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Chelsea-Bayern: la principale qualité de Robert Lewandowski n'est pas peut-être celle que vous pensez

Avec 33 buts déjà marqués toutes compétitions confondues, Robert Lewandowski sera l’une des armes offensives clés du Bayern Munich face à Chelsea, ce mardi soir en huitième de finale de Ligue des champions (21 h, RMC Sport 2). Bon finisseur, l'avant-centre polonais brille aussi grâce à un aspect moins communément valorisé de son jeu : la qualité de ses contrôles.

Pour Michel Platini, le contrôle est "le premier geste, le plus beau, le plus élégant" (Parlons Football, 2014). Mettre son pied en opposition d’un ballon qui roule est un réflexe universel ; parvenir à en maîtriser la trajectoire sous la pression d'une meute de loups affamés est toutefois le privilège de quelques-uns, capables d'apprivoiser cette sphère capricieuse qui ne demande qu’à s’échapper.

Robert Lewandowski est de ces dompteurs d'élite. L’analyse de ses trente-deux tirs et dix buts en phase de poules de Champions League cette saison ne dévoile pas seulement l’intelligence de son jeu sans ballon, lui permettant d'attaquer les bons espaces au sein d’une défense, ni son flair et son instinct de buteur le menant au bon endroit au bon moment. Si le Polonais est un buteur aussi redoutable, c’est aussi parce que sa première touche de balle le met quasi systématiquement en position de marquer.

En matière de technique, Alfred Galustian fait figure d’autorité mondiale. Dans les années quatre-vingt, avec son compatriote Charlie Cooke, l’Anglais a co-fondé la méthode Coerver, inspirée des préceptes de l’ancien entraîneur néerlandais Wiel Coerver. Elle repose sur un travail analytique de maîtrise du ballon, par la répétition des gestes. "Il est essentiel que la première touche soit excellente, confiait Galustian à FourFourTwo en janvier 2018. Ce n’est pas aussi simple que contrôler le ballon. C’est amortir le ballon – vous ne le voulez pas sous vos pieds, mais en même temps pas trop loin de vos pieds au point que cela invite l’adversaire à récupérer le ballon. Évidemment, cela dépend de la position des défenseurs et de la quantité d’espace autour de vous. Avant de recevoir le ballon, il faut penser à où on veut l'emmener ensuite, pour que la première touche guide le ballon dans la direction souhaitée."

Pour Robert Lewandowski, cette direction, c’est le but. S’il décroche sporadiquement pour s’inclure dans la construction du jeu par des appuis-remises, le Polonais est l’homme des vingt derniers mètres, son territoire de chasse. Il y cherche à se mettre dès que possible en position de marquer, comme sur ce but face à Tottenham: sans avoir besoin de regarder l'objectif final, preuve de sa faculté à se figurer sa position dans l'espace, il s'extrait de la mêlée en une touche et trompe Lloris d'une frappe en pivot rasante.

On appréciera également la douceur de son contrôle-sombrero de demi-volée, par-dessus Vertonghen, en amont de l'action.

Jeu de jambes et petits appuis

Une passe n’est pas toujours parfaite, imposant alors d’adapter sa posture pour la réceptionner. Robert Lewandowski démontre une capacité étonnante à s’en accommoder, par des petits appuis courts déterminants. Ce fut le cas face à l’Étoile Rouge de Belgrade, sur cette percée de Benjamin Pavard:

Le Français est en bout de course après sa montée balle au pied et son une-deux avec Perisic. Il cherche simplement à devancer le milieu adverse pour prolonger le ballon de la pointe dans la vague direction de Lewandowski, sans s’assurer de le placer dans les conditions optimales pour enchaîner. Le Polonais a senti que son coéquipier était en difficulté et s’est approché pour lui faciliter la transmission. Dans une situation plus confortable, il aurait été préférable de s’éloigner de Pavard, pour ne pas lui fermer l’espace axial tout en offrant une solution vers l’extérieur.

Une fois le pointu réalisé, Lewandowski a les épaules perpendiculaires au but. Le ballon n’arrive pas devant lui mais sur son pied gauche. S’il l'utilisait, l’avant-centre renverrait le ballon vers l’axe où il serait exposé à l’intervention des deux défenseurs adverses s’y trouvant. Comme s’il avait joué ce scénario dans sa tête, il résout le dilemme par la solution la plus complexe : contrôler du droit pour exploiter la poche d’espace occupée. Cela nécessite une souplesse impressionnante, avec une prise d’appui très légère lui permettant de pivoter ses épaules, de retirer son pied gauche de la trajectoire du ballon pour le recevoir de l’intérieur du droit en orientant vers le but. À la sortie, Lewandowski a les épaules face à la cage, le ballon devant lui, et une reprise d’appuis lui suffit pour enchaîner une frappe malgré la pression d'un défenseur.

Autre exemple, de nouveau à Munich face à l’Étoile Rouge, valorisant d’abord la qualité des déplacements sans ballon de Lewandowski.

Coman occupe le premier poteau, Perisic le second, et le Polonais est trop en retard pour arriver à temps en cas de centre aérien entre les deux défenseurs axiaux. L’entrée de la surface n’est pas protégée, il incurve donc sa course pour solliciter un centre au sol. Kimmich doit toutefois temporiser, le temps que son adversaire direct lui ouvre la ligne de passe, ce qui complique le timing. Le centre arrive légèrement dans le dos de Lewandowski, la reprise en première intention est impossible. Alors, il s’adapte et choisit d’orienter son contrôle pour prendre la défense à contre-pied et enchaîner pied gauche. Sa première touche est subtile, son pied droit, brièvement en opposition, se retire rapidement pour ralentir la course du ballon sans le stopper complètement, son corps en opposition de ses gardes du corps. La position de tir en pivot du gauche est fermée. Deuxième touche d’ajustement, de la semelle gauche, pour un nouveau contre-pied et un enchaînement du droit sur une reprise d’appuis. C’est contré, mais la finesse du toucher du Polonais lui a permis de rechercher, en quelques pas et dans la densité, deux positions de frappe.

Gagner du temps… et de l’espace

Pour l’ancien meneur de jeu néerlandais Rafael van der Vaart, la première touche de balle « est la chose la plus importante parce qu’elle donne du temps pour jouer ». Cela vaut pour les numéros dix comme pour les numéros neuf, eux aussi contraints de s’accommoder d’espaces, et donc de temps, limités. Une bonne part du succès de l’opération dépend en réalité, en amont de la réalisation même du geste technique, de la prise d’information et de l’orientation du corps. Nouvel exemple contre l’Étoile Rouge.

Les mouvements coordonnés des offensifs du Bayern (décrochages successifs de Lewandowski et Coman, prise de profondeur du Polonais et de Kimmich) créent d’abord la zizanie dans la défense serbe. En treize secondes, l’avant-centre munichois prend neuf fois l'informations loin du ballon et repère l’espace décisif dans l’arrière-garde adverse, axe gauche.

Quand la passe de Coutinho est déclenchée, Lewandowski est prêt à vite enchaîner vers le but, grâce à son orientation de trois-quarts. Le ballon du Brésilien est parfait. Une ultime prise d’information confirme au Polonais qu’il a du temps, le latéral droit adverse dans son dos étant focalisé sur Perisic. Il peut alors contrôler du pied gauche, à double bénéfice : faire gagner plus de terrain au ballon pour marquer la séparation d'avec les défenseurs axiaux ; protéger le ballon en mettant naturellement son corps en opposition du défenseur qui reviendra derrière lui. Dans

cette situation, le contrôle du gauche est également plus facile à maîtriser car en opposition directe avec le cuir, là où le choix du pied droit aurait nécessité un ajustement physique supplémentaire et un dosage plus fin de la touche de balle.

Préparation idéale, prise de décision optimale, réalisation technique parfaite pour enchaîner dans la densité, fixer avec plusieurs touches de l’extérieur du droit, bras et corps en opposition, pour déclencher la frappe dans la position la plus opportune.

Même principe, même importance de l’orientation de trois-quarts et d’un contrôle pied opposé pour combiner protection de balle et enchaînement rapide sur le bon pied, à Belgrade cette fois.

Avec un ballon qui rebondit, contrôler ici du gauche signifie aussi gagner du temps pour mieux maîtriser le ballon. Lewandowski peut ensuite enchaîner de son bon pied sur un pas, avec un appui de moins que s’il avait contrôlé du droit, pour devancer le retour du défenseur à sa droite et tirer à l’entrée de la surface.

Finesse et subtilité du toucher

Il y a la préparation, la prise de décision. Et il y a la qualité pure du toucher. À Londres contre Tottenham, par exemple.

Même s’il fait l’effort de se replacer pour ne pas être hors-jeu, en regardant notamment la position de Danny Rose à sa gauche, Robert Lewandowski ne s’attend pas à une telle remise aérienne de David Alaba. Pour preuve, sa réaction quand le ballon quitte le pied de l’Autrichien. Mais en cinq appuis éclairs, il s'ajuste, se retrouvant toutefois dos au but. Pas l’idéal pour enchaîner en une touche. Et pourtant. Dans un geste d’une maîtrise et d’une sensibilité exceptionnelles, le Polonais parvient à orienter son contrôle aérien de l'intérieur du pied droit vers le but, pour vite enchaîner par une volée du gauche en se couchant, malgré la pression de Vertonghen.

Son pied gauche est tout aussi délicat, comme sur cette attaque rapide à Belgrade.

Après un décrochage, Lewandowski plonge en profondeur dans le dos de son défenseur, Milos Degenek. La passe de Leon Goretzka a une trajectoire étrange, un peu écrasée et flottante. Elle passe sous le pied de Degenek. L’idéal, pour l'avant-centre, serait alors de mettre son pied droit en opposition, pour s’emmener le ballon vers le but, mais cela ne correspond pas au timing de ses foulées.

Pour ne pas perdre de temps et préserver son avantage sur la défense adverse, Robert Lewandowski contrôle de l’extérieur du gauche, son mauvais pied, ce ballon légèrement au-dessus du sol. Un geste extrêmement difficile à maîtriser. Mais il y parvient en s’élevant lui-même de quelques centimètres, s’équilibrant avec son bras droit et dosant le contrôle en donnant une petite impulsion vers la droite. Le contact se fait du bout de l’extérieur de la chaussure. L’orientation est parfaite... mais Lewandowski, en fixant le gardien du regard à l’entrée de la surface, manque une touche de balle décisive pour se mettre en position de frappe. Milunovic parvient à le mettre sous pression et le Polonais manque le but, ne validant pas ce contrôle exceptionnel. Il se rattrapera en seconde période.

Soixante-septième minute. Lewandowski se propose en appui dos au but à Perisic, qui repique vers l’axe. La passe suivante du Croate est-elle de nouveau pour le Polonais, ou plutôt pour Tolisso, lancé dans la surface ? Peu importe. Le ballon semble en tout cas hors de portée de Lewandowski.

Le film Zidane, un portrait du XXIe siècle, au milieu d’un certain ennui, exalte la grâce et l’élégance de l’ancien meneur de jeu des Bleus, qui impressionne par sa faculté à contrôler les ballons mal ajustés, étendant dans une facilité déconcertante sa jambe dans des positions normalement déséquilibrantes. Rien n’est forcé, tout semble naturel. Sur ce but, Lewandowski a un peu de cette maîtrise. Dans un geste d’une souplesse folle, le Polonais étend sa jambe gauche pour contrôler comme il peut, du bout de l’intérieur du pied. La position de son corps au moment du contact est complètement incongrue. Mais par un profond mystère, le ballon reste collé à sa chaussure. Une touche du droit et des petits appuis d'ajustement plus tard, Lewandowski finit proprement, cette fois.

Un contrôle n’est pas qu’un geste technique. C’est un processus spatio-temporel complexe dont la réussite dépend autant du passé (ce travail préparatoire invisible mais minutieux en amont) que du présent (l'exécution gestuelle), tout en conditionnant lui-même le succès de l'entreprise future. Maître de ce "premier geste" décrit par Platini. Robert Lewandowski n'a plus, ensuite, qu'à réussir le dernier.

Julien Momont