
F1: Frédéric Vasseur, l’homme de terrain arrivé au sommet chez Ferrari
Sur la grille de départ des Grand Prix de Formule 1, cette année, dix pilotes peuvent remercier, de près ou de loin, Frédéric Vasseur. Lewis Hamilton, Nico Hülkenberg, Esteban Ocon, George Russell, Kévin Magnussen, Charles Leclerc, Valtteri Bottas, Alex Albon, Nick de Vries et Guanyu Zhou ont un point commun: ils sont passés, à différents moments de leur parcours, entre les mains du Français ou de son équipe. Un bilan impressionnant, résultat de plus de trente ans de carrière dans le milieu.
"Il arrive vraiment à comprendre chaque pilote et chaque pilote est différent", pose Sébastien Philippe, directeur de l’écurie ART Grand Prix, co-créée par Vasseur. Sébastien Philippe a connu "Fred"en 1996. A l’époque, le premier est pilote dans l’équipe du second, ASM, où Vasseur a fait ses débuts comme ingénieur de piste. "Il était multi-tâche, se souvient Sébastien Philippe. C’était mon ingénieur-course, mon team manager. C’était une toute petite équipe." C’est une des forces de l’actuel patron de Ferrari. Diplômé de l’ESTACA, une des plus grandes écoles d’ingénieurs dans le milieu automobile: il additionne connaissances techniques et qualités de manager. Un passionné, ambitieux, qui y a consacré sa vie.
Un ingénieur bon manager
A la fin des années 1990, ASM s’est imposée comme une équipe majeure, en F3 notamment. Le patron tricolore veut toucher le plus haut niveau. En 2004, Fred Vasseur fait donc évoluer sa structure en créant ART Grand Prix, avec Nicolas Todt. Ce dernier s’occupait du pilote Felipe Massa et voulait créer un projet avec de jeunes talents. "N’ayant pas l’expérience et les compétences techniques pour le faire, je me suis dit que soit je faisais les choses bien, soit je ne les faisais pas, explique Nicolas Todt. Donc je me suis associé avec quelqu’un qui était vraiment un expert en la matière. J’ai commencé à me renseigner sur toutes les équipes performantes. Et le nom de Fred Vasseur m’est revenu de nombreuses fois."
ART Grand Prix aligne des monoplaces en F2 (GP2 à l’époque). Fred Vasseur bâtit, intelligemment. Nicolas Todt: "Il a des connaissances techniques très approfondies. Je pense qu’il a un vrai talent pour trouver les bonnes personnes aux bons rôles. A l’époque, cela m’avait frappé. Il avait de très bons ingénieurs, qu’il avait pris très jeunes, à leur sortie d’études. Il sait très bien s’entourer et a une très bonne capacité d’analyse." Sa faculté à gérer, organiser son équipe fait d’ART Grand Prix une écurie performante. Elle attire alors des jeunes prometteurs comme Lewis Hamilton, Nico Rosberg, Romain Grosjean ou Nico Hulkenberg. Les titres tombent en GP3, en GP2, puis en F3 et en F2. Une vraie pépinière de talents.
"Parfois un peu dur"
Frédéric Vasseur se fait un nom. Il part chez Renault F1 en 2016, qu’il quitte moins d’un an plus tard dans un contexte de tensions. Il connaît ensuite Sauber puis Alfa Romeo. Partout, il amène sa recette. "Il n’a jamais vraiment changé. C’est quelqu’un de pointilleux, très direct, très honnête, détaille Sébastien Philippe, qui a collaboré avec lui chez ART Grand Prix. Il ne mâche pas ses mots lorsqu’il a quelque chose à vous dire. C’est parfois un peu dur à entendre mais c’est la meilleure façon de comprendre qui on est et ce qu’on doit faire pour progresser. Il peut être exigeant dans le travail mais il fait aussi une grande confiance et laisse les gens se débrouiller. C’est quelqu’un avec qui il est facile de travailler à partir du moment où vous avez la même vision des choses."
Une approche légitimée par son passé et sa formation, selon Nicolas Todt: "Je pense qu’avoir une connaissance technique est quand même plus simple. Je pense que c’est un vrai plus, quand les ingénieurs vous expliquent quelque chose, de savoir qu’ils ne peuvent pas raconter n’importe quoi."
"Il est ingénieur de métier, il est dans le milieu depuis plus de trente ans, il a une très bonne vision sur les pilotes… Il est aussi bon sur la partie ingénierie que sur sa capacité à dénicher de grands talents et surtout à les faire progresser. Il connaît toutes les facettes du métier et c’est un vrai avantage pour lui", complète Sébastien Philippe.
Une relation particulière avec Leclerc
Très apprécié dans le paddock, ouvert, souriant voire "bonnard" avec les médias, Vasseur sait aussi comment aborder les jeunes pilotes. Notamment Charles Leclerc, qu’il a rencontré chez ART Grand Prix puis lancé en Formule 1 chez Sauber en 2018 et qu’il retrouve chez Ferrari. L’agent du pilote monégasque aujourd’hui est… Nicolas Todt. "C’est quelqu’un qui a son franc parler, qui sait être sérieux quand il faut l’être, il n’hésite pas à prendre des décisions quand c’est difficile à prendre et il a un rapport très affectif avec les pilotes. C’est ce que Charles aime beaucoup chez Fred Vasseur, assure Todt. Il rassure. Il a ce côté un peu un père de famille et c’est un plus quand vous travaillez avec de jeunes pilotes. Ça a créé un lien fort entre eux très tôt. Ce lien n’a jamais été rompu."
Le départ du patron de 54 ans pour la Scuderia a ravi Leclerc, mais l’a encore un peu plus éloigné de son bébé ART Grand Prix. Dans l’équipe française, il reste tout de même des jeunes biberonnés à la méthode Vasseur, comme Théo Pourchaire, également troisième pilote pour Alfa Roméo en F1. "Sans lui, je ne serais probablement pas là. On se connaît très bien. C’est quelqu’un de très honnête, reconnaît Pourchaire. C’est quelqu’un qui, même si tout va bien, se remet en question et essaie de faire avancer tout le monde. Je pense que c’est vraiment la bonne personne pour Ferrari. Il est honnête et saura garder la tête froide, rester serein et calmer tout le monde même dans les moments les plus durs."
"Il est à sa place"
Le coéquipier de Pourchaire en F2, Victor Martins, appelle encore Vasseur assez souvent au téléphone. Il emploie une expression qui revient fréquemment à son sujet: "Très dur mais très juste". "Je pense que c’est toujours important pour nous jeunes pilotes de réaliser qu’à des moments, on ne fait pas le travail, de nous remettre en question, développe Martins. Je le considérais comme le meilleur dans notre milieu, lorsqu’il était avec ART Grand Prix."
Chez Ferrari, Vasseur, qui apprend encore l’italien, a débarqué dans un environnement avec une pression sans équivalent. Après le choix annoncé de ne pas instaurer de hiérarchie entre les deux pilotes, puis un premier week-end manqué, la Scuderia connaît ses premiers remous. David Sanchez, l’un des concepteurs de la dernière monoplace, a démissionné, alors que le stratège en chef Inaki Rueda avait lui été écarté avant la saison. La presse italienne s’enflamme et annonce aussi que le directeur d’équipe adjoint Laurent Mekies veut partir.
La pression est sur Vasseur, après une année ratée d’un point de vue stratégique chez Ferrari, qui a coûté sa place à l'ex-directeur Mattia Binotto. L’objectif annoncé est le titre. "Quand il va quelque part, c’est pour réussir. Mais plus pour faire réussir le projet qu’à titre personnel. Il est très compétiteur", assure Sébastien Philippe. Pour lui, pas de doute: "Fred est à sa place."