
Philippe Auclair 23/11

Lundi, J + 5
Non, je ne parlerai pas de la journée de championnat en Angleterre cette fois. J’ai encore trop mal au coeur pour cela.
Je ne me suis pas fait que des amis en parlant des événements de mercredi dernier comme de ‘la soirée la plus honteuse de l’histoire du football français’. Il y aura toujours ceux pour qui il n’y a que le résultat qui compte. Pour qui tricher est acceptable parce que d’autres le font. La France a parfois été la victime dans le passé, c’est certain. Et l’Angleterre, et tous les autres pays. L’Argentine aussi – Michael Owen, tes plongeons, lors de deux Coupes du Monde, je ne les ai pas oubliés.
Mais la France, jusqu’à mercredi, c’était aussi une certaine idée de la justice. Notre équipe de 1982 et de 1984 restera toujours la plus grande pour moi, parce qu’elle l’était à tous les sens de ce mot. Elle était noble aussi, généreuse, une usine à rêves, plus encore que celle de 98 et de 2000, grandes elles aussi cependant.
Grâce à elle, dans le monde entier, la France comptait des millions d’amoureux, pour son jeu, mais pas seulement.
Aujourd’hui, ces amoureux se sentent largués. Et cet amoureux-ci voudrait parler d’autre chose. Par exemple:...
Que l’Irlande était belle mercredi, non? Dunne, Duff, Keane, Lawrence, vous êtes d’authentiques héros. Tous, vous l’êtes, le Trap en tête. Et qu’elle était digne dans cette pseudo-défaite. Pendant que quelques centaines de voyous saccagaient les Champs pour célébrer la victoire de ‘leur’ équipe, l’Algérie, à ce qu’il parait, des dizaines de milliers d’Irlandais ont mis la laisse à leur colère et à leur chagrin légitimes. Eux avaient pourtant le droit d’avoir la rage. Ils ont bu quelques bières de plus, et sont rentrés à l’hôtel. Il est vrai qu’ils pouvaient être fiers. Mais la France a tellement la trouille de la ‘banlieue’ qu’on n’a rien dit. Alors que ménager quelques crétins pour cause de poliquement correct, c’est insulter des millions de Français qui vivent au-delà des remparts du périphérique et qui, eux, ne mettent pas le feu à des bagnoles. A qui la honte?
La magnifique équipe de Saadane méritait mieux que ça. L’Irlande a eu ce qu’elle méritait (sauf, hélas, la qualification – oui, hélas): le respect de tous ceux qui aiment le football. La France...a eu la victoire, une victoire qui me donne la nausée, parce qu’elle ne ressemble pas à ce pour quoi Rimet, Hanot, Batteux, Suaudeau, Hidalgo, Boulogne, Sastre se sont battus, et d’autres se battent encore: Blanc à Bordeaux, Wenger à Arsenal, et peut-être surtout ces milliers d’éducateurs qui donnent leur temps pour rien – ou, en ce qui les concerne, pour ce qu’il y a de plus précieux: des gamins qui rigolent quand ils tapent dans un ballon. Trésor, Platini, Giresse, Cantona (eh oui – lui n’a jamais triché), Thuram...ceux qu’on a au coeur. Nos aristos de la République, les vrais. On a rapetissé une grande culture de football, culture il est vrai minoritaire dans un pays où la fibre du foot, si vivace pourtant, ne tisse ses racines que dans un terreau bien mince (si riche, pourtant).
Mais une sélection ‘représente’ vraiment son pays. Elle en est l’image. Cette collection de talents exceptionnels menés par un imposteur, qui gagne en trichant, et le célèbre de façon presque obscène, c’est un miroir de ce que nous sommes devenus. Nous valons mieux que ça, je veux le croire. Mais la France est malade, pas seulement son équipe de football. Admettons-le.
Et comme il est triste que le ‘coupable’ s’appelle Thierry Henry. Je n’ai manqué que deux des matchs qu’il a joués à Highbury et à l’Emirates. Je l’ai aussi admiré à Old Trafford, à Stamford Bridge, au Bernabeu, au Stadio delle Alpi. Jamais – jamais – je ne l’ai vu tricher. Henry est ce qu’il est, casse-couille, grognon, arrogant, prima donna si vous voulez, mais un tricheur? Non. Et que le mal gagne un amant du football comme lui: voilà qui donne une idée plus juste de sa profondeur. Ce n’est pas lui le coupable. Il ne l’est que par contagion. Le coupable, et ça fait du mal que de le dire, c’est la France elle-même.
Philippe