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Affaire Puerto : l’enquête inachevée

Jan Ullrich et Ivan Basso

Jan Ullrich et Ivan Basso - -

Le procès de l’affaire Puerto, qui avait entrainé la chute de Jan Ullrich et les sanctions de ténors du peloton comme Ivan Basso et Alejandro Valverde, débute ce lundi. Mais à Madrid, et pendant près de deux mois, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg qui sera sur le banc des accusés.

Il y a près de sept ans, la Guardia Civil ouvrait l’acte I de ce qui allait devenir l’affaire Puerto, l’un des plus grands scandales de dopage du sport contemporain. En mai 2006, les autorités espagnoles font irruption dans plusieurs domiciles à Madrid et à Saragosse. Un raid initié deux ans plus tôt par les révélations de Jesus Manzano, parlant de dopage organisé dans l’équipe Kelme. La police met la main sur 200 poches de sang, le cocktail habituel (EPO, hormones de croissance, stéroïdes anabolisants), des centrifugeuses, des plans d’entraînements. Cinq personnes sont placées en garde à vue : le gynécologue Eufemiano Fuentes, Manolo Saiz (Liberty Seguros, ex-Once), Ignaco Labarta (Communitat Valenciana), ainsi que deux autres associés.

C’est le cœur de ce réseau qui va se retrouver à partir de lundi sur le banc des accusés d’un tribunal madrilène. Le procès fleuve (35 témoins, 8 parties plaignantes, 6 experts) durera jusqu’au 22 mars. Il sera dirigé par le juge d’instruction Patricia Santamaria Matesanz. Un mois après la descente de la Guardia Civil, les noms des coureurs avaient été rendus publics. Du beau monde : Jan Ullrich, Ivan Basso, Joseba Beloki, Roberto Heras, Tyler Hamilton, Santiago Botero, Michele Scarponi, Quique Gutiérrez, Santi Pérez, Oscar Sevilla, Isidro Nozal, Fransisco Mancebo, Alejandro Valverde, Alberto Contador, Jörg Jaksche, entre autres... Chaque client portait un surnom : « Bella » pour Jaksche, « Zapatero » pour Scarponi…

Le Tour de France fait le grand ménage, les équipes Communitat Valenciana et Astana d’Alberto Contador prennent la porte, d’autres prétendants à la victoire aussi comme Basso et Ullrich. En février 2007, l’Allemand annonce sa retraite, quelques jours avant que les analyses des poches de sang confondent le vainqueur de la Grande Boucle en 1997. Un mois plus tard, à la surprise générale, le juge Antonio Serrano classe le dossier. L’UCI et l’AMA se portent partie civile. « Il résulte de toute cela une très grande frustration », raconte aujourd’hui à RMC Sport David Howman, n°2 de l’AMA, quand il évoque l’évolution de cette affaire. En juin 2007, Basso avoue son implication dans l’affaire Puerto au CONI, qui le suspend deux ans, jugeant ses aveux trop succins.

Un procès qui ne parlera pas des footballeurs, athlètes et tennismen

En février 2008, le Procureur de Madrid rouvre la procédure qui vise dorénavant le docteur Fuentes et son acolyte hématologue José Luis Merino Batres. Les deux cerveaux sont poursuivis pour atteinte à la santé publique, délit passible de deux ans d’emprisonnement au regard de la nouvelle loi antidopage entrée en vigueur en 2007. En février 2009, cinq autres personnes les rejoignent, parmi lesquelles Manolo Saiz. En mai 2010, Valverde est suspendu deux ans par le TAS. Sept années interminables, un dossier de 7700 pages, pour un procès qui ne visera finalement qu’une poignée d’instigateurs, mais aucun des 54 cyclistes apparus sur les fiches de Fuentes. Contador, Basso, Scarponi et Jaksche n’interviendront qu’en qualité de témoins assistés.

L’Espagnol et le double vainqueur du Giro ne témoigneront que par visioconférence. Pire, les notes du docteur Fuentes cachent d’autres « clients » issus de l’athlétisme, du tennis et du football. Le médecin l’a indiqué lui-même le 5 juillet 2012. Manzano a affirmé avoir vu « des footballeurs très connus » dans le cabinet de Fuentes. Le Monde est entré en possession de documents mettant en cause le FC Barcelone et le Real Madrid. Le journal sera condamné à verser des indemnités pour atteinte au « droit à l’honneur ». « On nous a dit avec certitude qu’il n’y avait pas que des cyclistes, mais très vite, une sorte de rideau a été tiré sur de nombreux aspects de l’enquête, c’est quelque chose de très décevant », conclut Howman, de l’AMA.

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Tour de France 2006 : le coup de bluff d’ASO|||

Deux jours avant le départ de la Grande Boucle, qui débute par un prologue à Strasbourg le 1er juillet, l’organisateur reçoit une liste avec les noms des coureurs impliqués dans la toute nouvelle affaire Puerto, initiée par la Guarda Civil au mois de mai. C’est le secrétaire d’Etat espagnol aux Sports, Jaime Lissavetzky, qui transmet le fameux document aux gens d’Amaury Sport Organisation. « A partir de ça, on a fait une liste de coureurs indésirables, raconte à RMC Sport Patrice Clerc, alors président d’ASO. Certains sont partis tout de suite, je me souviens de Mancebo, d’autres ont râlé, mais ça s’est dégonflé assez vite. Là-dedans, il y avait une part de bluff. On était droit dans nos bottes, arguant du fait qu’il y avait atteinte à l’image de l’événement, mais j’ai été soulagé de voir qu’aucun coureur n’avait pris un gros cabinet d’avocats. Sans Lissavetzky, on n’aurait rien pu faire. J’ai été critiqué, mais lui aussi l’a payé par la suite à un certain niveau des autorités espagnoles. »

Louis Chenaille