
Foot féminin: comment la France a pris un énorme retard sur ses voisins l'Espagne ou l'Angleterre
Le week-end du 14 janvier dernier, théâtre de la 12e journée de D1 Arkema, a été le spectacle du déclassement que subit le football féminin français. Au camp des Loges, le PSG affronte Rodez dans un stade Georges Lefèvre quasiment plongé dans la pénombre étant donné l’heure du coup d’envoi (un vendredi à 18h30). Les téléspectateurs ne sont pas servis non plus, puisque des gouttes d’eau sur les caméras empêchaient une bonne visibilité, comme ce fût le cas lors de Guingamp-Le Havre, programmé le lendemain. Les abonnés de Canal+ n’ont pas pu profiter de l’ouverture du score de Sarah Cambot, toujours en raison d’une mauvaise visibilité offerte par la météo capricieuse.
Plus au sud, à Soyaux, l’OL battait sans difficulté le club local sur un terrain “déplorable” selon Sonia Bompastor. “Je suis très en colère, avait-elle déclaré. C'est très irrespectueux d'avoir un terrain comme celui sur lequel on a pu jouer, aussi bien pour les équipes que Soyaux accueille que pour les joueuses de Soyaux. Sur un terrain dans cet état, il est impossible de produire du jeu.” Des couacs à répétition qui sont le symbole des difficultés du foot féminin français, dépassé par ses voisins à vitesse grand V.
“Parfois, nous ne savons pas où installer nos caméras”
Du côté du diffuseur, on tente de noyer le poisson dans l’eau. "Nous sommes évidemment déçus du spectacle proposé à nos abonnés le week-end dernier mais, malheureusement, nous sommes confrontés à des difficultés qui ne dépendent pas de Canal +. Depuis quatre ans, [notre groupe] fait le maximum pour valoriser la D1 mais nous ne pouvons pas avancer seuls: la FFF et les clubs doivent élever les standards et professionnaliser le Championnat, assurait ainsi Thomas Sénécal, directeur des Sports de Canal +, à l'Équipe.
Trop de stades de D1 ne disposent pas des infrastructures suffisantes pour nous permettre d'assurer une captation de qualité: parfois, nous ne savons pas où installer nos caméras, elles ne sont pas protégées des intempéries, ou encore nous avons des problèmes d'éclairage."
Des conditions déplorables qui participent au lent déclin de la D1 Arkema. “On peut voir des championnats comme l’Angleterre prendre un essor considérable avant même l’Euro (les Anglaises ont remporté la compétition à domicile l’été dernier, ndlr). L’Espagne est aussi professionnelle. La France est montée vite et haut, mais tout le monde a fait son évolution de son côté, analyse Pauline Peyraud-Magnin, gardienne de l’équipe de France et de la Juventus depuis 2021. En Italie, les gens s’intéressent de plus en plus au foot, et pas seulement à l’aspect extérieur. On est vachement médiatisés aussi.”
Les droits TV explosent en Angleterre
Le développement de la Women’s Super League, le championnat anglais, a également mis beaucoup de pression au football féminin français, qui souffre de la comparaison avec son homologue. Entre les stades pleins et les audiences TV qui décollent dans le sillage d’un Euro victorieux de la sélection, l’Angleterre a frappé un grand coup. “On ne va pas apprendre aux Anglais à faire du business. Ce sont les rois du monde à ce niveau-là, concédait Gérard Prêcheur, l’entraîneur du PSG, après la défaite face à Chelsea en Ligue des champions en octobre dernier. Ils ont senti le bon filon au niveau du foot féminin. Il ont très bien organisé l’Euro et ils l’ont exploité au niveau de la Fédération. Il y a eu de l'engouement au niveau de la sélection. Les Anglais sont dans une bonne dynamique.” Ce que n’a pas su faire la France après l’organisation de la Coupe du monde en 2019.
Une bonne dynamique possible grâce notamment à l’investissement des diffuseurs. Sky Sports et la BBC ont signé un accord en 2021, garantissant la diffusion de 66 matchs du championnat anglais par saison pour un montant record d'environ 7 millions de livres (environ 8,1 millions d'euros) par an. À cela s'ajoute un contrat de sponsoring (signé en 2019 par la banque Barclays avec la Women's Super League pour une somme supérieure à 11,5 millions d'euros pour les trois prochaines saisons) qui donne au football féminin anglais une surface financière bien supérieure à celle de son homologue français. En Espagne, les rencontres de la Liga féminine sont disponibles gratuitement sur la chaîne Youtube de DAZN, tout comme la Ligue des champions.
Détenteur des droits de la D1 Arkema depuis 2018-2019, le groupe Canal+ a signé un contrat au long cours de cinq ans pour un montant total de 6 millions d’euros (1,2 million d’euros par saison) pour la diffusion de l'intégralité des rencontres sur ses chaînes. Un contrat qui prend fin à l'issue de la saison 2022-2023. Se pose alors la question suivante: qui diffusera le championnat français l’an prochain? A cette date, les négociations sont en cours. Selon nos informations, le sujet est directement entremêlé à la naissance de la future Ligue professionnelle féminine, qui instituera un cahier des charges plus important.
“Il y a tellement mieux à faire”
Le futur diffuseur de la D1 Arkema devra mettre les bouchées doubles pour offrir de meilleures images aux téléspectateurs. “En Angleterre, le produit est vendu de façon exceptionnelle. Quand vous marquez un but, il y a trois caméras différentes, affirme Kenza Dali, joueuse d’Aston Villa, qui évolue outre-Manche depuis 2019. C’est ça qui fait la différence entre un produit français et anglais. Quand je regarde les matchs français, je me dis qu’il y a tellement mieux à faire. Si vous prenez les féminines de Chelsea, la manière dont les réseaux sociaux vendent leur équipe, c’est exceptionnel. On était les pionniers, mais on est dépassés. Jean-Michel Aulas a été hyper visionnaire. Il a vu les choses avant tout le monde. Aujourd’hui, on a pris du retard car le marketing est une grosse part du football.”
Si les actrices enchaînent les alertes envers la Fédération, chargée de gérer les intérêts du championnat, Noël Le Graët a toujours défendu son bilan. "C'est vrai que l'Angleterre se développe énormément, avec des moyens tout à fait différents des nôtres. Mais dire que le football français ne se développe pas est une grave erreur, indiquait le président de la Fédération française de football au cours d’un entretien à l’AFP avant l’Euro 2022, conclu par une demi-finale pour les Bleues (défaite 2-1 face à l’Allemagne). En nombre de licenciées, on continue de se développer. Notre équipe A enchaîne 18 matches sans défaite (entre juin 2021 et juillet 2022), ce n'est pas si mal. Et on a quand même un club (Lyon, ndlr) qui est champion d'Europe, de quoi on se plaint? On peut toujours mieux faire, mais notre équipe A est de haut niveau, troisième mondiale ce n'est pas si mal."
Depuis, la France est tombée au cinquième rang mondial, derrière les États-Unis, l’Allemagne, la Suède et l’Angleterre. En crise depuis l'annonce rocambolesque de Wendie Renard et de plusieurs coéquipières, qui se sont mises en retrait de la sélection sur fond de désaccords avec Corinne Diacre... qui n'a d'ailleurs pas résisté, les Bleues traversent elles aussi une tempête à seulement cinq mois de la Coupe du monde, organisée en Australie et en Nouvelle-Zélande (20 juillet-20 août).
L’écart se resserre en Ligue des champions
Outre l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie ont également opté pour la professionnalisation de leur championnat. Ce qui pousse certaines internationales françaises à mettre les voiles. Estelle Cascarino, Hawa Cissoko, Aïssatou Tounkara ou encore Kenza Dali évoluent en Women’s Super League, Sandie Toletti a signé au Real Madrid, alors que Pauline Peyraud-Magnin garde les buts de la Juve.
La plupart d’entre elles brillent en Ligue des champions, où les clubs étrangers titillent de plus en plus l’OL et le PSG. Lors de la phase de groupes, Arsenal avait étrillé les Fenottes, tenante du titre et octuple vainqueur de la C1 (1-5), tandis que Chelsea a battu deux fois les Parisiennes (1-0, 3-0). Les championnes d’Angleterre en titre retrouveront d’ailleurs les Lyonnaises en quart de finale (22 et 29 mars), avec l’espoir de ramener un premier titre pour les Blues, et une première Ligue des champions pour une équipe anglaise depuis Arsenal en 2007. Les équipes italiennes se mettent elles aussi à avoir des résultats au niveau continental, en témoigne la qualification de l’AS Roma pour les quarts de finale de la C1 dès sa première participation.
Une Ligue professionnelle féminine pour tout changer?
Pour garder de la compétitivité au niveau européen, le championnat français pourrait entrer dans une nouvelle ère rapidement. Comme révélé par RMC Sport le 15 janvier dernier, une étape importante pour l’avenir du football féminin est en train de se construire actuellement, avec la création d’une Ligue professionnelle. Jean-Michel Aulas, président de l’OL, s’est d’ailleurs officiellement montré intéressé par la présidence de cette nouvelle structure.
La Direction technique nationale a beaucoup travaillé sur l’articulation et les conséquences d’une Ligue professionnelle. La première sera une généralisation totale du contrat fédéral pour les joueuses. L’autre conséquence importante sera la création de la "Licence club" sur un modèle visiblement comparable à ce qui se fait dans le football masculin et qui permet notamment de toucher une répartition des droits TV ou un accompagnement financier fédéral pour les clubs de National, par exemple. Pour l’obtenir, un club devra remplir un certain nombre de critères sur la qualité de ses infrastructures, son centre de formation, son stade, ou encore sa pelouse.
Il reste à ce stade à trancher sur l’hébergement de cette Ligue féminine. Ces dernières années, Noël Le Graët en faisait une affaire de principe: il ne voulait pas laisser le football féminin en gestion à la Ligue. La Fédération française de football aura-t-elle les ressources humaines pour la gérer? Ou passera-t-elle sous pavillon LFP? Tant de questions qui devront rapidement trouver des réponses pour revoir le football féminin français concurrencer ses principaux rivaux, que ce soit sur le terrain ou au niveau institutionnel.