
Bouhaddi prend la parole après son départ de l'OL pour le PSG: "Je n’ai pas fait une croix sur l’équipe de France"
C’est votre première prise de parole depuis votre changement de club. Revenons au point de départ de votre venue à Paris. Pourquoi avoir choisi le PSG ?
Le soleil parisien! Non, non je plaisante! Tout d’abord, comme tout le monde le sait, j’étais partie aux États-Unis pour avoir un nouveau challenge qui m’a énormément satisfait. J’étais ravie. Mon retour à Lyon ne s’est pas passé comme j’aurais pu l’imaginer en tant que sportive de haut niveau et compétitrice. Le temps de jeu était très réduit, voire même limité. Le peu de fois où j’ai pu jouer, c’était suite à des blessures. Ce qui ne me correspond pas du tout en tant que compétitrice. Je sentais très bien que la porte était fermée au niveau du staff. J’ai attendu que la saison se finisse avec Lyon pour voir ce que j’allais faire l’année d’après, parce que j’étais encore en contrat avec l’Olympique Lyonnais. Très vite la coach m’a appelé pour me dire que la situation allait rester la même, sachant que j’étais parfois troisième gardienne, parfois deuxième gardienne. Me connaissant ce n’était pas possible.
Les discussions que j’ai eues avec mon agent, c'était pour voir si j’allais rester à Lyon et me contenter comme certains peuvent le faire d’être sur un banc et prendre juste un salaire ou trouver un autre challenge qui pouvait correspondre en tant que joueuse de haut niveau. Il y avait une chose de très importante dans ma réflexion : je devais rester en France pour des raisons familiales. Il y a eu la proposition du PSG. Cela reste un club de très haut niveau qui joue à chaque fois le très haut de tableau du championnat de France, qui veut gagner cette Ligue des champions. Cela correspondait à mes attentes de sportive de haut niveau, c’est pour ça que j’ai accepté. Enfin, le fait d’avoir vu Gérard Prêcheur signer au Paris Saint-Germain, qui a été mon formateur quand j’étais petite à l’âge de 14 ans, cela a accéléré le choix. Avoir un entraîneur qui me connaissait et qui est capable de me diriger, c’était un critère important.
"À Lyon, la porte était fermée au niveau du staff"
Cette fin d’histoire avec l’OL vous a attristée?
Oui cela attriste, mais ce sont les aléas du haut niveau. J’ai pris un risque en partant aux États-Unis et en laissant ma place à d’autres gardiennes. On allait forcément me remplacer et c’était normal. Le plus triste, c’est que le départ s’est fait un peu, je pourrais dire, comme une voleuse. Car je suis partie du jour au lendemain de Lyon. Je n’ai pas dit au revoir à mes coéquipières, aux supporters, même le président. Quand tu fais autant d’années dans un club et que tu donnes énormément, ça cela a été le plus dur. Mais comme je dis, c’est le sport de haut niveau. Un jour on est là, un jour on est autre part. J’ai la chance d’avoir côtoyé de très grandes joueuses qui m’ont remercié et envoyé des messages. Cela a été touchant. Après, faire même une petite réunion, un petit pot d’au revoir pour dire au revoir aux dirigeants et à tous ceux qui travaillent autour de nous, c’est très important.
Ce n’était pas possible pour vous de finir votre carrière dans ces conditions?
Ce n’est même pas une question d’être sur le banc. C’était de savoir si on allait ouvrir les portes de la concurrence. Dès le mois de juin, on m’a appelée pour me dire que la saison prochaine il n’y aurait pas de concurrence et que les portes n’allaient pas s’ouvrir. Pourquoi irais-je prendre un mur pendant des mois et des mois en sachant que je mérite autrement et mieux ? Le PSG est un club de très haut niveau, ce n’est pas un choix par défaut, c’est aussi un choix qui me tient aussi à cœur. Je suis contente d’être là.
"Être sur le terrain, c’est ce qui me rend heureuse"
Avez-vous encore faim de victoires et de titres?
Oui, j’ai faim de titres, cela ne va pas être facile. Mais j’ai très envie d’aller chercher des titres que cela soit en championnat, en Coupe de France ou même en Ligue des champions. Le premier match en Ligue des champions contre Häcken, entendre la musique m’a fait du bien. Me retrouver sur le terrain, c’est ce qui me rend heureuse. J’essaie de prendre des repères petit à petit et de m’installer au fur et à mesure. J’essaie d’apporter au maximum mon expérience, que ce soit aux dirigeants ou aux joueuses, car j’ai vécu pas mal de choses. C’est ce que j’essaie surtout d’apporter à l’équipe. Certains, je leur casse un peu la tête pour rigoler, leur amener cette rigueur au quotidien, cette façon d’aller chercher des titres.
Est-ce le dernier challenge de votre carrière?
Je ne sais pas du tout. Aujourd’hui j’ai 36 ans, je vais vivre au jour le jour. Ce sont mes performances qui vont dicter mon futur. Je ne vais pas rester sur le terrain pour rester sur le terrain, j’ai envie d’être performante et d’apporter au collectif, c’est ça qui me dictera au fur et à mesure.
Cette saison, le PSG peut-il jouer sur les trois tableaux?
On voit qu’au niveau du championnat c’est très serré pour les trois premières équipes. Il n’y a pas de match facile, toutes les équipes ont du mal à gagner un peu plus de 3 ou 4-0. Cela fait du bien au championnat de voir des matchs un peu plus serrés comme ça. La Ligue des champions ou la Coupe de France, ce sont des matches couperet si on passe les matchs de poule. Il faut y croire, travailler. C’est le collectif qui fait notre force. On a un groupe très jeune, certaines découvrent le haut niveau la force collective qu’il va y avoir autour de nous, et du staff, cela va être très important.
Quel est votre regard sur le niveau du championnat français par rapport aux concurrents européens?
Les autres nations développent beaucoup autour du football féminin, les stades se remplissent, il y a pas mal de pub. Il faut s’en servir pour développer notre football à nous. Je ne pense pas que l’on régresse. Maintenant, il faut se poser les bonnes questions pour essayer d’être à égalité avec ces équipes. Il faut regarder aussi le calendrier, les horaires des matchs. Quand on joue à 19h et que l’on veut venir avec sa famille, ce n’est pas évident. Que cela soit en semaine, ou même le dimanche après-midi ou le dimanche soir. Il faut essayer de mettre en place des choses pour faire venir ce public. Après il y a des gens-là haut à la Fédération, dans les clubs, qui vont en discuter. Mais je pense que ce n’est pas à moi, en tant que sportive, d’aller le faire.
Qu’est-ce qui vous a marqué lors de votre expérience américaine?
Là-bas, le championnat est constitué d’équipes équilibrées de la première à la dernière équipe. Toutes les grandes joueuses sont réparties dans la Ligue pour avoir un championnat homogène. L’année où j’y étais, c’était l’une des années les plus serrées. Il faut peut-être aussi réfléchir sur des formules comme ça pour essayer d’équilibrer notre championnat. Aujourd’hui, on le voit: c’est au PSG et à l’Olympique Lyonnais qu’il y a les plus grandes joueuses. Les petites équipes, entre guillemets, essaient de se battre pour se maintenir en D1. Il faut essayer de mettre en place des choses pour faciliter le quotidien de ces équipes. Qu’elles deviennent professionnelles, qu’elles puissent vivre de cette discipline. Ne pas se lever le matin et se dire: "le soir, je vais m’entraîner". Moi je l’ai vécu auparavant à Juvisy et je sais que ce n’est pas facile. Il faut essayer de mettre en place les choses pour que tout se professionnalise progressivement. Aux États-Unis, c’est une culture, une envie de faire de la pub autour de ces événements. C’est avoir le temps de le faire et les moyens de le faire, aussi. On le voit que ce soit avec l’équipe de France, l’OL ou le PSG: quand il y a des grandes affiches, le public répond présent.
Le 4 mars 2020, c’est la date de votre dernière sélection avec les Bleues. L’équipe de France vous manque-t-elle?
Forcément. Porter le maillot de l’équipe de France, quand tu es Française et compétitrice, c’est ce qu’il y a de plus beau. Maintenant, j’ai fait un choix qui me tenait à cœur et qui était important pour mon intégrité personnelle et même physique, car j’étais arrivée à un moment délicat avec le staff et la coach. À partir du moment où je mets un pied sur le terrain, il faut que je sente derrière moi une confiance à 100%. C’est ce que j’ai dit auparavant. Cette confiance n’était pas réciproque, et s’est dégradée après la Coupe du monde. Je le répète: avec Corinne Diacre, il n’y avait aucun problème avant le Mondial. Pendant les mois et les années ensemble, la relation était très saine. Cela s’est dégradé après et c’est malheureux.
On m’a répété un peu l’interview d’Amandine Henry. Moi, je ne regrette pas, mais il y a des manières peut-être. La manière peut être discutable, mais je pense que quand on l’a fait, on avait été poussées à bout. C’était difficile psychologiquement et l’on n'a trouvé que cette issue. C’est dommage. Cela fait bientôt deux ans que je ne suis plus en équipe de France et je trouve dommage que, depuis, on n’ait pas cherché à discuter ensemble pour aider à crever l’abcès. Que l’on me sélectionne ou pas, ce sont des choix. Mais je trouve que c’est dommage de rester sur ces non-dits ou ces choses qui sont tristes.
J’ai envoyé un message à Corinne Diacre à mon retour des États-Unis. Je n’ai eu aucun retour. Je suis prête à échanger.
Avez-vous fait une croix sur l’équipe de France?
Je n’ai pas fait de croix sur l’équipe de France. Je le répète: le jour où on fera appel à moi en équipe de France, c’est que l’on me fera confiance à 100% et que l’on croit en moi. Si demain Corinne Diacre m’appelle avec son staff et me dit "on veut partir sur un nouveau cycle, et on te fait confiance", cela se discute. Et je suis prête à l’entendre. Mais si on ne me fait pas confiance et que l’on veut juste me prendre pour des résultats que je fais sur le terrain, je n’apporterai pas à l’équipe. Je marche énormément à la confiance et c’est un principe très important pour moi.
Avez-vous cherché à joindre Corinne Diacre?
Pour être honnête, joindre au téléphone non. J’ai envoyé un message à Corinne Diacre à mon retour des États-Unis au mois d’octobre 2021. Je n’ai eu aucun retour. C’est un choix qu’elle a fait. Peut-être a-t-elle jugé pas nécessaire d’entrer en discussion avec moi, je l’accepte. Aujourd’hui, je fais mon travail au Paris Saint-Germain, j’essaie d’être performante. Si un jour elle souhaite discuter avec moi et que l’on avance dans un sens ensemble, cela se fera. Si elle juge aujourd’hui que ce n'est pas nécessaire, j’attendrai..
L’équipe de France peut-elle être championne du monde l’été prochain?
De ce que j’entends aujourd’hui de l’équipe de France, c’est que Corinne a évolué, le staff a évolué. L’atmosphère est complètement différente de ce que l’on a connu pendant la Coupe du monde. Cela fait deux ans que je ne suis plus en équipe de France, donc je ne peux pas juger de ce qui se passe en interne. Je souhaite que l’équipe de France gagne un titre car c’est ce qui manque à ce pays pour aller chercher la concurrence à l’extérieur. Ce qui est important, c’est ce qui se passe sur le rectangle vert. Ce qui se passe à côté, ce n’est pas important.