
Comment l’escrime française a relevé la tête

L'équipe de France d'épée, ici lors des derniers Championnats d'Europe, sous l'oeil du coach Hugues Obry. - AFP
Les changements de personne
Les visages ne sont plus les mêmes sur la photo de famille. Isabelle Lamour a succédé à Frédéric Pietruszka à la présidence de la Fédération Française d’escrime début 2013 ; Patrice Menon et Eric Srecki ont quitté leurs postes, respectivement de directeur du haut-niveau et de DTN, remplacés par Michel Salesse et Christian Peeters. Et chez les maîtres d’armes, le mouvement a été important puisque cinq entraîneurs numéros 1 sur six ont également changé, seul Franck Boidin, patron des fleurettistes, étant resté en fonction.
Enfin, parmi les athlètes, certains sont partis à la retraite, comme l’emblématique épéiste Laura Flessel ou la fleurettiste Corinne Maitrejean, d’autres ont été poussés vers la sortie (le sabreur Julien Pillet) ou vers l’exil (le fleurettiste Victor Sintès).
Des athlètes écoutés et entendus
Bien avant la catastrophe londonienne, certains tireurs avaient actionné la sonnette d’alarme, communiqué, et même menacé de boycotter la conférence de presse d’avant JO. L’encadrement à l’époque avait fait la sourde oreille, ne retenant que les questions de primes. Mais les athlètes avançaient pourtant des solutions pour endiguer la spirale qui était déjà négative depuis plusieurs saisons.
Entendre les idées émises a été le premier boulot de Christian Peeters le nouveau DTN : « Il y a un gros travail des entraîneurs, les staffs sont très proches des athlètes. On a été très à l’écoute des entraîneurs et des athlètes. » Ce qui ne peut que ravir la fleurettiste réfléchie Astrid Guyart : « On a été entendu parce qu’on a proposé des solutions qui n’étaient pas trop coûteuses, parce qu’il y avait urgence, et parce qu’Isabelle Lamour voulait inverser la tendance pour l’olympiade de Rio. »
Trois nouveautés majeures
Certains en parlent en souriant, mais la mixité, c’est-à-dire que les collectifs masculin et féminin d’une même arme s’entraînent et partent en stage ensemble, est un vrai plus à en croire Astrid Guyart : « On s’apporte vraiment. Ce n’est pas que les dames qui s’enrichissent au contact des hommes, l’inverse aussi est vrai. Parce qu’ils y gagnent en termes de concentration et de technique. Nous, on y gagne sur le cardio, sur le fait d’avoir des personnes puissantes en face de nous, et en tactique aussi. » Autre bénéfice de ce mélange, il favorise les échanges selon Christian Peeters : « On a changé la manière de travailler, on est entré un peu plus dans la mixité pour fédérer le travail des entraîneurs. »
Dans le domaine de la préparation physique, imaginer que les athlètes s’entraînaient sans spécialiste peut paraître incroyable. C’était pourtant le cas encore récemment. Aujourd’hui, la préparation physique fait partie du planning quotidien des athlètes. Il a fallu pour ce faire dépasser les contraintes budgétaires d’une Fédération française aux finances fragiles mais aussi bousculer les réticences à en croire Christian Peeters : « Après Londres, il y avait une demande très forte d’avoir des préparateurs physiques. Ceux qui étaient sceptiques par rapport à l’apport d’un préparateur physique, trouvent aujourd’hui que ça marche très bien et que ça apporte un plus, sans que ça ne touche aux prérogatives techniques des entraîneurs. »
Enfin, l’escrime française s’inspire d’avantage de ce qui se fait à l’étranger. Pas en allant y faire des stages, question d’argent, mais au moins en accueillant d’autres nations à l’Insep par exemple. Et, forcément, se confronter à d’autres, ça fait progresser.
La France se regarde moins le nombril
Du coup, l’escrime française regarde un peu plus ce qui se fait ailleurs, moins persuadée de détenir la vérité, ce que résume le sabreur Vincent Anstett : « Je pense qu’on s’était un peu reposé sur nos lauriers. Comme entre 2005 et 2008, on a tout gagné, on a fait peut-être moins d’efforts à l’entraînement. Il y a eu une concurrence internationale qui s’est développée, et que l’on n’avait peut-être pas anticipée. On s’est repris en mains. Aujourd’hui, on est de nouveau compétitif et ça fait plaisir.»
Et le regard des étrangers a aussi changé sur une équipe de France moins arrogante comme le décrit Christian Peeters : « On ne nous regarde plus de la même façon, on nous voit moins hautain, moins méprisant. Dans ce groupe, il y a beaucoup de modestie et d’humilité. Il n’y a jamais rien d’acquis, et tout le monde en a conscience. »
Une dynamique positive et une meilleure ambiance
Enfin, conséquence de tous ces changements, l’ambiance est redevenue sereine à l’Insep, comme en témoigne Hugues Obry, l’entraîneur des épéistes : « Avant, on s’entraînait à l’Insep, individuellement, on n’avait pas pris notre place vraiment dans ce grand centre d’entraînement. Avec l’échec de Londres, on a pu se réunir là-haut dans le bocal, on était tous à égalité les entraîneurs, on avait tous loupé. On s’est dit les choses et aujourd’hui, on travaille tous ensemble. Quand quelqu’un a un problème, il le partage avec les autres entraîneurs et s’inspire des solutions des autres pour les mettre à sa sauce. Et aujourd’hui, on est une véritable équipe de France d’escrime. »
Et les résultats s’en ressentent : 3 podiums aux Mondiaux 2013, 6 dont trois médailles d’or l’an dernier. Même bilan de 6 podiums dont trois titres aux championnats d’Europe en juin dernier. Modeste, le DTN fixe un objectif de 5 médailles dont deux titres pour ces Mondiaux à Moscou. Un objectif réaliste avec l’épée hommes (individuel et par équipe) et le fleuret masculin par équipe comme fers de lance. Mais malgré cette dynamique positive, l’escrime française sait qu’elle sera jugée dans un an, aux JO de Rio.