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Lefévère : « Frank était un virtuose »

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Manager de Frank Vandenbroucke chez Mapei (1995-1998), Patrick Lefévère évoque un coureur aussi talentueux que fragile, qui ne s’est jamais remis de ses démêlés avec la justice il y a dix ans.

Patrick Lefévère, comment avez-vous accueilli la nouvelle de la mort de Frank Vandenbroucke ?
Je suis surpris, comme tout le monde. Je lui ai encore parlé mardi dernier. Il était content de partir en vacances malgré le souci de ne pas avoir trouvé d’équipe. On ne peut jamais s’imaginer que quelqu’un de 34 ans va mourir. Je le connaissais depuis toujours. Je suis de la même génération que son oncle Jean-Luc, qui habitait chez les parents de Frank. Je l’ai vu débuter à quinze puis passer professionnel à 21 ans.

Comment était-il humainement ?
Je n’ai pas forcément les mots en français pour bien m’exprimer mais, pour moi, c’était un virtuose. Mais un virtuose a des hauts et des bas. Il était parfois capable de faire des choses comme personne d’autre sur un vélo. Pour quelqu’un qui n’a pas fait d’études supérieures, il a parlé quatre langues en très peu de temps. Il avait des qualités exceptionnelles. Mais ce type de gens se sent parfois incompris par le monde entier.

Qu’est-ce qui a précipité sa chute ?
Il a vécu un premier coup dur en 1999, quand il s’est retrouvé mêlé à une affaire de dopage. Il a fait une première dépression même s’il a été blanchi par la suite. Le mal était fait. Il a perdu confiance alors qu’il était jusque là très stable. Ce n’était plus le même Frank qu’avant.

Que représente-t-il pour le cyclisme belge ?
C’était un des plus grands talents après la génération Eddy Merckx. Il avait quelque chose en plus. Il ne travaillait peut-être autant qu’un Johan Museeuw mais il était plus talentueux. Johan le disait lui-même.

Fallait-il le pousser à arrêter quand ses déboires ont pris une telle ampleur ?
J’ai toujours pensé qu’il ferait un excellent directeur sportif. Mais on a vécu des moments très difficiles dans le cyclisme. Un assassin ou un voleur a le droit à une deuxième chance, mais ce n’est pas le cas dans le cyclisme. Vous portez votre passé sur l’épaule et tout le monde vous regarde différemment. Il avait beaucoup de mal avec ça. Il voulait encore courir une année mais aucune équipe ne voulait.

Quel souvenir allez-vous garder de lui ?
J’en ai plein. Les gens ne s’en rappellent sûrement pas mais il a gagné le Grand Prix de l’Escaut (en 1996), une course très plate. Il faisait moins de 70 kg mais il avait 20 km avec 50 m d’avance sur le peloton. C’est un numéro après lequel tout le monde a fait "Waow !"

propos recueillis par Clément Zampa (RMC Sport)