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Romane Dicko, la boss du judo qui bosse des maths

Romane Dicko

Romane Dicko - AFP

A 23 ans, la championne du monde et triple championne d’Europe des +78 kilos Romane Dicko jongle entre judo et études de haut niveau en mathématiques. Elle se refuse à abandonner la voie universitaire malgré les contraintes de son sport. RMC Sport a suivi la judoka du PSG tout un après-midi, entre encas vite avalé et cours de probabilités sur le campus de Jussieu.

Jigoro Kano, l’inventeur du judo, aimait dire: "On ne juge pas un homme sur le nombre de fois qu’il tombe mais sur le nombre de fois qu’il se relève." Un mantra qui s’adapte parfaitement au judo mais il pourrait également coller aux mathématiques, à écouter Romane Dicko: "C’est comme en judo. Quand on n’arrive pas à faire une technique, il faut faire l’effort de se relever et continuer, pointe-t-elle. C’est pareil en maths. Il faut continuer et s’accrocher surtout." Elève en deuxième année de licence de mathématiques à la Sorbonne, elle s’assoit deux à trois fois par semaine sur les bancs du campus de Jussieu (Ve arrondissement de Paris). Un rythme adapté qui doit l’emmener vers la licence puis le master. Et derrière? Des rêves d’ingénieur aéronautique.

En attendant, Dicko a un point de passage important ce dimanche avec le Paris Grand Slam, le tournoi de Paris de judo, qu’elle a déjà remporté une fois. Un marqueur important dans la route de la championne du monde vers Paris 2024. Ses journées ne sont pas tournées à 100% vers le judo. Loin de là. C’est plutôt judo, zéro et infini, re-judo et dodo. Il faut un sens aigu du timing et de son emploi du temps pour ne pas s’y perdre. Le matin où nous la retrouvons, elle a eu droit à une séance de musculation à l’Insep. Derrière, un rendez-vous à Paris,puis retour à son domicile pour filer à la fac. A peine le temps de manger un déjeuner à faire réchauffer - un repas préparé par un partenaire - elle est déjà dans sa Renault pour se rendre à son premier cours de probabilités du semestre.

"On est intelligents au PSG, on fait des maths!"

Parfois, c’est au volant, qu’elle avale son repas. Pas le temps. Son appartement est placé de manière stratégique. A moins d’un quart d’heure de l’Insep et à 30 minutes de l’université. "C’est la fast life, rigole-t-elle. Parfois c’est la course, le temps de rentrer de l’entrainement, se changer, se doucher, manger, repartir. On n’a pas le choix." Entre son domicile et la fac de Jussieu, Romane Dicko longe Paris-Bercy où elle est en lice ce dimanche: "L’avant-première! On prend les bonnes ondes pour ce week-end!", lance-t-elle.

Dans la voiture, Romane chante. Beyonce, Aya Nakamura et sa "Jolie nana", Adele avec "Easy on me". Son statut, ses contraintes, lui permettent d’utiliser le parking de Jussieu au lieu de galérer à trouver une place de stationnement. Un bonjour au gardien et elle file vers le souterrain. A peine sortie à l’air libre, elle croise Driss Masson Jbilou, septième des championnats d’Europe juniors 2022 et son coéquipier au PSG judo. "On est intelligents au PSG, on fait des maths!", se marre Dicko en se dirigeant vers son bâtiment. Son cours est programmé au deuxième étage, salle 205. La judoka se poste devant l’ascenseur: "On ne prend jamais les marches! Toujours l’ascenseur. Si l’ascenseur ne fonctionne pas, c’est ma phobie."

Un emploi du temps dantesque

Romane est la première arrivée. Normal, elle est seule pour ce cours particulier. Elle ne peut pas assister aux cours en amphithéâtre. Chaque semestre, elle choisit une ou plusieurs matières. Et étale sa licence au fur et à mesure qu’elle valide ces cours. Ce semestre, c’est probabilités, un peu d’anglais et Python, de l’informatique. Son prof débarque, Thomas Jaffard, homonyme d’un judoka français. Ce doctorant en probabilités au laboratoire de probabilités, statistiques et modélisation à Sorbonne Université, va blanchir le tableau de fonctions indicatrices pour un cours sur les ensembles.

L’université essaie d’être réactive pour décaler des cours en fonction des entraînements mouvants de la triple championne d’Europe. Bijection, injection, surjection et cardinal d’un ensemble pendant deux heures, pas de harai-goshi ou de kumikata. Des phrases un peu surprenantes du style "ça, ça fait 1+1?" ou "il y a des infinis plus grands que d’autres". Trousse Pikachu devant elle, la +78 kilos écoute et recopie. Thomas montre, dessine des patates pleines de points pour faciliter le message, Romane essaie de démonter et remonter les équations. Après une heure, le prof propose un matte (arrêt du combat): "Je préfèrerais qu'on fasse une pause mais je n’ai pas le temps, répond Dicko. En temps normal c’est la course tout le temps."

Quelques minutes de travaux dirigés pour terminer. Les deux se retrouveront le lendemain: "J’essaie de la considérer comme une élève lambda détaille Thomas Jaffard. Je ne me suis pas posé la question. La chance qu’on a en cours particulier c’est qu’on peut faire quelque chose pour l’élève. Pas comme dans une classe complète, où on ne fait pas le TD pour une seule personne. J’essaie de faire juste en fonction d’elle."

La couture, son autre passion

Soremade (fin du combat), il est 16h. Deux heures de ‘probas’ et Dicko retourne chez elle à Maisons-Alfort (Val-de-Marne), satisfaite de son niveau d’attention pour ce cours. Un peu de révisions, une sieste et à 19h, elle est sur un tatami à Ivry avec ses partenaires du PSG Judo. Avec les cours et sa nouvelle notoriété de championne du monde, elle a moins de temps pour l’une de ses passions: la couture. La machine à coudre attend des jours meilleurs dans un coin de l’appartement.

Dans quelques semaines, Romane Dicko va s’envoler pour deux semaines de stage au Japon. Difficile de garder le lien avec son cours, décalage horaire oblige. Dans la valise, judogi, cahier, stylos et ordinateur. Peut-être aura-t-elle le temps d’organiser un cours en visio avec Thomas Jaffard... Le grand écart entre sport et études n’est pas facile à maîtriser. Les filières longues et aménageables sont denrée rare: "C’est important de garder un pied à l’école, même si c’est compliqué, retient la jeune femme de 23 ans. Je peux galérer en stage, à l’entraînement, mais tant que je peux aller à l’école et m’entrainer, ça va. Je préfère faire les choses bien ou ne pas les faire du tout. Je pense que si je voulais bâcler, je n’aurais pas fait licence de maths. C’est important, même quand je suis fatiguée, de faire un exercice, de relire un cours. Si je ne fais rien pendant trois semaines, je vais en pâtir. Ça m’emmène vers mon objectif qu’est la licence."

Dans ce chemin à pas comptés, il y aura l’année 2024, où son emploi du temps en maths pourrait prendre un grand coup de sabre au milieu des tournois, des stages, de la préparation et des sollicitations. Tout sera affaire de dosage mais sans jamais pencher vers le zéro. A rêver de l’infini d’un titre olympique individuel.

Morgan Maury