
NBA: Zion Williamson, bien plus qu'un dunkeur
Escalader la montagne était un défi de taille. Malin, il a préféré la contourner. On conseille à ceux qui imaginent Zion Williamson comme un simple showman, une anomalie de la nature juste bonne à claquer dunks féroces et contres surpuissants la tête au cercle, de revoir les images du match de présaison entre ses New Orleans Pelicans et le Utah Jazz. Celui qui va faire ses grands débuts en compétition officielle en NBA à dix-neuf ans ce mercredi soir à domicile face aux San Antonio Spurs, après avoir raté tout le début de saison en raison d’une blessure au ménisque du genou droit, avait par deux fois récupéré le cuir en position de tenter de "monter" sur Rudy Gobert, tour de contrôle du Jazz et l’un des meilleurs défenseurs de la ligue. A chaque fois, il avait su faire le geste juste et changer de main en l’air pour tourner autour du géant tricolore et marquer plutôt que de s’empaler dessus.
Avec sa réputation de massacreur de cercles, on l’aurait pourtant bien imaginé vouloir dunker sur le géant français. Mais il y avait mieux à faire, plus efficace, plus dans le sens du jeu. C’est ce qu’il a choisi. Deux actions pour un symbole. Simple machine à dunks, Zion? Oh que non. "Il a joué à Duke, formé par Coach K, sourit Stephen Brun, ancien pro et consultant RMC Sport, dans un sous-entendu hommage à l’entraîneur des Blue Devils. On s’attarde sur ses exploits physiques mais c’est un vrai joueur de basket, complet, pas juste un athlète." Intelligence de jeu, qualité de passe et de dribble, choses invisibles sur la feuille de stats mais si précieuses comme les aides défensives, les écrans retard, les déplacements sans ballon ou le placement, Williamson offre bien autre chose que du grand spectacle derrière une combinaison physique injouable ou presque pour l’adversaire (2,01 mètres, 130 kilos et plus d’un mètre de détente verticale).
"Je ne veux pas être connu juste pour ça"
Mike Krzyzewski, le légendaire Coach K, qui l’a eu sous ses ordres à Duke, résumait l’idée à l’heure de son départ de l’université direction la NBA après une saison: "Les gens disent: 'Je ne savais pas qu’il pouvait faire ça!' C’est parce qu’ils ne regardaient qu’une seule chose." L’époque a joué pour cacher le reste. Quand Zion Williamson éclot aux yeux de la planète basket dans son lycée de la Spartanburg Day School, en Caroline du Sud, son explosion médiatique a une origine: les vidéos virales où on peut le voir enchaîner les dunks ou les contres à vous décrocher la mâchoire.
Mais l’intéressé sent vite qu’on pourrait oublier tout le reste. "Si vous m’avez vu jouer, vous savez que ce n’est qu’une partie de mon jeu", lance-t-il ainsi à USA Today en décembre 2016, alors joueur du 11th grade (la première). Il vient tout juste de refuser de participer au concours de dunks du tournoi Chick-fil-A Classic, qu’il aurait sans doute écrasé. Il a ses raisons: "Je ne veux pas être connu juste pour ça. Donc je fais plutôt comme LeBron James désormais: je suis un dunkeur en match."
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Qu’on rassure les amateurs: il a refait des concours, et la concurrence a morflé. Mais on a compris la volonté derrière ses mots. Pointer tout ce qu’il ne veut pas voir disparaître dans des analyses trop simplistes. Les dunks sont arrivés au 9th grade, la troisième. Mais le jeu, le vrai, il le bosse depuis bien plus longtemps. Cette année de troisième (intégrée au lycée dans le système US), période où il connaît une forte poussée de croissance, Zion la passe au poste de meneur. S’il quittera ensuite la mène, il la retrouvera par intermittence jusqu’en terminale, selon certains systèmes offensifs concoctés par son coach Lee Sartor.
Un poste qu’il a aussi pratiqué plus tôt dans l’enfance sous les ordres de sa mère ou de son beau-père, qui l’ont chacun coaché un temps et lui ont fait développer un QI basket "déjà au-dessus du lot" quand il avait à peine plus de dix ans (dixit Lee Sartor). "On pouvait voir dans son jeu qu’il avait beaucoup travaillé tout ça plus jeune", se souvient Donnie Bui, vidéaste qui avait déménagé lors de ses deux dernières années de lycée pour suivre au plus près ses exploits et les filmer pour le site Ballislife.
Passé et mentalité de meneur
Quelques années plus tard, cette mentalité et ces qualités de meneur développées très jeune et jamais perdues depuis lui permettent d’évoluer sur plusieurs positions, en force près du cercle ou en toucher à l’extérieur, ce qui avait beaucoup plu à Coach K. "Avoir évolué meneur aide sur le plan de la finesse technique et c’est intéressant dans la lecture et la compréhension du jeu, analyse Romain Leroy, assistant-coach des Antibes Sharks et consultant NCAA (championnat universitaire) pour RMC Sport. Au haut niveau, aujourd’hui, on cherche beaucoup des joueurs de poste 4 au large et capables de passer, d’apporter de la création. Avec ses qualités, c’est une espèce d’hybride, un joueur sans position même s’il a plus un profil intérieur."

Tout sauf égoïste, Williamson se régale à distribuer des caviars à ses partenaires. "Sa mère lui a appris à se soucier des autres et il a toujours cherché à s’assurer que ses coéquipiers étaient impliqués, explique Lee Sartor, son coach pendant quatre ans au lycée de Spartangburg, qui avoue qu’il devait parfois le pousser à prendre un match à son compte, à RMC Sport. Même s’il est exceptionnel, il joue pour rendre ses coéquipiers meilleurs. Même quand il pouvait finir seul, il lui arrivait souvent de faire la passe pour permettre à son coéquipier de réussir une action fantastique. Il veut gagner en équipe."
Une caractéristique toujours présente aujourd’hui dans sa capacité à donner des passes dans le bon tempo dans le trafic sur jeu posé comme en contre-attaque. Formé "à être un arrière", ce garçon si puissant affiche "les qualités d’un joueur extérieur" (Lee Sartor). "On le voit dans ses remontées de balle ou quand il fait des coast-to-coast", précise Stephen Brun. De quoi impressionner un Coach K tout sauf fan des joueurs individualistes et qui avait loué ses passes et sa qualité de dribble à Duke.
"Quand il prenait un rebond ou faisait une interception, je l’ai toujours encouragé à ne pas faire la passe mais à s’en charger lui-même car il peut gérer la balle et dribbler aussi bien que n’importe qui, reprend son ancien coach au lycée. Il est un tellement bon passeur et il a tellement envie de faire de bonnes passes qu’il va à coup sûr prendre la bonne décision quand la balle est dans ses mains." Le tout sans paniquer, restes d’une enfance où son beau-père l’a fait jouer contre des gamins plus âgés de quelques années et qu'il devait se débrouiller pour faire sa place malgré un déficit physique.
Intelligence de jeu, intelligence tout court
Voilà pour le collectif. Pour le personnel, il faut se tourner ailleurs. Vers ses qualités de placement, au rebond comme ailleurs, sa capacité à attaquer le cercle par les bonnes lignes, à être au bon endroit au bon moment en attaque comme en défense. Son intelligence de jeu, quoi. "Il réfléchit et joue en même temps, souligne Bill Pell, son professeur d’écriture créative en terminale, avec qui il s’est essayé avec succès à la poésie (une curiosité synonyme de "prédisposition à la progression" dixit Romain Leroy), pour RMC Sport. Il utilise son cerveau sur le parquet comme il le faisait dans ma classe."
"Pour être capable de claquer des dunks comme ça, il faut avoir des bons timings de drive, être capable de lire une défense, ne pas partir à un contre quatre, analyse Stephen Brun. C’est une question d’intelligence, de bonne lecture du jeu, et c’est une de ses qualités. Il y a un paquet de mecs qui ont une détente monstrueuse comme lui mais qui sont incapables de faire des highlights comme ça car ils n’arrivent pas au bon moment et qu’ils prennent des murs dans la gueule."
Lee Sartor y va lui aussi de son couplet: "Les gens parlent de ce qu’ils voient de lui sur YouTube mais ce qu’ils ne voient pas, c’est la façon dont il se déplace autour des défenseurs pour arriver à l’endroit où il pourra aller finir au cercle." Jack White, l’un de ses coéquipiers à Duke, enfonçait le clou dans le Washington Post il y a quelques mois: "On ne lui donne pas assez de crédit pour ça: être au bon endroit au bon moment, obliger un adversaire à tirer différemment pour éviter son contre, prendre des rebonds, faire une claquette pour envoyer la balle à un partenaire et permettre une contre-attaque rapide… Il fait tout et il a des instincts incroyables et une belle capacité à lire le jeu. C’est un joueur très, très intelligent. Il est toujours placé au bon endroit et vous le voyez très rarement faire une mauvaise action. Chaque fois qu’il a la balle, quelque chose se passe."
"Je n’ai jamais couvert un joueur qui jouait aussi dur que lui sur chaque possession"
Javin DeLaurier, autre partenaire de jeu chez les Blue Devils, pointait pour sa part sa faculté à "bien communiquer sur le terrain, notamment en défense": "Il fait toutes les petites choses que vous recherchez chez un coéquipier". Autant de petits détails travaillés avec abnégation au lycée, même quand l’opposition n’était pas à la hauteur. "Il a toujours cherché à développer tous les aspects du jeu, raconte Donnie Bui à RMC Sport. Quand son équipe gagnait largement, s’il ne dunkait pas, il bossait tout le reste: le travail au poste, attaquer depuis l’aile, les déplacements sans ballon." "Gros travailleur", "facile à coacher" et "apte à recevoir les critiques sans les prendre mal", qualités soulignées par Bill Pell et tous ceux qui l’ont côtoyé, celui qui "aime les challenges" ne rechigne pas à faire le taf pour progresser.

Un côté acharné qui se retrouve sur le parquet. "Depuis que j’ai commencé en 2011, je n’ai jamais couvert un joueur qui jouait aussi dur que lui sur chaque possession, estime Donnie Bui. Il a cette volonté de jouer dur tout le match et à chaque match. Les gens questionnent souvent le moteur des athlètes, le fait qu’ils font ce qu’ils doivent faire mais jouent rarement à 100%. Avec Zion, ce ne sera jamais un problème. Au lycée comme à l’université, je ne l’ai pas vu une fois jouer moins dur car un adversaire était moins fort. Peu importe qui était en face, il jouait à fond sur chaque possession. C’est en partie ce qui le sépare des autres joueurs."
Mais beaucoup n’ont vu que les dunks. Résultat? Le joueur le plus "hypé" à son arrivée en NBA depuis LeBron James était presque sous-estimé à sa sortie du lycée – où il n’était pas dans un gros établissement basket et où le niveau d’opposition offrait un côté Goliath qui écrase des David qui le faisait passer pour un simple mastodonte machine à dunks – comme de l’université. "Quand il a eu son diplôme de Spartanburg Day, certains pensaient qu’il n’y avait pas assez de compétition pour lui en évoluant dans cette équipe et qu’il allait ralentir un peu à Duke, sourit Bill Pell. Mais il a continué à dominer. Quand il a été drafté numéro 1 par les Pelicans, on a dit que quelqu’un allait enfin le ralentir. Mais pour le peu de temps qu’on l’a vu à l’œuvre en présaison, il se débrouillait très bien."
Barkley, O'Neal, LeBron, Jordan...
Les adversaires tombent eux aussi dans le panneau. "Ils ont tendance à le sous-estimer car ils se disent: 'Si j’arrive à l’empêcher de dunker, je vais avoir du succès contre lui', pointe Lee Sartor. Mais il fait tellement plus... Il est tellement rapide et agile avec la balle. Il est juste impossible à arrêter pour une seule personne! Je ne dis pas qu’il peut marquer à chaque fois qu’il a la balle, car personne n’en est capable et qu’il n’est pas parfait, mais il va faire plus de bons choix et de bonnes actions que de mauvaises." Avec tout ça, les comparaisons flatteuses fleurissent. On a entendu Charles Barkley, Karl Malone, Blake Griffin ou Shaquille O’Neal. On a surtout entendu Michael Jordan, pour son côté compétiteur et la façon dont il travaille son jeu dixit l’historique coach de North Carolina (la fac de Jordan) Roy Williams, ou LeBron James, avec notamment un Lee Sartor qui voit un parallèle dans sa façon de manier la balle et de se trouver une ligne vers le panier.

"Il fait aussi des choses de façon similaire à un Magic Johnson avec sa vision du jeu, complète son coach au lycée. Chacune de ces comparaisons implique des joueurs parmi les meilleurs de l’histoire. Ça peut être dangereux mais ça en dit beaucoup sur son potentiel." Il y a bien sûr encore beaucoup de travail. Il faudra bosser les mouvements intérieurs, dont il n’a jamais vraiment eu besoin en raison de sa domination physique, mais aussi et surtout son tir, quasi une obligation dans une NBA moderne où le shoot extérieur et la capacité des intérieurs à s’écarter a pris une place prépondérante (et travaillée).
"S’il veut être All-Star ou passer un cap supplémentaire, il faudra un petit peu de shoot. Mais on a déjà vu une évolution sur son tir, nuance Stephen Brun. Il n’est pas maladroit. Même si ce n’est pas du tir en suspension mais pieds au plancher, la gestuelle est correcte. Son tir n’est pas dramatique, il a juste besoin de temps pour déclencher. Sur un poste 4 et du pick-and-pop, et non du catch-and-shoot rapide, il va avoir le temps de dégainer. Et il va progresser. Pour moi, il est déjà bien en avance sur un Ben Simmons ou un Giannis Antetokounmpo, les deux grands joueurs qui n’ont pas de tir. Ce n’est pas une réelle inquiétude."
Risque physique
Cette dernière porte un nom: blessures. Avec un tel physique et un tel jeu, Zion est un risque sur pattes, à l’image de ce ménisque qui lui a coûté le début de saison NBA (sans oublier sa chaussure explosée sous son poids et son intensité en plein match à Duke). "Il faut que son corps tienne, confirme Stephen Brun. Quand tu fais 135 kilos et que tu es toujours en l’air, tes articulations souffrent. A la base, les genoux ne sont pas faits pour supporter 200 sauts par match avec un tel poids. A quel point est-ce que ça va tenir? Le staff des Pelicans va renforcer au maximum ses membres inférieurs. Mais il y a toujours ce point d’interrogation." Pour le jeu, les réponses sont là. On espère pour le monde du basket que le physique laissera Zion assez tranquille pour lui permettre de les montrer.