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ISL: dans la bulle, la natation respire de nouveau

La saison 2 de l’ISL, l’International swimming league, débute ce vendredi à Budapest. Dans un format bouleversé par la crise du Covid-19, 320 nageurs dont les plus grandes stars de la discipline, répartis dans dix équipes, vont s’affronter pendant cinq semaines sur un même lieu. Florent Manaudou et les autres nageurs vont donc vivre dans une bulle, cloîtrés dans leur hôtel avec la piscine comme seule sortie. Mais avec au bout du compte, la possibilité de nager en compétition. Enfin, après huit mois d’abstinence forcée. Mais pour arriver à ces premiers plongeons en compétition ce vendredi, les organisateurs ont dû faire face aux gigantesques contraintes qu’impose la situation sanitaire actuelle.

Un écouvillon dans une narine, puis l’autre. Une grimace plus ou moins prononcée. Sur les réseaux sociaux, les nageurs y sont allés de leur vidéo en direct de leurs tests PCR, avant le début de l’International swimming league (ISL). Images surprenantes de ces même nageurs assis seuls sur une table à l’heure du déjeuner ou du dîner, leurs camarades placés à distance d’au moins deux mètres. Depuis lundi, les premières équipes, la production ont pris possession des trois hôtels entièrement privatisés qu’ils vont occuper pendant six semaines sur l’Ile Marguerite, à Budapest.

"Je m’attendais à ce que ce soit anxiogène avec les masques, le gel, la distanciation, raconte Marie Wattel, la Française championne d’Europe en 2018 et qui nage pour l’équipe des London Roars. Mais au final, on arrive quand même à passer des bons moments tous ensemble. Même si on doit garder nos distances, comme à table où on est tout seul, on arrive à trouver des solutions pour échanger."

Dans le monde d’avant Covid, la saison 2 de cette nouvelle ligue professionnelle de natation née de la volonté du milliardaire ukrainien Konstantin Grigorishin aurait dû s’étaler sur plusieurs mois. Avec des matchs (c’est ainsi que sont nommées les compétitions qui opposent à chaque fois quatre équipes), un peu partout dans le monde. Mais l’ISL a dû revoir ses plans. Un format regroupé sur cinq semaines, sur un même lieu : Budapest.

Montcoudiol: "Un casse-tête absolu"

Une prouesse logistique, et désormais médicale… Ça a été "un casse-tête absolu", avoue le directeur marketing de l’ISL Hubert Montcoudiol. "Imaginez dans les conditions actuelles qu’il a fallu faire voyager 450 personnes en provenance du monde entier. Nous avons 28 nationalités. Il a fallu organiser ça avec les nageurs, les fédérations, et localement trouver des accords avec les hôtels, des salles de gym, des piscines. Le tout avec un process médical extrêmement serré."

Le protocole médical, élément clef pour assurer la tenue de l’évènement, rassurer aussi les nageurs et leurs fédérations. "C’est notre priorité aujourd’hui, assure Montcoudiol. Essayer de sécuriser médicalement l’ensemble des athlètes, leur entourage, la production. On a un protocole médical qui a dû être mis en place avec des professeurs de médecine. On a essayé au maximum de sécuriser. On est testés avant, en arrivant, pendant... On a des gestes barrière qu’on essaye d’optimiser au maximum." Trois nageuses ont été testées positives au Covid en amont de la compétition, dont la star italienne Federica Pelllegrini.

Les nageurs ont 90 minutes de promenade autorisée par jour, sans quitter l’île Marguerite, des chambres individuelles et des repas pris à distance les uns des autres. "Chaque équipe est séparée en trois groupes pour les entraînements, détaille Amaury Leveaux, le quadruple médaillé olympique français qui a intégré l’équipe des London Roars. Pour le moment, je ne me suis jamais entraîné dans la même piscine, le complexe sportif est complètement dingue, détaille le quadruple médaillé olympique français. On n’a pas le droit de retirer le masque à partir du moment où on sort de la chambre. On mange et on va dans l’eau, c’est les seuls endroits où on peut l’enlever. Quand on sort de l’eau, il y a une personne qui veille à ce qu’on n’oublie pas de remettre le masque. C’est assez strict. On se lave les mains tout le temps des qu’on rentre dans une pièce. On mange chacun à une table. On ne touche rien au self ce sont les cuisiniers qui nous donnent les assiettes. On n’est jamais avec une autre équipe pour manger ou pour nager. On ne voit personne, on ne fait que se croiser dans le hall de l’hôtel. Je ne veux pas porter la poisse, mais je pense que c’est impossible qu’il y ait un cas de Covid."

Une nouvelle donne sanitaire qui a bouleversé le programme initial de l’ISL et qui a largement alourdi la facture. "Ça se chiffre en millions d’euros, assure sans donner de chiffre précis Hubert Montcoudiol. Pas des dizaines de millions, mais en millions tout de même. Et le surcoût va bien au-delà des tests. Il y a le prix des tests élevés car on a besoin de résultats rapides, et il y a le reste. Privatiser les hôtels, les coûts de transport avec les vols, mais aussi les 25 bus qui assurent les trajets entre les hôtels et la piscine. Il y a toute la sécurité pour ne pas que des personnes étrangères au groupe rentrent dans l’hôtel. La nourriture, étaler les petits déjeuner, les déjeuners, les dîners..."

Des dépenses en plus, et des recettes en moins. "Cette panique sanitaire réorganise l’économie du sport que ce soit au niveau des diffuseurs, au niveau des sponsors et des soutiens financiers que l’on pouvait avoir, estime Hubert Montcoudiol. Donc il y a cette réorganisation globale, on doit prendre en compte les nouveaux process médicaux et la nouvelle économie du sport. Lier les deux cette année a été extrêmement difficile. Mettre en place et appliquer les programmes médicaux, trouver le lieu capable d’accueillir cette organisation et arriver économiquement à ce que l’évènement puisse avoir lieu." Un évènement qui sera diffusé en direct dans 140 pays contre 80 sur la première édition.

Beaucoup d’efforts donc, et presque un miracle dans cette période où les évènements s’annulent à la pelle. 320 nageurs du monde entier qui vont pouvoir s’affronter, à huis clos, pendant cinq semaines. Les meilleurs nageurs de la planète piscine comme l’Américain Caeleb Dressel, 24 ans, déjà 13 fois champion du monde et "super excité" à l’idée de replonger. Enfin. " Ça fait huit mois déjà sans compétitions, souffle Marie Wattel. On ne se rend pas compte mais ça passe vite et ça fait un bon moment que je n’ai pas mis la combi et entendu les ordres du starter."

Leveaux: "Jamais vécu un truc aussi parfait"

A 34 ans, Amaury Leveaux, qui n’est pas du genre à avoir sa langue dans sa poche, est impressionné. "C’est très organisé, je n’ai jamais vécu un truc aussi parfait. Je ne vais pas me faire des amis mais quand je compare au circuit Coupe du monde de la fédération internationale. Il y a la Champions League et la DH… L’ISL, c’est la Champions League. Je n’ai jamais rencontré une organisation comme ça de ma vie. J’ai quand même trois Jeux olympiques à mon actif, plusieurs championnats du monde, d’Europe, le circuit Coupe du monde, des rassemblements en équipe de France… Je n’ai jamais vécu ça. Tout est à disposition de l’athlète, pas l’inverse. L’athlète est au centre de débats, et ça fait bizarre."

Seul regret pour les organisateurs, la finale ne pourra pas être organisée fin décembre au Japon comme initialement imaginé. Elle sera disputée à Budapest à la fin de ces cinq semaines de compétition. "Le protocole sanitaire était trop contraignant, indique Hubert Montcoudiol. On est un peu déçus mais on espère pouvoir y aller une prochaine fois." Des contraintes qui ne le rendent pas très optimistes pour la tenue des Jeux olympiques l’été prochain. "Je suis très inquiet pour les Jeux, très inquiet pour les athlètes car ce sont eux qui vont le plus en souffrir le plus. C’est inquiétant, mais j’espère qu’on va pouvoir trouver quelque chose, j’espère que ça pourra se passer. Je ne suis pas très optimiste, mais j’espère que pour les athlètes, ça pourra avoir lieu."

Julien Richard