télé", lance-t-il. "Il serait fantastique pour couvrir le football ou d’autres sports", s’enthousiasme son agent. Mais pour l’instant, et tant qu’il le pourra, le football et le coaching – dont il adore le côté "partie d’échecs" – restent la priorité. "C’est ce qui m’a mené où j’en suis, ce qui me rend vraiment heureux. Je vais coacher aussi longtemps que je le pourrai et voir jusqu’où cela me mènera. Et qui sait? J’aimerais un jour coacher en NFL mais si cela n’arrive jamais, je peux avoir du succès à l’université ou au lycée." 

Dans sa progression, il pourrait être aidé par le Bill Walsh Diversity Coaching Fellowship, programme de la NFL qui aide des coaches prometteurs issus de la diversité (dans le sens global) via une participation à des camps d’entraînement dans le but de viser un job à temps plein. Lors de ses différentes visites de franchises, nombreux sont ceux à l’avoir poussé à s’inscrire. Il était très motivé. Malheureusement, le Covid-19 est passé par là. "Ils essaient de minimiser le nombre de gens autour de chaque organisation, précise-t-il. Ils ont stoppé ce programme pour cette année mais on peut espérer qu’il reprenne l’année prochaine."

Rob Mendez le long de la ligne de touche avec ses joueurs de la Prospect High School lors de la saison 2018
Rob Mendez le long de la ligne de touche avec ses joueurs de la Prospect High School lors de la saison 2018 © AFP

Dans l’intervalle, Rob Mendez ne changera pas. Les opportunités nées de sa médiatisation lui ont offert une meilleure vie, à l’image de l’appartement avec deux chambres dans lequel il vit désormais à San Diego. Mais la lumière ne modifie pas le bonhomme. "Cela m’a apporté beaucoup de bénédictions, confirme-t-il. J’ai pu rencontrer beaucoup de gens géniaux, découvrir de nouveaux endroits. Avant 2018, je n’avais jamais quitté la Californie. "Il a aussi dû apprendre à gérer le fait d’être reconnu dans la rue en dehors de sa ville. Certains qui ont entendu son histoire l’approchent en pleurant. Pas toujours facile. "Je suis parfois submergé par les émotions quand je suis face à une grande foule, confie-t-il. Mais je me suis adapté. Une fois que j’avais accepté le trophée des ESPYS, je savais que ma vie allait changer. J’ai reçu beaucoup de soutien donc je ne vais pas repousser ça et faire ma tête de con juste pour faire ma tête de con. C’est parfois écrasant mais c’est inévitable. Je préfère que ça se passe comme ça plutôt que personne ne m’approche. (Sourire.)"

Leçon de vie pour les autres

Avec tout ça, on connaît des gens qui auraient vrillé dans la tête. Pas Coach Rob. Le plus beau compliment est signé Wayne Drehs: "Au départ, il n’avait pas saisi l’impact que son histoire allait avoir sur les gens. Mais il reste le même. Quand je fais des sujets sur des gens qui ne sont pas des stars et qu’ils se mettent à recevoir beaucoup d’attention, ils deviennent très souvent de pires personnes. Rob est 100% l’opposé. Avant la diffusion de son histoire, il était parfois difficile, avec la tête dure, mais quand il a vu de ses yeux l’inspiration qu’il était pour des millions de gens, il est définitivement devenu une meilleure personne." "C’est une analyse assez juste, s’en amuse l’intéressé. Je n’ai jamais aimé les gens qui ont la grosse tête. J’ai vraiment voulu représenter ma famille humblement." 

Son histoire fascinante est une leçon de vie. Pour les autres. "Nous le regardons à travers nos yeux mais pas à travers les siens, pointe Wayne Drehs. Il ne sait pas ce que c’est de tenir un ballon ou serrer quelqu’un dans ses bras. Dans un sens très viscéral, il ne sait pas ce qui lui manque. Il dit souvent que les gens le regardent et disent: 'Je me sens si mal pour vous… Comment faites-vous pour vous en sortir?' Et il répond: 'C’est ma vie et je suis OK avec ça! J’ai appris comment faire avec et je vais bien. Ne me faites pas ressentir que je devrais me sentir de façon merdique de ne pas avoir ce que vous avez!' Ces choses que les gens projettent sur lui l’énervent."

Rob Mendez poussé sur son fauteuil par un de ses joueurs de la Prospect High School lors de la saison 2018
Rob Mendez poussé sur son fauteuil par un de ses joueurs de la Prospect High School lors de la saison 2018 © AFP

Rob Mendez avoue à ESPN sa frustration de ne jamais avoir pu pratiquer un sport normalement. Mais il n'a jamais rêvé de jambes ou de bras ou connu le syndrome du membre fantôme. Il a eu l’opportunité d’avoir des prothèses mais a refusé. Il ne réfléchirait à le faire que s’il devenait père. Il s’est juste toujours adapté, tête haute. "C’est un homme très fier, développe Wayne Drehs. Même si on s’est très bien entendu, il y a plein de fois où on s’est pris la tête. Pour le trophée Jimmy V, ils m’ont demandé si je voulais bien aller en Californie pour la séance photo et aider à ce que les choses se passent bien. Je leur ai dit que c’était un peu fou mais ils ont insisté. Et ils avaient raison. Les gens lui disaient: 'Rob, prends telle ou telle pose! Fais ceci, fais cela!' Et il répondait en s’énervant: 'Non, non, je ne fais pas ça!' Et j’étais là pour lui dire: 'Mec, c’est cool!' Sa perception du monde et sa façon d’interagir avec lui sont différentes de ce qu’on connaît et il est frustré quand les gens tentent de le traiter différemment sur la base de ce qu’ils pensent qu’il ressent."

Libre comme Iron Man

Il avait fini par lâcher le fond de son cœur à Wayne Drehs. "Il m’a dit: 'J’ai trente ans, je suis célibataire, je suis coach d’une équipe lycéenne de junior varsity et j’ai besoin de faire plus'", raconte le journaliste. Il avance sur ce chemin. "Et ce n’est pas fini", lance-t-il. Quand on l’attache sur son fauteuil roulant, Rob Mendez dit se sentir comme le super-héros Iron Man quand il enfile son costume et se met à voler. Libre, indépendant, alors qu’il doit se faire assister pour tous les gestes du quotidien (aller aux toilettes, prendre un bain, se laver les dents, s’habiller, manger, etc) quand il en sort mais déteste demander de l’aide.

"Quand il quitte son fauteuil, vous réalisez à quel point il est petit et vulnérable, rappelle Wayne Drehs. Un soir, l’entraînement avait fini tard et il m’avait demandé de le raccompagner chez lui. J’avais loué une petite voiture avec deux portes et je ne pouvais pas y faire rentrer son fauteuil donc on l’a branché au lycée et je l’ai attaché sur le siège à côté de moi. Quand vous le soulevez, il est plus lourd que vous l’auriez pensé par rapport à sa taille (23 kilos selon son article, ndlr). Mais surtout, vous réalisez combien c’est un être humain vraiment pas comme tous les autres. Cela vous marque beaucoup. Il évite ces moments autant que possible, surtout en public. Mais sa personne humaine est 500 millions de fois plus grande que la personne physique qu’il est."

Coach Rob Mendez
Coach Rob Mendez © DR/Lammi Sports Management

Rob Mendez a des douleurs chroniques au cou (qu’il utilise comme son bras), au dos et à l’épaule. Une scoliose. Quand il fait chaud, avec son corps qui retient plus de chaleur que quelqu’un avec des doigts comme extrémités, il peut avoir des escarres s’il reste trop longtemps dans la même position. Seul loin de chez lui, il fait attention à ce qu’il boit et mange pour ne pas devoir utiliser les toilettes sans aide. Il boit de la bière mais pas plus de deux verres car l’alcool l’affecte plus vite vu son poids. Il lui arrive de tomber de son fauteuil et de se blesser. C’est arrivé, et très fort, lors de sa première saison à Prospect. Deux jours après, il était à l’entraînement pour être présent pour ses joueurs. Il refuse une deuxième ceinture (il en a une à la taille) pour ne pas être limité dans ses mouvements. Il n’aime pas se plaindre, "un poison", et ne l’a jamais fait.

Il avance, sans se retourner, toujours le sourire toujours aux lèvres ou presque. Il l’a dit mieux que personne aux ESPYS: "Quand vous vous concentrez sur ce que vous pouvez faire plutôt que sur ce que vous ne pouvez pas faire, vous pouvez aller loin. Réaliser que je ne pouvais pas jouer au football mais coacher était ma façon de ne jamais abandonner. Si vous n'êtes pas sûr de pouvoir arriver à faire quelque chose, je suis là pour vous dire que vous pouvez. Qui dit que je ne peux pas? Personne!" Sans le football américain, il ne sait pas ce qu’il serait devenu. Mais il assure qu’il serait moins heureux. Le jeu lui a rendu tout ce qu’il lui a donné, au-delà des différences. Il est devenu une "star" sans le vouloir mais en découvrant tout ce que cela pouvait apporter, à lui comme aux autres. Dans vingt ans, il espère "être un coach établi et respecté, pas un grand coach pour un homme sans bras ni jambes mais un grand coach tout court". Il souhaite continuer à "inspirer les gens à chasser leurs rêves". Il pense aussi à fonder une famille. Il n’a "jamais abandonné" et n’est "pas près de commencer". Impossible n’est pas Rob Mendez.

Alexandre HERBINET (@LexaB)