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Lavillenie: "Porte-drapeau aux Jeux de Tokyo, ce serait une belle reconnaissance"

Avant d’égaler la meilleure performance mondiale de l’année avec un saut à 5,80m pour son entrée en lice samedi au Star Perche de Bordeaux, Renaud Lavillenie s’est longuement confié à RMC Sport. Notamment sur les JO de Tokyo et la possibilité d’être le porte-drapeau de la délégation de l’équipe de France.

Renaud Lavillenie, êtes-vous candidat pour être porte-drapeau des Bleus aux Jeux olympiques de Tokyo ?

On ne fait pas acte de candidature parce qu’on est choisi par les athlètes. J’ai fait savoir que j’étais vraiment prêt à l’être si j’étais amené à être choisi. On sait que le palmarès olympique entre en jeu. Et puis il y a le fait que c’est un moment super important. Dans un calendrier, cela doit être compatible avec la compétition. Ceux qui auront une compétition deux ou trois jours après ne vont peut-être pas forcément avoir la volonté de le faire pour préserver leur chance pour les JO. Moi j’ai la chance d’avoir la compétition dix jours après la cérémonie d’ouverture. J’ai déjà prévu d’être à Tokyo à cette période pour le stage de préparation. Il y a plein de choses qui s’alignent plutôt bien. Je suis déjà content de me dire que j’ai déjà un pas dans Tokyo. Ce serait aussi une belle reconnaissance. On verra si ça va dans mon sens d’ici quelques mois. Je n’ai pas de réticence à ce sujet.

Il y a quatre ans, vous étiez déjà l’athlète proposé par la Fédération française d’athlétisme mais c’est Teddy Riner qui avait été désigné porte-drapeau…

C’est un contexte particulier. Il y a quatre ans, Florent Manaudou, moi, Teddy, Tony Parker étaient dans la short list. On ne pouvait pas s’opposer à Teddy (il éclate de rire). C’est physiquement impossible déjà. Et puis il avait tout ce qu’il fallait. Il a montré qu’il n’y avait pas de raison que ce soit quelqu’un d’autre. Il l’avait fait savoir. C’est peut-être aussi une certaine force de montrer qu’à quelques mois des Jeux, il y a deux ou trois profils prêts pour ça. Mine de rien, même si on est choisi, il faut y être préparé. On sait qu’il y aura des athlètes qui auront du mal à supporters certaines contraintes. L’intérêt n’est pas de prendre un athlète et de le jeter dans l’arène en lui disant : "on t’a choisi, alors tu y vas même si tu n’en as pas envie."

Quelle serait votre réaction si vous étiez désigné porte-drapeau?

C’est plein de superlatif. C’est une fierté, un honneur qui n’est pas mesurable. Un privilège. La France est un pays qui est sportivement assez riche. Notamment pour les sports olympiques. Une fois tous les quatre ans, tu en as un qui est choisi. C’est quelque chose d’immense. On va voir comment ça va se profiler mais c’est quelque chose de beau. Et je n’ose même pas imaginer celui qui sera dans cette position en 2024. Porter le drapeau à la maison, ce doit être dingue. C’est encore un niveau au-dessus. On pourra peut-être remettre Teddy d’ailleurs. Il a la carrure pour ça (rires). C’est quelque chose de fabuleux. Quoiqu’il arrive, si j’ai des choses à faire pour ça aille dans mon sens, je les ferai parce que personne ne peut dire qu’on ne peut pas être intéressé par ça.

Candidater pour Tokyo c’est faire une croix sur 2024. Vous y avez pensé?

J’ai eu cette réflexion. Refuser quelque chose maintenant pour voir dans quatre ans, c’est une erreur parce qu’on ne sait pas où on sera dans quatre ans (il aura 37 ans, ndlr). Il faut être pragmatique. Tokyo, c’est peut-être le moment pour moi d’avoir cette chance-là. Paris 2024, je ne sais pas où j’en serai. J’aurai peut-être arrêté la perche. Ce n’est pas mon objectif. J’ai envie d’y aller. Le sport va tellement vite… En quelques mois il peut se passer plein de choses. Pour Paris, la seule pression que je me mets, c’est d’être capable de sauter. Après on verra… Si je ne suis pas choisi à Tokyo je serai forcément encore plus motivé pour l’être à Paris.

Est-ce que ce serait une vraie déception de ne pas être désigné?

Il y aura forcément une déception. Ce n’est pas comme si j’étais légitime pour ça. Je peux entendre plein de choses. En ma faveur comme en ma défaveur. Mais je ne fais pas du sport pour être porte-drapeau de mon pays mais parce que j’aime ça. Parce que je vois le sport différemment de certains. Après l’engagement que j’ai pu montrer il y a quelques mois, le choix a été fait sur Martin (Fourcade) pour représenter la France au CIO. J’espère ne pas être trop écarté du mouvement olympique. On verra comment ça avance. Si on ne veut pas de moi, on ne veut pas moi… Je ne m’y attarderai pas et ce n’est pas pour ça que j’irai à Tokyo à reculons ou avec des regrets.

Si vous êtes porte-drapeau, vous vous sentez prêts à absorber toute la pression en plus de l’enjeu sportif?

En 2012 j’ai gagné, en 2016 j’ai terminé 2eme. Aux JO j’ai toujours été plus que performant. Là, j’arrive dans une position qui est plus délicate. L’année 2019 ne s’est pas spécialement bien passée. J’ai fait des conneries d’un point de vue physique qui ont fait que ça ne s’est pas mis en place. Personne ne peut m’enlever le fait que je suis un vrai compétiteur quand je suis sur la piste. Je ne lâcherai jamais le morceau. Que je sois entier ou physiquement diminué, ça ne va pas changer. J’ai l’avantage d’aller à Tokyo avec à l’esprit le fait de ne prendre que du bonus. Personne ne m’attend et ne s’attend à ce que je gagne parce que les médias sont focalisés sur Duplantis, Kendricks ou Lisek… Et tant mieux. J’ai passé dix ans où on m’attendait tous les week-ends. Ça fait moins de pression. J’y vais pour me faire plaisir. J’ai beaucoup d’années d’expérience sur la gestion des grandes compétitions. Ce n’est pas un frein. Entre la cérémonie d’ouverture et la compétition, j’ai largement le temps de me remettre de mes émotions, sachant qu’être porte drapeau, c’est être un chef de fil, montrer une certaine dynamique aux athlètes. Tous ces jeunes qui vont arriver, il faut les mener vers la plus belle route. En plus on aura tous en tête la préparation pour Paris. Tokyo sera une vraie rampe de lancement.

Vous êtes président de la commission des athlètes de World Athletics, organisateur du All Star... Tout cela joue en votre faveur…

Oui je suis maintenant un sportif qui est acteur dans le sport. Ce sont des éléments qui sont intéressants. Le fait d’être président de la commission des athlètes de la Fédération internationale est quelque chose d’important même s’il y a plein de choses qui entrent en compte. En quelques mois, on a changé notre fusil d’épaule pour montrer que cela fait quelques années que je travaille pour montrer que l’intérêt est pour le sport en général. Avec Paris 2024, on a envie que le sport prenne une dynamique plus importante dans notre quotidien. Ce sont de réels atouts. Mais si je savais quelle carte jouer et à quel moment, ce serait facile. Ce n’est pas une compétition. A moi d’être capable de convaincre que mon profil peut être le bon pour ce contexte-là.

Pour ce qui est des désavantages, ne pensez-vous pas que vos deux médailles olympiques soient ternies par l’image vos récents Mondiaux décevants à Doha ?

Oui, les gens ont la mémoire courte. Ils se disent : "Il est fini, ça ne sert à rien…" Ce n’est pas la vision que j’ai du sport olympique. Les JO c’est tous les quatre ans, pas tous les six mois. On a vu par le passé, des grands athlètes qui ont eu des phases moins fleurissantes… N’oublions pas que ce sont les JO, pas les championnats du monde. On ne représente pas le mouvement olympique par des médailles mondiales mais par des médailles olympiques. Il faut être capable de jouer sur tous ces tableaux. D’un point de vue sportif, j’ai envie de retrouver un peu de hauteur et de montrer que mon objectif n’est pas d’aller à Tokyo pour me balader.

Est-ce que cela vous générait qu’on désigne une femme dans le cadre d'une alternance homme/femme?

C’est un sujet vachement sensible. D’un côté on veut à tous prix de la mixité. Cela me gênerait qu’on dise qu’il faut une femme cette année si elle ne remplit pas tous les critères. Si c’est une femme qui a le profil pour cela, il n’y a pas de problème. Si il y a en face une femme médaillée olympique, avec tout le palmarès qui va avec, une super vision et une âme de leader, c’est aussi légitime. Mais si c’est une femme pour que ce soit une femme, je ne suis pas forcément à l’aise avec ça. Il y en a qui le sont. Moi je n’ai jamais tendance à cacher ce que je pense. Je le dis et après j’assume ce que je dis. 

Propos recueillis pas Aurélien Tiercin à Bordeaux