
XV de France – Julien Marchand, l’histoire d’un retour
Il s’en est fallu d’une journée pour que l’anniversaire soit précis. 1er février 2019, ouverture du Tournoi des VI Nations. Dernière action de France-pays de Galles (19-24). Les Bleus s’accrochent pour s’éviter une nouvelle désillusion. Un cruel désespoir d’avoir vu leur brillante première période et une large avance (16-0) être annihilée par une litanie d’erreurs. Glissade de Huget, interception sur une passe de Vahaamahina, les Gallois qui se gavent d’essais "cadeaux" et filent vers un succès. Les dernières tentatives échouent sur le mur rouge. Au moment où l’arbitre Wayne Barnes siffle la fin du cauchemar, le talonneur toulousain Julien Marchand, en pleurs, se tord de douleur au sol. Pour sa deuxième sélection, il dit adieu à beaucoup de choses sur la pelouse dionysienne.
Verdict sans appel: rupture des ligaments croisés du genou gauche. Il vivra la formidable épopée de son club vers le Bouclier de Brennus au printemps sur le bord du terrain, même si son coéquipier Jerome Kaino aura la classe de le laisser soulever le bout de bois avec Maxime Médard. A cela, l’espoir de jouer une première Coupe du monde au Japon s’évanouit également dans la froide nuit parisienne. "J’ai dû prendre les choses par étapes, avoue aujourd’hui le Toulousain. Les regrets étaient au début. De voir que j’allais louper le Tournoi et évidemment la Coupe du monde. Mais il a fallu de suite que je me concentre sur moi et cette blessure. Passer à autre chose, penser à la suite et à la rééducation."
Relativiser pour ne pas gamberger. "C’est la vie. Et il y a des choses plus graves. Bien sûr que j’étais frustré au début, un peu en colère contre moi, même si je n’y pouvais pas grand-chose. Mais ça fait partie du sport. Et peut-être que je me suis du coup plus préparé. C’est le destin." Et il va bien faire les choses ce destin. Pendant des mois, Julien Marchand bosse comme un forcené pour revenir. "C’était dur! ça montait et ça descendait en fait. Il y a eu du bon et du moins bon. Un gros passage à Capbreton où on a très bien bossé. Au club, ça s’est bien passé aussi. Toujours avec de gros pics d’intensité. C’était très fatigant. Mais ça en valait la peine."
Avec Servat, la filiation
Et comment. Le 12 octobre, soit à peine plus de huit mois après la blessure, il foule de nouveau les terrains de Top 14. Trente-quatre minutes face à Castres (victoire 36 à 15). Les mauvais souvenirs s’envolent. "Je n’y pense plus trop. Il faut savoir vite digérer. Il y a tellement de choses à penser sur le jeu." En tire-t-il une leçon? "On se dit toujours qu’il y a plein de choses à rectifier quand on se blesse. Je ne pense pas avoir mal fait les choses donc j’essaye de garder le même fil. Après, on peut toujours s’améliorer. Que ce soit sur l’alimentation, la récupération. On peut toujours en faire plus." Ses efforts ne seront pas vains.
Le 8 janvier dernier, il fait partie de la liste des 42 joueurs amenés à préparer première rencontre du Tournoi des VI Nations face à l’Angleterre annoncée par Fabien Galthié. Plus qu’une récompense, Marchand ressent ce jour-là "beaucoup de fierté. D’être appelé et d’avoir pu revenir, même si je sais qu’il reste beaucoup de travail à fournir." Il est donc de l’aventure, de ce chapitre entamé par ce nouveau staff. Au sein duquel se trouve un certain William Servat, qui était l’entraîneur des avants du Stade Toulousain. Et qui a vu débuter Marchand. "Vous savez Julien, je l'entraîne depuis... Je crois qu'on a commencé à lancer ensemble depuis qu'il avait 18 ans, ce qui a fait rire parfois d'autres garçons qui à l'époque disaient que c'était plus de la formation. C'est un mec très attachant, très déterminé. Qui a des moyens physiques assez extraordinaires. Mais au-delà de ses moyens physiques c'est quelqu'un qui est très à l'écoute, qui a la maturité de pouvoir dire quand il comprend ou quand il ne comprend pas les choses."
La confiance est mutuelle entre les deux hommes. La ressemblance aussi. Tous deux originaires du Comminges, à une heure de route au sud-ouest de Toulouse. Servat, l’homme de Salies du Salat et Marchand, du petit village de Loures-Barousse, à moins de 50 kilomètres. Presque une filiation entre ces deux taiseux à la morphologie similaire. "On a un lien, c’est sûr, avoue Marchand. J’ai commencé avec lui, il m’a beaucoup appris. Beaucoup aidé aussi. On se côtoie, on s’appelle. Il a aussi démarré sa carrière d’entraîneur avec nous." Avec les Baille, Aldegheri, Cros et consorts. Servat lui a transmis les ficelles du poste. "De prendre de la confiance avec le paquet d’avants. Quand tu abordes les mêlées, c’est à toi de commander, d’être un peu le chef des huit. Et puis sur la touche, de ne pas trop se prendre la tête. De se relâcher, de se concentrer. Et après il m’a conseillé sur les phases statiques, au bord des rucks."
Le forfait de Chat le propulse titulaire
Comme son mentor aux 49 sélections, Marchand est fort en mêlée et excellent lanceur en touche. Un gros potentiel. "Aujourd'hui je pense que c'est un joueur qui peut faire partie des meilleurs talonneurs du monde, ajoute Servat. Et je pense qu'en travaillant et en continuant à travailler, il va encore progresser et évoluer. Très sincèrement c'est un gros leader. C'est un leader de combat, leader de vie et quand on joue avec lui, les mecs autour de lui sont de manière générale un petit peu plus courageux." Et du courage il va en falloir dimanche face aux vice-champions du monde anglais. A bientôt 25 ans, le capitaine du Stade Toulousain, dont le nom avait été évoqué pour exercer la fonction en bleu ("je ne suis pas du tout légitime pour ça avec deux matchs au compteur", estime-t-il), est prêt.
2 février 2020. Clin d’œil de l’histoire, il va retrouver le maillot tricolore un an et un jour après sa grave blessure. Car cette semaine, le forfait de Camille Chat propulse Julien Marchand comme titulaire au poste de talonneur. Concentré sur sa préparation, lui n’avait pas spécialement fait le calcul calendaire. Plutôt à travailler sur l’identité, le cadre, les valeurs prônées par Fabien Galthié et Raphaël Ibanez, qui lui vont parfaitement. "Bien sûr que tu as envie de tout donner quand tu vas en équipe de France. De montrer ton meilleur visage. De bien représenter ce maillot. Tu as envie de faire du mieux possible pour que tes amis, ta famille, soient fiers de toi". Exorciser les cicatrices du passé enfin lancer la carrière en Bleu. Dorénavant la mission de Marchand.