
Le football français est-il vraiment au bord de la faillite?
Dès le début, les mots sont lancés: la faillite guette, la crise est là, les clubs français de Ligue 1 sont proches de l’implosion, l’épidémie de covid-19 a bouleversé la situation, l’avenir s’annonce sombre et inquiétant. Dans son style, l’article de Mediapart commence bien les choses.
Pour Laurent Mauduit, auteur du papier, "la faillite est retentissante" et "les contribuables risquent de payer les dérives du foot-business". Mais qu’en est-il vraiment? Ces révélations sont-elles évidentes et si inquiétantes?Annoncent-elles la mort du football français?
Une différence entre dette cumulée et perte couverte
Premier élément, et important: les chiffres soulevés par l’article sont issus des rapports annuels de la DNCG, chargée de la surveillance financière des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2. Aucune révélation ici, les pertes sont connues et non cumulatives.
En effet, la DNCG veille à la solvabilité des équipes, autrement dit leur capacité à tenir une comptabilité dans le temps, à assurer la capacité à rembourser des dettes. Présenter ainsi un solde net déficitaire plusieurs années de suite ne signifie donc pas qu’ils sont cumulables dans le temps. Les sommes ne sont pas additionnées, mais sont couvertes, année après année, par l’actionnaire.
Par exemple, puisque son cas est connu, lorsque l'Olympique de Marseille présente un déficit de 42 millions d’euros en 2016-2017, de 73 millions d’euros en 2017-2018 et de 91 millions en 2018-2019, ces sommes ne peuvent pas être additionnées – sinon la DNCG aurait depuis longtemps sanctionné l’OM d’une relégation administrative – mais ont été couvertes à chaque fois par le propriétaire, en l’occurrence ici Frank McCourt.
Le coronavirus va coûter cher
Ensuite, Mediapart révèle un rapport confidentiel de la LFP, adressé aux dirigeants des clubs mercredi lors de l’assemblée générale. Ce dossier d’une dizaine de pages dévoile les estimations de la Ligue concernant le coût et les conséquences économiques du coronavirus. Au total: 438 millions d’euros, une évaluation légèrement supérieure à celle de l’UNFP et du cabinet d’étude KPMG, tous les deux compris entre 383 et 435 millions d’euros.
Autre "révélation" du célèbre web-média, les retombées sur les clubs directement. Selon le rapport confidentiel de la DNCG, les pertes totales à l’issue de cette saison sont chiffrées à 541 millions d’euros, avec 17 clubs sur 20 en déficit, dont un à 206 millions d’euros. Il semblerait qu’il s’agisse de Marseille, selon Mediapart.
Mais, à chaque fois, il faut intégrer les réserves de trésorerie, les recettes de mutation et les garanties bancaires, avant de s’alarmer sur les "déficits exorbitants" des seuls résultats d’exploitation. Au final, on arrive à quatre clubs dans le rouge, respectivement à -27,4 millions, -18,3 millions, -15,9 millions et -0,9 million d’euros. Soit une perte totale de … 62,5 millions d’euros.
Le nom de ces clubs déficitaires restent inconnus mais Mediapart croit savoir qu’il s’agit de l’OM, des Girondins de Bordeaux, de l’AS Saint-Etienne et du LOSC. D’après l’article, ces équipes seraient "dans une situation très préoccupante".
Le prêt garanti par l'Etat et sa redistribution
D’où la solution, abordée dans la dernière partie, du prêt garanti d’Etat, souscrit par la Ligue et validé lors de l’assemblée générale des clubs. Prêt d’une valeur de 224,5 millions d’euros et qui sera redistribué à l’ensemble des équipes selon la méthodologie en vigueur jusqu’ici, en fonction de ce que les clubs devaient encore toucher de droits TV, sur la notoriété et les résultats sportifs.
Scandale pour Mediapart. En effet, avec cette méthodologie, les clubs les plus puissants, dont le PSG, l'OL et l'OM, toucheront la plus grande part de ce prêt, alors que les autres, considérés comme plus "sages économiquement" toucheront moins. "L’emprunt sera inégalement réparti. […] Le PGE vise à sauver le foot-business, et non à sauver des clubs", estime le site.
Or, dans la mesure où cette distribution a été validée et ratifiée par l’ensemble des clubs professionnels, lors de l’assemblée générale exceptionnelle, rien de scandaleux ou de choquant. Mieux encore, le prêt ne fait que compenser la perte d’une partie des droits TV, celle qui précisément était à destination des clubs connus et réputés.
Globalement, Mediapart ne révèle pas grand-chose mais a surtout l’avantage de dévoiler les rapports de la LFP, intéressants concernant les retombées économiques du coronavirus et des modalités de distribution du PGE. Mais l’inquiétude d’une faillite globale apparaitrait quelque peu exagérée…