
Top 14: Montpellier-Goosen, les dessous d’un salaire déguisé
"Ça va taper fort", entend-on depuis plusieurs semaines au sujet du Montpellier Hérault Rugby. Selon nos informations, Samuel Gauthier, le "salary cap manager" de la LNR, a mené ces derniers mois de longues investigations concernant la saison 2018-2019. Il s’est intéressé au club héraultais, suspecté d’avoir dépassé le plafond de la masse salariale à travers plusieurs agissements. Soumis à un devoir de confidentialité, Gauthier a bouclé son rapport voilà plusieurs semaines et l’a envoyé au MHR, qui a en a pris récemment connaissance.
Il a interrogé de très nombreux protagonistes en France et à l’étranger, notamment en Afrique du Sud, à la recherche d’anomalies. A défaut de preuves formelles, il aurait découvert plusieurs faisceaux d’indices sur un potentiel dépassement.
Pourquoi? Le club héraultais aurait payé des joueurs de manière détournée. Il faut dire que les salaires de certains, présentés officiellement, ne collent pas à la réalité du marché. Comme celui de Johan Goosen, avoisinant les 15.000 euros, bien loin du standing d’un tel joueur en Top 14.
Une histoire totalement rocambolesque
Son exemple est d’ailleurs très parlant. Et son histoire rocambolesque. Pour comprendre, il faut remonter au temps où Goosen faisait les beaux jours du Racing 92: sacré champion de France en juin 2016 avec les Franciliens, il est ensuite élu meilleur joueur du Top 14 à l’automne. Tout débute donc avec sa volonté de renégocier son contrat, à ce moment-là.
Le Sud-Africain veut gagner plus, arguant notamment le fait de ne pas être au courant des implications fiscales de son contrat. Son agent de l’époque lui recommande de patienter. Mais Goosen, qui a pris conseil auprès de Willy Le Roux, son coéquipier en sélection, ne l’entend pas de cette oreille. Le Roux fait alors le lien entre son agent personnel, Eduard Kelder et Goosen. Et Kelder prévient un de ses collègues, Gerrie Swart, qui est très implanté à… Montpellier.
Goosen choisit donc de changer d’agent et confie ses intérêts à Swart. C’est à ce moment-là qu’ils imaginent le fracassant départ du joueur du Racing 92: pour casser le CDD avec le club francilien, ils se servent d’une simple offre d’emploi à plein-temps en Afrique du Sud, un improbable CDI de vendeur de selles de chevaux. Le procédé est en marche: janvier 2017, le Racing 92 n’a plus de nouvelles de son joueur, qui s’est envolé.
"Il annonce ainsi aujourd’hui avoir pris la décision invraisemblable d’arrêter sa carrière de joueur pour rentrer en Afrique du Sud fort d’une prétendue embauche pour un rôle de directeur commercial", constate, amer, le président francilien Jacky Lorenzetti dans un communiqué. Goosen, pourtant sous contrat, ne reviendra jamais.
Une démarche opaque pour faire transiter des fonds
Nos confrères de Canal+ retrouvent sa trace en Afrique du Sud, dans un haras, à s’occuper de chevaux, où, par téléphone, il leur avoue son bonheur: "J’adore m’occuper de chevaux, c’est ce que j’ai toujours voulu faire!" Mais derrière cette façade, le stratagème est en place. Le club de Montpellier, qui cherche depuis le début à récupérer le joueur, ne peut évidemment pas le rémunérer durant cette période. Mais selon nos informations, c’est là que Kelder et Swart entrent en scène. En relation avec le président du MHR Mohed Altrad, ils auraient imaginé une démarche opaque pour faire transiter des fonds entre eux et le joueur.
Un système aurait été mis au point: propriétaire d’une entreprise agricole, Goosen aurait vendu du bétail à un autre éleveur, mais à des prix très gonflés. Ce dernier recevait alors l’argent nécessaire pour faire les achats surévalués. Ces sommes auraient été versées à la société de négoce "Goens G10 Bonsmaras".
Il suffit de se rendre sur le site internet qui regroupe les éleveurs pour retrouver la trace du joueur sud-africain. RMC Sport s’est d’ailleurs procuré le numéro de compte (62xxxxxxxxx) ou encore le code de la succursale (21xxxx) de cette société tout comme le numéro de compte de Goosen (62xxxxxxxxxx) à la First National Bank Burgersdorp.
Les inquiétudes de Goosen
L’argent serait passé d’un compte en Suisse pour arriver sur un autre à Hong-Kong, puis en Afrique du Sud. De cette façon, Goosen aurait été payé l'équivalent de ce qu'il aurait perçu au Racing. Dans un échange de SMS avec Kelder, que nous nous sommes également procurés, Goosen s’inquiète à un moment de ne pas parvenir à entrer en contact avec la personne à qui il a envoyé des documents à Hong Kong. Le 7 juillet 2017, les deux hommes échangent des messages vocaux à ce sujet. "Il a été payé via deux sociétés écran, une en Suisse et à Hong Kong et cette société de bétail a acheté du bétail à la société de Goosen à des prix surévalués afin de lui permettre de récupérer l’argent", résume une source.
Montpellier rachètera finalement le contrat de Goosen au Racing pour environ 1,5 million, alors qu’il lui restait deux ans et demi de contrat. La nouvelle est officialisée par le club le 22 février 2018. Dans la foulée, Goosen est sollicité par les Anglais de Leicester pour une pige mais décline la proposition, non sans que ses agents aient sondé la volonté du club et du manager du MHR de l’époque, Vern Cotter. Swart et Kelder échangent alors régulièrement sur le sujet par texto: "Mohed veut juste que Vern donne son avis. Je pense qu’ils seront plus tranquilles avec une province sud-africaine". L’opération validée, Goosen fera son retour sur les terrains avec les Cheetahs. Il reprend l’entraînement en mars 2018 et disputera trois matchs de Pro 14 dès avril.
Swart est revenu dans la danse au MHR
Mais l’opération connaît quelques soubresauts. Par moments, Goosen s’inquiète et s’impatiente, se demande quand son argent arrivera. Il se retourne vers les agents, car se pose alors la question de possibles problèmes fiscaux à venir. Alors qu’il arrive à Montpellier au mois de juillet, trois semaines après, Gerrie Swart lui indique subitement qu’il ne le représentera plus. Il aurait craint alors que les impôts ne deviennent un problème et préfère s’éloigner du joueur. De son côté, Eduard Kelder, lui, est suspendu trois ans d’activité en septembre 2018 après avoir été déclaré coupable de "mauvaise gestion financière" et de s’être notamment fait directement payé des commissions plutôt qu’à la société qu’il représentait.
Gerrie Swart revient dans la danse au MHR pour la signature de Handre Pollard. Il faut dire qu’il a l’habitude de faire signer des joueurs sud-africains dans l’Hérault: Bismarck Du Plessis, Jannie Du Plessis, Paul Willemse, Jacques Du Plessis, Henry Immelman, Jan Serfontein et François Steyn, mais aussi des jeunes au centre de formation. Des éléments, dont le salaire pour certains, ne dépasserait pas, selon nos informations, les 17.000 euros, en totale inadéquation avec les prix du marché pour des champions du monde. Ces derniers jours, le nom de Swart est encore revenu concernant le troisième ligne Pieter-Steph du Toit. Le champion du monde a été annoncé proche du MHR par la presse sud-africaine, avant que le club héraultais ne fasse un démenti aussi ferme que rapide le 3 mai dernier. Mais il se murmure que le meilleur joueur du monde 2019 pourrait rejoindre Montpellier en 2021.
La réponse d'Altrad
Quels ont donc été les éléments en possession de Samuel Gauthier, le "salary cap manager"? En cas de dépassement avéré, le règlement, qui a un peu évolué, prévoit d’abord une possible procédure de médiation (qui est confidentielle) avant une procédure disciplinaire (une commission spécialisée serait alors saisie). Ensuite, viendrait le tour de la prononciation de la décision de la commission et un appel éventuel du club ou de la LNR devant la commission d’appel de Fédération Française Rugby. Concernant le salary cap, le club héraultais a par deux fois été blanchi.
La dernière fois, c’était en novembre 2019 par la commission d’appel de la Fédération française de rugby alors que le commission de discipline de la Ligue lui avait infligé une amende de 470.000 euros. La LNR n’a pas souhaité communiqué sur le récent rapport ces derniers jours. De son côté, contacté par RMC Sport, le président du MHR Mohel Altrad a affirmé "ne pas vouloir réagir à des informations qui ne sont pas vérifiées".