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Philippe Auclair - 29 mai 2011

Deux blogs pour le prix d'un: de Barcelone a la Fifa, du sublime au ridicule...

Il y a des matches dont on sort en se disant: ‘je pourrai dire: j’y étais’. Qu’on racontera encore et encore, parce qu’ils définissent ce qu’il y a de plus grand dans une Coupe du Monde, un championnat d’Europe, une Ligue des Champions.

Et pourtant, de ‘match’, il n’y en eut pas, à Wembley. Il faut être deux pour cela, pour produire un France-Brésil cru 1986, un Liverpool-Newcastle de l’ère Keegan, ou, plus près de nous, le Tottenham-Arsenal grandiose de la saison qui vient de s’achever. Vous aurez tous des rencontres comme celles-là dans votre mémoire, quel que soit le championnat que vous suiviez au plus près.

Non, il n’y eut pas de ‘match’. Il y eut quelque chose de plus, dont je ne peux trouver que deux autres exemples dans l’histoire de la Coupe d’Europe: le 7-3 du Real de Di Stefano et Puskas contre l’Eintracht Francfort de 1960, et le 4-0 hallucinant du Milan de Savicevic et Capello face au Barça de Johann Cruyff en 1994. Ces rencontres sont entrées dans la légende parce que le vainqueur, écrasant, avait approché la perfection, confirmé sa place au plus haut du football, établi une norme qu’aucun de ses rivaux ne pouvait prétendre égaler.

C’est ce que Barcelone a accompli, rien de moins. Et, à cause de cela, a gagné – mais seulement maintenant – le droit qu’on se demande: s’agit-il de la plus grande équipe de tous les temps? J’ai posé la question à mon ami et mentor Brian Glanville, le plus cosmopolite des ‘écrivains de football’ anglais, présent à toutes les Coupes du Monde depuis 1954, toujours aussi vert, toujours aussi amoureux de ballon. Voici ce qu’il m’a dit:

“Barcelone n’est pas invincible. Mais, à son sommet, Barcelone n’a aucun égal. Et Barcelone est désormais l’équipe qui a défini son époque, dont on parlera comme des ‘années du Barça’, comme il y a eu les années du Real, de Benfica, de l’Ajax, du Bayern et de Milan. Ceux-là non plus n’avaient pas d’égal.”

Bref, Brian me disait: ce qui compte, c’est que cette équipe te fasse croire qu’elle est bien la meilleure de tous les temps. Cela suffit largement. Nietzsche a dit qu’un livre qui ne donnait pas le sentiment d’être le meilleur jamais écrit ne valait pas la peine d’être lu. Tout ce que je sais, c’est que jamais – jamais – n’ai je vu de mes yeux une exhibition de football aussi somptueuse que celle-là. Barcelone avait ajouté un dixième de seconde à la rapidité de ses échanges, un rien de venin dans ses frappes (deux buts de l’extérieur de la surface, good gracious!), bref, trouvé, et dans une finale, le moyen d’exprimer encore plus parfaitement son jeu.

Vous savez tous que l’unanimisme qui entoure Barcelone me gêne. Pas autour de l’équipe, mais autour du club (la nuance est capitale, mais échappe à beaucoup, hélas), au sujet duquel on a dit et écrit bien des âneries cette année (et avant), et dont la part d’ombre est, pour des raisons qui m’échappent, un tabou absolu pour beaucoup. Samedi soir, fort heureusement, l’angélisme qui entoure ce club n’était plus un sujet de réticence. Le football, seul, comptait.

Les supporters de Manchester United à qui j’ai parlé depuis ce 1-3 qui aurait pu être bien plus sévère si Rio Ferdinand n’avait sorti un match exceptionnel (je m’intéresserai à Rooney dans un instant) étaient presque heureux d’avoir fait partie de la fête - je parle de ceux qui étaient au stade, bien sûr; pour les autres, ce dut être une torture. OK, Ferguson avait fait un pari fou en n’alignant pas un seul milieu défensif face au trio Xavi-Iniesta-Busquets. Quid d’Anderson, quid de Fletcher, restés sur le banc? Mais, bon...ça aurait changé quoi? Et, franchement, après une leçon comme celle-là, qui va couper les cheveux en mille? Ce serait donner un peigne à un chauve.

Rooney. Enfin, serait-on tenté d’ajouter. L’occasion était faite pour lui, et, même vaincu, il l’a saisie. Il jouait sur une autre planète que ses coéquipiers. Seul contre tous, il a tout tenté, et beaucoup réussi. Et qui fut le premier à saluer ses supporters, remercier l’arbitre, féliciter ses adversaires et les applaudir quand ils reçurent leur trophée? Wazza. La classe. Ceux qui ont sombré, et il y en a eu quelques-uns, ne les mentionnons pas. Ce serait diminuer la portée de ce que Barcelone a montré.

Deux blogs pour le prix d’un, vous disai-je. C’est que je ne peux pas vous dire un mot de ce qui passe en ce moment dans les entrailles de la Fifa, avec le sentiment que je n’avais pas complètement tort de parler d’une organisation au bord du cataclysme avant le vote pour les Mondiaux de 2018 et 2022. Dieu sait que j’ai pris quelques volées de bois vert à l’époque. Mais bref.

La Fifa n’est pas malade, elle est à l’agonie. Elle se débat. Ce sera en vain. Dimanche, sa Commission Ethique a décidé de suspendre, entre autres, Mohammed Bin Hammam et Jack Warner, accusés – sous serment – par leur ancien allié Chuck Blazer d’avoir versé des pots-de-vin à des délégués de la Concacaf afin de voter pour le premier nommé, candidat à la présidence de l’organisation jusqu’à ce week-end. Présomption d’innocence, of course. Acceptons-la.

Sepp Blatter, blanchi par cette commission, sera donc replacé sur son trône branlant le 1er juin, à l’âge de 75 ans, et pour quatre, en attendant de passer le relais à Michel Platini, qui a joué et joue le coup avec un instinct politique qui touche au génie. Sauf que je crois fort improbable qu’on attende quatre ans. En effet, de Jack Warner (qui affirme que Blatter avait autorisé les paiements en question) et de Sepp Blatter (qui affirme tout le contraire), l’un a menti face à la Commission Ethique, dont la décision de punir l’un et pas l’autre va déclencher – a déclenché – une guerre intestine que le premier, avant même d’être sanctionné, a qualifiée de ‘tsunami’, avec sa délicatesse habituelle. C’est que Jacques et Joseph savent beaucoup de choses sur le compte de leur ennemi; et que Jacques, s’il doit faire naufrage, n’entend pas se noyer tout seul.

Mais ne serait-ce pas pour le mieux? Après tout, le CIO a vécu des moments aussi difficiles, et quelques-uns de ses éléments ont saisi l’occasion pour donner une nouvelle jeunesse à leur organisation. Ces ‘purs’ (ces réalistes, en fait), on en trouve aussi à la Fifa, croyez-le ou pas, qui ne seraient pas contre une révolution; je vous parlais d’eux à l’automne, vous vous en souvenez peut-être. Que la Fifa explose? Un bonheur. Un espoir. Le soap opera ne fait que commencer, et on ne s’attend pas à quelque conclusion avant la fin du mois de juillet – pour ce qui est de l’enquête en cours. Mais attendez-vous à ce que quelques autres bombes explosent à Zurich et ailleurs.

Une dernière chose: à ceux qui affirment qu’il s’agit d’une manoeuvre perfide d’Anglais et d’Américains qui n’acceptent pas d’avoir loupé l’occasion d’organiser les Mondiaux de 2018 et 2022, réveillez-vous, de grâce. La France est en effet l’un des seuls pays où cette question – dont ne dépend que l’avenir du football international, c’est vrai... – n’est abordée que du bout des lèvres, en haussant les épaules, en fait, le plus souvent ignorée des médias. Cet aveuglement ne nous honore pas.