RMC Sport

Amaury Leveaux, de retour à Mulhouse: "Je ne veux pas avoir des regrets toute ma vie"

Amaury Leveaux

Amaury Leveaux - AFP

Un an après avoir fait le chemin inverse, Amaury Leveaux quitte Dijon pour retourner s’entraîner à Mulhouse. Le champion olympique du relais 4x100m en 2012 nage depuis lundi dans le bassin alsacien. Il y a retrouvé Lionel Horter, l’entraîneur qui l’avait mené en 2008 à la médaille d’argent olympique sur le 50m.

Après l’annonce surprise de son retour à la compétition en septembre 2018, six ans après sa "retraite", Amaury Leveaux avait rejoint Mulhouse pour reprendre l’entraînement. Mais après à peine cinq mois de collaboration, en mars 2019, il avait choisi de rejoindre Dijon. A l’époque, Amaury Leveaux expliquait être parti en bons termes, mais "mon projet était différent du leur". A Dijon, il rejoignait à l’époque Eric Rebourg, son tout premier entraîneur. Un an plus tard, le Français fait le chemin inverse. Retour à Mulhouse. 

Après le report d’un an des Jeux olympiques de Tokyo, c’est donc en Alsace que le recordman du monde du 100m en petit bassin va poursuivre sa préparation pour tenter de réussir le défi qu’il s’est lancé en revenant à la compétition: devenir champion olympique sur le 50m.

Pour sa première compétition nationale depuis l’annonce de son retour, Amaury Leveaux avait pris la 4e place du 50m nl le 13 décembre dernier, aux championnats de France en petit bassin. Il avait également décroché la médaille de bronze du 50m papillon lors de cette même compétition à Angers.

Amaury Leveaux, pourquoi ce choix de quitter Dijon pour retourner à Mulhouse ?

J’ai quitté Mulhouse il y a un an parce que à l’époque, ce n’était pas Lionel (Horter) qui m’entraînait mais c’était son fils. Donc c’était bizarre pour moi pour une reprise. Lionel, je lui fais une confiance aveugle et il le sait. Reprendre, c’est facile à dire, mais c’est très dur à faire. Lionel voulait voir comment j’allais me comporter, comment ça allait se passer. Son fils était entraîneur du groupe élite avec lui et il s’est mis en retrait pour observer, je pense. Ça ne m’a pas vraiment plu parce que j’étais venu à Mulhouse pour Lionel. Je suis parti à Dijon sans être en conflit avec Lionel. On s’est dit "ce n’est pas grave, ce n’est pas la fin du monde".

A Dijon, j’y allais pour Eric Rebourg parce que je savais qu’il me connaissait. C’est lui qui m’avait permis d’avoir mes premières médailles. J’ai été champion du monde scolaire avec lui. Il savait comment je fonctionnais. Je lui faisais confiance et je lui fais toujours confiance. C’est juste que je pense que Dijon est un très bon centre de formation pour les jeunes. Mais après, le système a ses limites.

Le haut niveau n’est pas possible à Dijon ?

La Côte d’Or a le label Terre de Jeux. N’importe quelle nation qui viendrait se préparer pour les Jeux, qui chercherait une piscine ou un complexe sportif, aurait à Dijon les meilleures conditions du monde. Sauf que quand tu es sportif là-bas, un sportif local, rien n’est possible. Je parle du très haut niveau. La salle de musculation du Creps par exemple, au début on avait toute la salle et plus ça allait, on n’avait même pas un quart de la salle à la fin. La piscine, toutes les deux secondes, tu as quelqu’un du public qui traverse dans l’eau. Tu arrives, il y a des gens dans la ligne et tu te fais engueuler quand tu demandes gentiment de sortir des lignes qui nous sont réservées. La piscine est exceptionnelle, c’est un bel outil, mais ce n’est pas un outil pour le haut niveau avec cette organisation.

Pourtant, le retour à la compétition avait été plutôt concluant non ?

Je ne vais pas dire que je ne suis pas satisfait de mes performances. Là-dessus, je suis content. On a redémarré en septembre comme des fous. Je me suis re-athlétisé et j’ai fait une médaille aux championnats de France. C’est rien du tout, une médaille de bronze aux championnats de France. Je m’en suis sorti parce que c’était du petit bain, mais je pense qu’en grand bassin, ça se serait bien passé aussi. Mais comme il y a eu le Covid, on n’a pas pu voir… (Rires)

Avez-vous perdu du temps en allant à Dijon ?

Non. Avec mon caractère d’avant, "ma fougue de jeunesse", on va dire ça comme ça, j’aurais dit "ouais c’est nul et j’ai perdu mon temps". Mais non, je prends ça comme une expérience. J’ai vu comment c’était. J’ai vu le système institutionnel où tout est un peu compliqué quand tu veux faire du haut niveau en France. J’ai compris comment fonctionnait tout ça. Et logiquement pendant le confinement, j’ai eu Lionel au téléphone, je lui ai expliqué ce qu’il se passait et je lui ai dit "il n’y a que toi qui me connait vraiment et il n’y a que cette structure en France qui est capable de m’amener à mon objectif".

Comment avez-vous vécu le confinement pendant lequel on a appris le report d’un an des Jeux ? Est-ce que ça vous a fait douter sur votre envie de continuer ce retour encore un an ?

Quand on est rentré en confinement, j’ai vite compris que toutes les compétitions allaient être annulées ou reportées, dont les Jeux olympiques. J’étais chez moi, je ne faisais rien. Je me suis dit que c’était le moment pour relâcher toute la pression psychologique pour pouvoir reprendre derrière. Je ne savais pas quand on allait pouvoir reprendre. Quand il y a eu le report officiel des Jeux, il y a quelques années j’aurais dit "ça fait chier", mais là j’ai pris ça comme une seconde chance. Après, il y avait l’incertitude de savoir si je pouvais aller à Mulhouse ou si je restais à Dijon. Je me suis dit: "Tu fais quoi? T’arrêtes?". Et je me suis dit: "Non, tu ne vas pas arrêter, j’ai envie de le faire, je me suis lancé ce défi". Si tu arrêtes maintenant, tu auras bossé presque deux ans pour rien et tu risques d’avoir des regrets plus tard, qui peuvent avoir des conséquences pour le futur. Je préfère le faire. Si je rate tant pis, j’aurais tout fait pour réussir. Si j’y arrive; ce sera merveilleux. Mais au moins, je ne veux pas me dire "si j’avais…". Je ne veux pas de "si", avoir des doutes ou des regrets toute ma vie.

Cela fait aussi un peu plus de temps pour revenir. Et le temps était quand même compté pour ce retour à la base…

Le temps était compté, mais je pense sincèrement que je me serais qualifié pour les Jeux s’il y avait eu les sélections au mois d’avril. Quand j’ai vu le report des Jeux, je me suis dit "il reste 16 mois, il faut qu’à la fin du confinement tu saches où tu vas et surtout à partir du moment où tu sais tu te mets dedans".

Et donc pour tenter de se qualifier aux JO, vous avez senti le besoin de retrouver Lionel Horter…

Il m’a entraîné de 2002 à 2009, après je suis parti avec Philippe Lucas jusqu’en 2013. Bon, à la fin j’étais revenu avec Lionel à Mulhouse parce que Philippe ne voulait pas m’entraîner pour les Mondiaux de 2013 juste pour un relais (Il n’était qualifié que pour le 4x100m).

Quand j’ai repris, j’avais l’option Los Angeles. J’ai eu Lionel au téléphone et j’ai préféré aller avec lui, mais c’était beaucoup trop tôt. Avec le recul, je n’étais pas au bon endroit au bon moment. Je n’étais pas dans la réalité. Personne n’y était. J’avais la volonté de reprendre mais je n’étais pas au bon endroit, ce n’était pas le bon moment. J’étais la tête dans l’entraînement, mais avec aussi toute ma vie de retraité. Tout était chamboulé et c’était très compliqué à faire.

Quand j’ai appelé Lionel pendant le confinement, je lui ai dit "c’est toi ou j’arrête". Je lui ai dit clairement ça. Je lui ai dit "en 2008 quand on est sorti du 50m (médaille d’argent aux JO de Pékin) on est rentré au village olympique et on a mangé ensemble et je t’ai dit : je te promets, je serai champion olympique avec toi". Et je tiens toujours mes promesses. Ça marchera ou pas, en tout cas je vais tout faire pour que ce soit comme ça.

On a parlé avec Lionel, le groupe est différent, il a mûri de près de deux ans. Il y a une nouvelle page à Mulhouse. Là, on part sur deux semaines de reprise pour se remettre dans le bain. Et après, il m’a dit "on a six semaines où ça va être la guerre, comme je faisais la guerre à l’époque". Donc ça va envoyer des bornes sévère ! Donc c’est plutôt pas mal.

Vous êtes prêt à faire la guerre alors ?

Je suis soldat dans Call of Duty (ndlr : un jeux vidéo). Il y en a qui sont mannequins sur Instagram, je préfère être soldat de la natation (rires). Je suis prêt, je le sens, je m’accroche. Déjà, je suis moins gros que quand j’avais repris avec eux la première fois… A l’entraînement, j’essaye de tout faire devant les petits jeunes du groupe. Pour leur dire, les gars vous m’avez connu à la télé, vous m’avez vu il y a deux ans, j’étais Monsieur Patate… Là, ce n’est pas la même chose. Je sais que je vais monter en puissance et même Lionel me le dit, c’est le jour et la nuit avec il y a deux ans. Donc c’est positif.

La moyenne des Français pendant le confinement, c’est + 2,5 kg… Et vous ?

On compte en tonnes ? (Rires) Je ne sais pas du tout, mais là je me suis pesé, je suis à 112 kilos… En gros, quand le confinement a débuté, je ne mangeais qu’une fois par jour et je mangeais léger parce que je ne faisais rien, à part jouer à Call of Duty… Donc c’était plutôt cool. Et quand Lionel m’a dit ok pour venir à Mulhouse il y a trois, quatre semaines, j’ai appelé la pizzeria à côté de chez moi et j’ai dit "je veux une Quatre fromages XL avec supplément pommes de terre et jambon". A 23h, j’avais encore un peu faim, je me suis fait un Uber Eat McDo… (Rires) J’ai complètement relâché les trois dernières semaines avant d’arriver à Mulhouse. Je me suis dit "fais-toi plaisir maintenant parce qu'après, les plaisirs vont être comptés". Il y a du boulot mais ça va le faire.

Julien Richard