
"De là à faire le procès du rugby...", Ugo Mola, perplexe devant l’action des joueurs britanniques touchés au cerveau

Ugo Mola - ICON SPORT
Comment réagissez-vous à ces témoignages de deux joueurs vous avez côtoyé à Brive et pensez-vous que le rugby a failli dans ces cas précis?
C’est hyper délicat. Je peux même revenir à ce que j’ai connu moi-même en tant que joueur. Je ne pense pas que le rugby a failli. Le rugby a juste eu un temps, un niveau de connaissance qui n’était pas à la hauteur de ce qu’il est aujourd’hui. Et que malheureusement, rétrospectivement, oui on a pris des risques avec des joueurs. Et c’était aussi dans l’ADN du rugby que de s’accrocher, revenir sur le terrain, de faire fi de certains passages compliqués. Après, je suis toujours partagé concernant ces grands élans collectifs, où l’intérêt personnel peut prévaloir et l’intérêt collectif s’amenuiser. Vous savez, c’est tous ces regroupements que l’on peut avoir et après on fait des amalgames et des clichés parfois malencontreux.
C’est-à-dire?
Aujourd’hui on est dans une société où ça va être compliqué de se fréquenter, où la mixité va être compliquée, où j’ai l’impression que tout va être compliqué. Ils ont très certainement souffert dans leur chair, certains ont certainement des séquelles, c’est évident. De là à faire le procès du rugby et gens qui étaient à la tête des clubs en l’occurrence et leur niveau de connaissance du moment ça me parait être un grand pas. Si c’est pour protéger les générations futures, je m’inscris totalement dans la lignée de cette procédure. Mais si c’est pour faire le procès et revenir à des choses en arrière qui ne vont faire que juger et jeter l’opprobre sur des mecs qui n’avaient pas le niveau de connaissance, des médecins, des clubs, des fédérations, c’est compliqué. Je fais très attention à ces dynamiques collectives. Ce trop-plein de raccourcis. Il faut faire attention et c’est un sujet qui est hyper, hyper, sensible. En l’occurrence, pour les avoir côtoyé les deux, ce qui est sûr c’est que ce n’était pas des garçons qui calculaient et qui se ménageaient sur le terrain. Donc forcément, ils ont dû y laisser des plumes.
Vous avez traversé ces périodes. On imagine que la précaution autour de la santé des joueurs et la gestion des commotions cérébrales n’ont plus rien à voir maintenant?
Honnêtement en l’espace de quelques années… à l’image de la gestion que l’on fait ce week-end de Dorian Aldegheri (sorti dimanche dernier avant la mi-temps lors du Angleterre-France pour suspicion de commotion et absent ce week-end en Ulster, ndlr). Il y a beaucoup de clubs qui l’auraient exposé le week-end d’après. Car tous les voyants sont au vert. Sauf qu’on prend la précaution, nécessaire pour qu’il n’ait pas à subir des effets rédhibitoires pour la suite. On a tous en mémoire, et c’est l’élément déclencheur, Florian Fritz ici (sorti en sang et commotionné lors d’un match de phases finales face au Racing 92 mais de retour sur le terrain dix minutes plus tard, ndlr). Et donc on a des images en tête. Moi j’ai celle de Thierry Dusautoir, KO contre Clermont au Stadium, qui a joué la finale la semaine d’après (une demi-finale de Coupe d’Europe au London Irish en fait, ndlr) et qui a été champion. On a tous des moments très compliqués en mémoire. Mais je pense que c’est plus le niveau de prise en charge des clubs, du staff médical et de prise de conscience générale des joueurs. Eux avaient besoin de prendre conscience aussi que leur santé était en danger. Et de ne plus se dire "si je fais un KO et que je ne reviens pas, je vais passer pour un trouillard". Non, si tu fais un KO, si tu as un moment une perte de connaissance, tu te dois et tu dois à ton environnement le déclarer, en parler et l’évoquer de manière purement scientifique pour éviter des récidives et des problèmes ultérieurs. Je pense qu’on a augmenté le niveau de connaissance. Mais je reviens à ce moyen: l’alerte est toujours géniale. L’alerte collective a du sens. Dans nos sociétés, elle a du sens. Mais quand elle devient "cliché" et que l’on tombe sur des mauvaises personnes, il faut faire attention.
"On vit dans une société terrible"
On est aujourd’hui loin de la fameuse éponge miracle et du joueur qui passe pour un guerrier en retournant au combat?
Oui mais avant il y avait vingt minutes de temps de jeu et ne vous inquiétez pas, ils ne se mettaient pas de "lactique" dans les cannes. Moi j’y ai joué avant. Mais c’est vrai que tu pouvais prendre à tout moment une reprise de volée. Je me suis cassé la mâchoire à Grenoble et je me suis réveillé à Toulouse deux jours après. C’était un autre rugby. Aujourd’hui, on a avancé, surtout sur la prise en charge médicale, sur la technique, la protection des arbitres. La règle évolue dans le bon sens. Je pense que le niveau d’alerte était important mais attention à ne pas tomber dans un raccourci trop rapide.
Pourquoi craignez-vous ça?
On vit dans une société terrible. Tout est sujet à polémique, les réseaux sociaux, etc. Ce que j’ai peur, c’est d’un truc totalement illisible. Tu vas voir un match au Stade Toulousain, tu ne sais qui va jouer entre les internationaux ou pas. Un rugby malheureusement à mon sens, suite à l’analyse de la Coupe du monde 2019, où on en est à arroser comme jamais sur le terrain. Plus personne dans les stades. Vous ajoutez à ça le climat ambiant compliqué. Moi, oui, j’ai peur que ça plus ça plus ça, fasse que les gamins n’aillent pas à l’école de rugby et ne prennent pas du plaisir. Regardez Antoine Dupont. C’est réellement un enfant de la balle qui a envie de jouer au rugby. Mais si tout son environnement se pollue par des affaires, des histoires, mais qui parfois ont du sens attention, à un moment on a besoin de retrouver de l’apaisement et de la lisibilité. Et des choses un peu saines.