
Le nouveau malaise de l’escrime française
Pour les Bleus, les Mondiaux d’escrime de Moscou se terminent dans la confusion. La belle médaille de bronze décrochée par les fleurettistes françaises n’aura pas dissipé le malaise qui a entouré l’équipe de France et les dirigeants de la Fédération tout au long de ce dimanche pendant lequel des dissensions ont ressurgi, de façon un peu pathétique.
Alors que la plupart du clan tricolore a déjà regagné son hôtel, Isabelle Lamour, président de la Fédération française d’escrime, convoque les cinq épéistes présents pour leur annoncer sa décision : elle veut que la mission de Hugues Obry, leur entraîneur, leur mentor pour certains, s’achève immédiatement. La présidente de la FFE a pris sa décision dès le matin, quand elle a découvert dans la presse les déclarations d’Hugues Obry. Elle est allée frapper aux portes des chambres du DTN, Christian Peeters, et du principal concerné. Le ton est vif. Pour ne pas dire plus. Le point de non-retour est atteint. Elle demande au premier que la mission du second prenne fin tout de suite. Car, contractuellement, l’entraîneur des épéistes est un cadre technique qui dépend du ministère des Sports, et non de la Fédération. C’est donc à Peeters de mener la procédure auprès de son administration de tutelle.
Le timing n’est pas bon, mais sur le fond…
Obry voulait continuer jusqu’aux JO de Rio « pour gagner deux médailles d’or avec la France. » Il ne conduira pas son groupe au Brésil. Isabelle Lamour lui reproche à juste titre le timing de ses déclarations, alors que la compétition n’était pas terminée. Mais sur le fond, on n’en saura pas plus puisque la présidente de la FFE a refusé à deux reprises de s’exprimer au micro de RMC Sport. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas venus lui demander une interview dans la semaine quand tout allait bien, et que nous venons quand ça ne va pas… tout en nous disant qu’elle ne cherche pas la lumière et ne court pas après les interviewes…
Boisse-Obry, des relations très tendues
Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas la première fois qu’Hugues Obry tire la sonnette d’alarme, sur le manque de moyens dont disposent les entraîneurs. En revanche, c’était la première fois qu’il s’en prenait nommément à Philippe Boisse, champion olympique en 1984, aujourd’hui vice-président de la Fédération en charge du haut-niveau. Un très proche d’Isabelle Lamour. Entre les deux hommes, cela fait deux ans que les relations sont tendues au point qu’ils ne se disent plus bonjour depuis plusieurs semaines. Pourtant, Hugues Obry a dénoncé tout haut les limites d’un système que beaucoup de techniciens ou de tireurs pensent tout bas.
Des tireurs « dégoûtés »
La déflagration est importante tant Obry est un leader, pour ses tireurs bien sûr, mais aussi pour l’ensemble de l’équipe de France. Les cinq épéistes réunis par Lamour ont quitté la salle « dégoûtés », qu’on leur retire l’entraîneur qui les a replacés au rang de numéros un mondiaux par équipes (titres mondiaux individuel et par équipes l’an dernier, titres européens individuel et par équipes en juin dernier, médaille d’argent en individuel pour Gauthier Grumier à Moscou) et avec lequel un projet sur toute l’olympiade avait été construit. Surtout que Grumier et Robeiri par exemple avaient hésité à prolonger leur carrière sportive après les JO 2012, et qu’ils avaient continué parce que c’était Hugues Obry qui reprenait le groupe. Ils ont préféré ne pas s’exprimer pour ne pas avoir des mots qui dépasseraient leurs pensées mais leurs vacances sont d’ores et déjà gâchées. Même désarroi chez l’autre entraîneur de l’épée, Rudy Naejus, qui travaillait avec Obry sur le groupe des épéistes féminines.
Le DTN "sous le choc"
Quant à Christian Peeters, c’est un DTN pris entre deux feux qui ne peut que craindre les répercussions de cet épisode : « Je regrette tout ce qui s’est passé entre hier et aujourd’hui, tout le monde connaît mon affection pour Hugues, pour son travail et son engagement, mon regret pour ses coups de tête, c’est l’homme qui est comme ça, moi je l’ai pris avec ses défauts et ses qualités » , explique-t-il avant de poursuivre : « Je suis un petit peu sous le choc de tout ce qui se passe. Ça a été très vite, les décisions sont prises très rapidement, je comprends la présidente, je regrette les propos de Hugues, j’ai du mal à digérer, je ne sais pas comment tout ça va se terminer. Enfin si, j’ai une petite idée, mais tout ça c’est très mauvais pour le groupe et je le déplore. »
Effectivement, la sortie d’Hugues Obry et la décision de l’écarter prise par Isabelle Lamour pourraient avoir des conséquences : l’épée masculine, en individuel et par équipes, constituaient jusque-là les deux plus solides chances de médailles l’an prochain aux JO. Car même si les épéistes ne sont pas montés sur le podium à Moscou, c’est la seule fois que ça leur est arrivé cette saison, ce qui ressemble à un accident tant leur domination en Coupe du Monde a été impressionnante.
Un bilan « pas satisfaisant »
Et quand on regarde le bilan de ces Mondiaux 2015, difficile de voir d’autres valeurs sûres en vue de Rio, même si le bronze des filles au fleuret et l’argent de Cécilia Berder au sabre (en plus de celui de Grumier à l’épée) sont de belles médailles. Trois breloques quand cinq dont deux en or étaient espérées, le bilan est forcément décevant pour le DTN Christian Peeters : « C’est un bilan qui ne me satisfait pas, bien évidemment, on pouvait espérer beaucoup mieux après ce qu’on avait vu aux championnats d’Europe en juin (6 médailles dont trois titres). »
Seule consolation pour le DTN, la situation dans la course à la qualification olympique : « La situation est plutôt bonne, même si on n’a pas les médailles qu’on était venu chercher, mais il faut noter qu’on est encore dans les meilleures nations mondiales. Quand on n’a pas atteint le dernier carré, on est allés chercher les points pour la qualification olympique. » En effet, sur les quatre équipes qui doivent se qualifier, deux restent dans des positions très favorables (l’épée et le fleuret hommes), et les deux autres se sont bien replacées (sabre dames et épée dames). Mais la France ne termine tout de même qu’à la huitième place au classement des médailles. Et quand on voit Christian Bauer gagner l’or avec les sabreurs russes, et Daniel Levavasseur remporter le titre avec les épéistes chinoises, on ne peut s’empêcher de penser que le prochain entraîneur français à faire triompher une autre nation sera Hugues Obry. Un gâchis…