
Castres: Wihongi, l’incroyable doyen du Top 14
"Pousser derrière Karena en mêlée? C’est comme être dans un fauteuil Chesterfield, en train de fumer un bon cigare, avec un bon verre de cognac!" La sortie, tout sourire, est du deuxième ligne Rodrigo Capo Ortega, coéquipier de Karena Wihongi, 40 ans en septembre dernier et de retour à Castres pour un dernier tour de piste cette saison. Et "Capo" en sait quelque chose (vice-doyen avec 39 ans), lui qui a profité de la puissance du pilier pour aller chercher son premier Brennus en 2013. "Plus sérieusement, c’est quelqu’un de généreux, une superbe personne. Ça fait plaisir de l’avoir avec nous, il apporte beaucoup."
Depuis cet été, Wihongi traîne de nouveau son imposante carcasse (1m86, 135 kg) du côté du centre d’entraînement de Lévezou. Il avait quitté Castres en 2016, après cinq saisons passés dans le Tarn. A l’époque, il s’était à l’époque engagé en faveur de Lyon. Mais une rupture du tendon d’Achille l’avait empêché d’honorer son contrat. Son âge déjà avancé à l’époque, 37 ans, faisait croire à la fin de l’aventure. Mais l’homme aime trop le rugby. "C’est un métier que je fais depuis tout petit. Ce n’est que du bonheur, j’ai une énorme chance." Alors après deux saisons blanches, il rempile en Pro D2, à Carcassonne. Il jouera vingt matchs. Dont dix-sept comme titulaire.
Et quand le Castres Olympique cherche un joker médical à Daniel Kotze, victime lui aussi d’une rupture du tendon d’Achille en mai dernier, c’est presque naturellement qu’il se tourne vers son ancien "cric". Sans le regretter. "Moi, il me motive Karena, dit le manager du CO Mauricio Reggiardo. Il m’inspire la motivation, avec le professionnalisme, l’enthousiasme qu’il met. C’est un exemple. Et je remercie le rugby qu’il y ait encore des mecs comme ça, un peu de la vieille école." Depuis le début de saison, Wihongi, s’il ne joue pas tous les week-ends, reste précieux dans la rotation. A quarante ans… pas le fruit du hasard.
Wihongi: "Pour le moment, le châssis tient bien"
Car l’homme a toujours été très professionnel. Dans son hygiène de vie d’abord. Chez lui, dans la campagne environnante de Castres, ça commence par l’alimentation. Sa femme Ana, Equatorienne d’origine, qu’il a rencontré à son arrivée en France à Lons-le-Saunier, en provenance de Nouvelle-Zélande, s’occupe de tout. "Un travail d’équipe dit son homme". Niveau caractère, elle c’est le feu et lui la glace. "Il fait très attention à ce qu’il mange, dit-elle avec l’enthousiasme qui la caractérise. Par contre c’est un gourmand, car sa maman était pâtissière. Alors il aimait bien manger des sucreries avant. Comme Obélix, il était tombé dans la marmite étant petit! C’est pour ça peut-être qu’il avait un physique si développé. Mais maintenant il fait très attention."
Au déjeuner, elle lui sert une assiette de soupe de légumes et, à côté, une autre de crudités avec du saumon fumé. Depuis quelques semaines, comme d’autres joueurs de Castres, Wihongi tente une alimentation sans viande. "Je trouve que je récupère mieux. Si ça me fait du bien, je continue. On fera des grillades plus tard avec les copains." Lons-le-Saunier (Fédérale 1), Oyonnax, Bourgoin, Sale, Castres, Carcassonne et de nouveau Castres, on ne fait pas vingt ans de carrière par hasard. "Je crois que c’est une hygiène de vie. Prendre soin de son corps. Surtout la récupération, après les matchs, les entraînements. Je connais parfaitement mon corps. Ce qu’il faut faire, éviter. Oui c’est un métier très difficile, avec des contraintes comme les blessures. C’est pour ça qu’on travaille sans arrêt. Musculation, préparation physique, pour éviter les blessures."
Un bisous, il prend son sac et file à l’entraînement. Dans sa voiture, sur le trajet, pas de lassitude, même au début de l’hiver. "On est habitué". Quand on lui demande si son corps est comme un diesel, il rit. "Presque un hybride! Mais bon, ça va, ça tient, c’est un bon bloc moteur que j’ai dessus. Et pour le moment, le châssis tient bien… » Il se prépare tout de même minutieusement. Les articulations, genoux, dos. « On n’a pas vingt ans, on ne pas y aller en short et t-shirt ! Il faut une pré-activation. » Il retrouve les avants du Castres Olympique. Dont Wifrid Houkpatin, pilier droit comme lui, pressenti pour intégrer le XV de France lors du prochain Tournoi des VI Nations.
"Félicitations Papy"
"Depuis que je le côtoie, il m’a appris énormément avoue ce dernier. Il a une expérience incroyable. De par sa longévité, il a vécu pas mal de transformations de la mêlée. C’est un domaine où il excelle. Donc moi je suis comme un élève. Lui c’est le maître et j’apprends au quotidien. Et respect, quarante, ans. Moi j’aimerai y être encore à son âge. C’est le dernier de son espèce!" Qui ne rechigne jamais. Taiseux, sérieux. Exemplaire. "C’est un mec qui a la banane quand il faut venir faire une mêlée et qu’il fait 5 degrés, confirme Reggiardo. Et il prend du plaisir à le faire! Dans la transmission c’est très bien."
Même s’il n’a pas fait toutes les feuilles de matchs cette saison (huit matchs pour six titularisations), Karena Wihongi a encore à donner. Peut-être contre Lyon, samedi. Ou à Clermont et Toulon, les prochaines échéances du Castres Olympique. Ses adversaires lui taperont ils encore sur les fesses avec un message sympa comme ça lui est arrivé cette saison après des mêlées? "Parfois, ils me disent félicitations papy". Le respect de ses pairs, gage de reconnaissance dans la fratrie des premières lignes. Papy, son surnom au CO, ira ensuite encore transmettre, dans un rôle d’entraîneur des jeunes piliers au club. "C’est important de partager avec les jeunes, c’est eux l’avenir", conclu-t-il. Alors on se dit qu’ils seront entre de bonne mains.