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Philippe Bianchi : "A chaque fois que je vois une F1, c’est insupportable"

Philippe Bianchi

Philippe Bianchi - AFP

EXCLU RMC SPORT. Ce week-end, le championnat du monde de F1 fait escale au Japon, sur le tracé du circuit de Suzuka. Là même où Jules Bianchi avait sombré dans le coma après sa terrible sortie de route survenue il y a un an presque jour pour jour (le 5 octobre 2014). Plus de deux mois après la disparition de son fils, Philippe Bianchi a accepté de témoigner. Sur sa douleur, l’enquête en cours, le projet d’une fondation, le soutien des pilotes mais aussi la famille de Michael Schumacher, à qui il apporte tout son soutien et demande de tenir bon.

Permettez-nous de vous demander comment vous allez après le décès de Jules ?

On va mal. Malheureusement, on ne peut pas aller bien lorsqu’on a vécu l’année que nous avons pu vivre. C’était une année chargée d’espoir et de désespoir à certains moments. Mais bon, l’espoir reprenait toujours le dessus parce qu’il y avait de la vie… Puis il y a deux mois, la vie s’est arrêtée. On était tout le temps avec lui, que ça soit sa maman ou ses frères et sœurs, ses grands-parents, ses amis très proches. Tout le monde a essayé de donner le maximum de son énergie et aujourd’hui, nous avons le contrecoup de tout ce qu’on a fait car on a été impuissant sur le résultat final…

Quels pilotes sont venus à son chevet ?

Felippe Massa, Pastore Maldonado, Jean-Eric Vergne… Je pense que les pilotes sont restés discrets et n’ont pas voulu rentrer dans notre intimité. On a pu remarquer, notamment durant ses obsèques, tous les témoignages d’affection, toute la tristesse que pouvait avoir une grande partie des pilotes puisqu’ils étaient quasiment tous là. Il ne manquait que Fernando Alonso mais j’ai parlé avec lui en Hongrie. Il était tellement touché que c’était trop dur pour lui de venir… Chacun vit les choses à sa manière.

Avez-vous revu les images de ce terrible accident ?

Non, je n’ai pas voulu les voir pour le moment parce que je sens que ce n’est toujours pas le moment de les regarder. Je vais certainement les regarder un jour mais pour le moment, je n’ai pas souhaité le faire.

Qu’en est-il de l’enquête sur cet accident ? Un rapport interne de la FIA (Fédération Internationale du Sport Automobile) pointe du doigt la vitesse de Jules…

Je n’ai pas vu les images donc je peux difficilement me prononcer sur les conclusions. La seule chose que je peux dire c’est qu’il me semble très curieux, voire même un peu « marrant » qu’on reproche à un pilote de Formule 1 d’aller trop vite. A priori, c’est son métier, il est là pour ça, je pense qu’ils sont tous là pour ça. De ce que je sais, de ce que j’ai entendu, je trouve ça un peu bizarre. Depuis le jour du drame, que ça soit la maman de Jules ou moi, on avait une trop grosse sensibilité pour porter des jugements sur ce qu’il s’était passé. Il y a des gens dont c’est le métier qui s’occupent de ça, qui sont en train de voir ça et je pense que lorsqu’ils auront leurs conclusions, ils le feront savoir.

Faire toute la lumière sur ce qu’il s’est passé : est-ce le nouveau combat de votre vie ?

Je ne vais pas dire que c’est le combat de ma vie… Aujourd’hui, le combat de ma vie, c’est d’essayer de reconstruire une vie sans Jules et ce n’est pas facile. On a pu le voir avec tous les messages de soutien, de sympathie de la part des supporteurs et de tous les gens qui ont pu le connaitre. On a pu mesurer à quel point Jules était quelqu’un de très apprécié et pas uniquement pour ses qualités de pilote mais également pour ses qualités humaine. Donc pour nous, qui étions ses proches, c’est évident qu’il y a un manque énorme. Je pense que pour Jules, il y a encore des actions à mener.

Lesquelles ?

Ce sont des idées, il n’y a rien d’avancé encore mais par exemple, j’aimerais faire une fondation pour essayer d’aider des jeunes pilotes qui ont du talent mais pas beaucoup de moyens. Essayer de les aider, donner des moyens pour qu’ils aient un avenir dans le sport automobile. Jules était très attaché au karting donc pourquoi pas aussi créer une marque de châssis comme ont pu le faire Fernando Alonso, Lewis Hamilton ou Daniel Ricciardo. A travers ces actions, la volonté et le combat, c’est de faire exister Jules, différemment, qu’il soit toujours présent, qu’on continue à parler de lui et qu’il soit toujours avec nous car il était vraiment amoureux de ce sport. C’était toute sa vie.

Les pilotes continuent de porter sur leurs casques ou combinaisons des messages en hommage à Jules. Ces petits gestes vous aident-ils un peu à surmonter cette terrible épreuve ?

Oui, c’est très important. Ces messages nous donnent de l’énergie. Et puis, pour Jules, c’est une reconnaissance de ce qu’il était. Lors de ses obsèques, les messages de la Formule 1 ont été absolument extraordinaires et touchants pour lui puisque c’était une reconnaissance de la personne qu’il était. Il y avait le pilote mais aussi l’homme : simple et travailleur.

Depuis les obsèques, avez-vous encore des contacts ou reçu des messages de la part de certains pilotes de F1 ?

Globalement, je les ai tous vus en Hongrie lorsqu’on avait fait l’hommage à Jules. Depuis, je sais qu’ils sont favorables et qu’ils veulent nous aider à créer cette fondation. Une aide qui nous serait financière par le biais de ventes aux enchères de leurs casques etc… Mais ça reste encore un projet.

Avez-vous des contacts avec la FIA ou encore de la Formule One Management ?

Non, je n’ai pas de contact particulier si ce n’est la gentille invitation de Bernie Ecclestone pour le GP de Hongrie. Il tenait à ce que notre famille soit présente pour rendre hommage à Jules. Maintenant, chacun fait un peu sa vie et chacun travaille.

Jules faisait partie de l’Académie Ferrari, c’était l’un de leurs pilotes. Entretenez-vous toujours des contacts avec la Scuderia ?

Oui, j’ai des contacts. J’ai Massimo Rivola (directeur sportif de Ferrari en F1) au téléphone, j’ai eu aussi les gens de l’Académie et Stefano Domenicali (ex-directeur sportif de Ferrari en F1) qui est très affecté par tout ça.

Allez-vous regardez le Grand Prix de Suzuka ?

Non. Je ne vais pas regarder le Grand Prix puisque depuis l’accident, je n’ai plus regardé les courses de F1… A chaque fois que je vois une Formule 1, ça me perturbe beaucoup. On était en Hongrie et c’est le seul Grand Prix qu’on a regardé. D’ailleurs, on était très heureux que ce soit Sébastian Vettel qui gagne ce week-end-là car Jules avait une grande partie de son cœur chez Ferrari… Mais le Grand Prix du Japon, non… C’est trop, trop difficile à seulement un an de l’accident. C’est insupportable.

Quelle image gardez-vous de la carrière de Jules, de ses débuts en karting à Brignoles jusqu’à Suzuka ?

L’image d’un grand champion. D’un enfant qui a découvert sa vocation dès l’âge de 3 ans. Pourtant, dès le début, on lui avait dit que ça serait difficile, que le sport automobile coûtait beaucoup d’argent et qu’il faudrait beaucoup de travail et beaucoup de talent pour réussir. Lui, il a su démontrer ses qualités tout au long de sa carrière, du petit enfant sur son petit kart jusqu’au pilote professionnel qu’il s’est construit. J’ai été extrêmement fier de lui. Nicolas Todt (le manager de Jules Bianchi en F1) a beaucoup travaillé pour lui et il en avait fait un vrai pilote professionnel. C’était évident qu’il avait une brillante carrière, il était extrêmement coté et j’ai pu m’en rendre compte en rencontrant plein de patrons d’écuries lors du Grand Prix d’Hongrie. Ils étaient tous unanimes pour dire qu’il aurait gagné des Grands Prix et qu’il avait le potentiel pour devenir le champion du monde de demain.

Le sommet reste Monaco où il avait accroché une brillante 9e place au volant de sa Marussia ?

Oui. Dans sa carrière, on retiendra bien évidemment l’exploit qu’il a fait avec une voiture qu’on n’aurait pas donné dans les points. C’était une belle reconnaissance pour lui et je pense que ce jour-là, il avait su convaincre les gens de lui faire confiance une nouvelle fois pour qu’il rejoigne une écurie un peu plus huppée. Mais malheureusement, le drame l’a fauché avant que ça arrive. C’était un grand pilote.

Aujourd’hui, la presse britannique a donné des nouvelles peu rassurantes sur l’état de santé de Michael Schumacher. On connait le lien qui existait entre Jules et lui : avez-vous un message de soutien à faire passer à la famille du champion allemand ?

Nous avons malheureusement vécu un drame dans la douleur identique. Avant nous, ils ont témoigné de leur force et ils n’ont jamais lâché Michael. Je n’ai pas de ses nouvelles donc je vais me garder de faire des commentaires sur ce qui peut être dit car on ne connait pas toujours les sources. Moi, ce que je peux dire, c’est de ne rien lâcher. Que si Michael est encore là, c’est qu’il se bat. C’est le plus grand champion que la Formule 1 ait connu. Jules était très touché par cet accident et aujourd’hui, je prie pour que lui puisse s’en sortir car il est toujours là et il y a toujours de l’espoir. J’espère qu’il s’en sortira.

Enfin, avez-vous un ultime message à transmettre à tous les fans de Jules qui pensent encore à Jules ?

Je remercie tous ces gens extraordinaires, qu’ils continuent à l’aimer et qu’ils ne l’oublient pas.

Nicolas Cuoco