
JO de Tokyo: "Je suis l’outsider et je vais chercher les Japonais", lance Riner
Teddy, comment fait-on pour devenir triple champion olympique?
Je crois déjà que c’est beaucoup d’assiduité à l’entraînement, beaucoup de remise en question, beaucoup d’heures et de sueur. Il y a une recette spéciale, c’est de garder dans la tête cette troisième médaille à aller chercher. Quand on en a aucune, il faut déjà penser à la première.
Vous manque-t-il encore quelque chose pour aller chercher ce troisième titre olympique?
Oui je pense qu’il me manque pas mal de choses car je suis plutôt de nature à optimiser ce que je sais faire. A l’heure actuelle il me manque du judo, de la condition physique, il me manque des points de préparation mentale. J’ai besoin de travailler sur tous les plans. J’ai besoin de plus de technique. Mais ça c’est mon côté vorace, ce besoin d’en faire toujours plus et d’être meilleur.
Désormais il ne faut plus rien rater lors de l’année à venir…
Oui je suis bien d’accord. C’est pour cela que depuis cette histoire de confinement j’ai continué à m’entraîner comme un malade. J’ai continué à bosser sur tous les plans. Mais ce n’est pas évident. On est bientôt au mois d’août et on ne sait toujours pas où on va et comment on va y aller. Quand j’échange avec la Fédération internationale, on n’a pas de calendrier.
On n’a pas de top départ. Je le comprends tout à fait. Avec ce qu’il se passe dans certains pays, je peux comprendre mais cela reste compliqué. On se demande s’il ne faut pas laisser le corps au repos pour ensuite mieux repartir au lieu de garder un bon niveau constant pour être prêt à tout moment.
Ce report constitue-t-il une bénédiction pour vous avec un an de plus pour vous préparer et ensuite enchaîner pour Paris 2024?
Bien sûr cela me fera enchaîner. C’est ce que je me dis et c’est comme ça qu’il faut le prendre. Une bénédiction? Oui et non. Avant le confinement j’étais en train de retrouver mon meilleur niveau. Ce n’est ni un bien, ni un mal. Il faut juste positiver et se dire que les Jeux olympiques sont dans un an. Une année c’est rien, il faut enchaîner deux olympiades et voilà. Il faut aussi se servir de cette année pour régler les dernières choses à régler.
Qu’est-ce que vous motive encore après avoir tant gagné?
Cette médaille c’est tout. Quand on parle du nombre de titres de champions du monde, je suis le plus médaillé. Quand on parle des titres olympiques, je suis à égalité avec certaines personnes et il y a un petit Japonais qui en a trois (Tadahiro Nomura, ndlr). Et le laisser tout en haut sur le podium cela me déplaît. Je me dis qu’il faut aller le chercher. Le défi, il est là. Le challenge, il est là. Voilà ce qui me motive aujourd'hui.
Est-ce important de prendre une pause aussi pour couper?
Bien sûr, le corps fait mal. Je le dis clairement mes articulations grincent, il n’y a plus de cartilage. Je ne savais même pas mais il y a un endroit où je n’ai plus de ligament. C’est aussi ça le sport de haut niveau. Il y a du positif et du négatif. Mais attention, quand on regarde avant, les combattants avaient le dos voûté, les doigts en vrac. Aujourd'hui avec la préparation musculaire, on est beaucoup mieux qu’il y a quinze ou vingt ans. Mais oui, de toute façon, on prendre de sacrés coups au judo.
Quel est votre plan pour aller chercher l’or olympique à Tokyo?
J’ai un panier et à chaque fois je prends 1% à droite ou à gauche. Maintenant il n’y a pas de secret. Avant je ne faisais pas du tout de prévention et maintenant j’en fais avant chaque entraînement avec de la coordination pour huiler le corps. On travaille tous les aspects concernant la préparation physique, technique ou en combat pur. Il faut tout bosser, ne laisser aucune chance aux autres et surtout ne pas en garder sous la patte.
Pensez-vous, à l’image de Tony Estanguet, à votre reconversion d’après-carrière?
De toute façon avec le père que j’ai eu qui m’a tanné à reprendre mes études et à penser à mon après-carrière, je l’ai toujours eu dans un coin de la tête. J’y pense tout le temps depuis que j’ai 16 ou 17 ans. Je ne me ferme la porte sur aucune chose. Si demain on me propose d’être ministre, je ne dis pas non. Une chose est sûre et c’est clair, je serais toujours dans le mouvement sportif car c’est ma vie, mon ADN. Mais il est vrai qu'aujourd'hui je suis plus dans l’entreprenariat.
Comment avez-vous réagi suite à votre défaite à Bercy, la première après 154 victoires?
A chaud quand j’étais au tapis, je me suis dit 'Oh non' dans ma tête. Cela faisait très longtemps que cela ne m’était pas arrivé. Même les défaites que j’ai eu plus jeune, je n’avais pas perdu parce que l’on m’avait fait tomber mais plutôt sur des erreurs de ma part. Je n’avais jamais vraiment connu ça. Cela faisait dix ans que je n’avais pas perdu et encore c’était aux drapeaux, par l'arbitrage.
Sur le moment je me suis dit 'waouh' et que maintenant j’allais pouvoir mieux me préparer et comprendre pourquoi cela m’est arrivé à ce moment-là. Cela va me booster pour aller chercher cette médaille d’or à Tokyo car là j’ai moins de pression sur les épaules.
Les Japonais vous voient plus fort après cette défaite…
Je sais bien mais moi, avec ce genre de choses, je me dis qu’ils me prennent pour un con. Je suis de nature à ne jamais mettre la charrue avant les bœufs et ne pas me mettre au-dessus des autres. Avec cette défaite je suis derrière. Je suis le challenger, pardon l’outsider, et je vais chercher les Japonais. Ce sont des challengers et je vais aller les chercher.
Votre méthode c’est de faire comme si vous n’aviez aucun titre une fois sur le tatami…
Exactement, c’est ça. Voilà ce qu’il va se passer pendant toute cette année olympique. Et surtout le jour J. Je ne suis personne. Mon adversaire est fort? Eh bien je vais aller le chercher. Et cela va être comme ça, combat après combat jusqu'à cette finale. Et lors de la finale il faut tout donner, c’est tout.
Qu’est-ce que cela représente de remporter un titre olympique au Japon?
J’étais déjà extrêmement content d’y avoir gagné un titre de champion du monde en 2010. Pour nous les judokas, c’est extraordinaire de pouvoir remporter un titre là-bas. Il me manque cette médaille d’or olympique. En terme de palmarès, d’histoire c’est quelque chose d’extraordinaire. Réussir là-bas, laisser une empreinte là-bas, ce serait top.
Craignez-vous que votre défaite à Bercy laisse une porte ouverte à vos rivaux?
C’est super. Comme ça ils vont arrêter de mettre les brancards et ils vont faire du judo. Et quand tu fais du judo, tu ouvres des portes et donc tu tombes plus facilement.
Pensez-vous avoir face à vous la plus belle densité chez les poids lourds?
Oui bien sûr. Ce n’est pas tant que mes adversaires ont atteint un bon niveau. C’est surtout qu’il y a beaucoup de jeunes et beaucoup de moins de cent kilos qui sont montés de catégorie. Cela bouge plus et cela fait beaucoup plus de judo. Il y a toujours eu du niveau chez les lourds, il ne faut pas l’oublier. C’est quand même la plus belle catégorie et celle où il se passe beaucoup de choses. Là on est tombé sur une olympiade où il y a beaucoup de monde et beaucoup de jeunes avec un gros turn-over. Je crois que je suis l’un des plus vieux de la catégorie à faire encore parler de lui. Ils veulent m’abattre. Je ne sais pas ce que je leur ai fait (rires). Mais c’est quelque chose que j’ai toujours connu. Déjà quand j’ai commencé, les leaders de la catégorie c’était des moins de cent kilos qui étaient montés. Et j’aime bien répondre face à ça car ils pensent que c’est plus facile pour eux. Je prends un malin plaisir à leur montrer que les lourds sont meilleurs et qu’ils peuvent retourner dans leur catégorie.
Pensez-vous que votre arrivée a révolutionné la catégorie?
Je ne l’ai pas forcément vu parce que je fonçais dans ma carrière. Mais on m’a ensuite dit plusieurs fois que j’avais changé la catégorie. Oui peut-être que mes adversaires ont adapté leur manière de faire du judo. Avant on avait de vrais lourds et aujourd'hui on a des lourds athlétiques et il faut savoir s’adapter à cela, composer.
Après Tokyo en 2020, pouvez-vous confirmer que vous avez Paris 2024 en tête?
Bien sûr. Comme je le répète, qui ne rêve pas de terminer à la maison devant toute sa famille, ses amis et tourner la page à domicile? Mais la chose que je ne veux pas faire, c’est parler de Paris avant Tokyo. Je finis mon travail à Tokyo et ensuite je mets le cap sur Paris.