RMC Sport

Lavillenie : "Je l’avais senti"

-

- - -

TAULIER DE L’ANNEE - Le 15 février dernier à Donetsk, Renaud Lavillenie s’envolait à 6,16m pour effacer un record du monde vieux de 21 ans, détenu par la légende de la perche Sergueï Bubka, présent dans la salle. L’exploit sportif de l’année 2014. Le champion olympique français refait le film de cette journée exceptionnelle au micro de RMC Sport.

Renaud, comment s’est passée votre matinée ce fameux 15 février ?
Je me suis réveillé vers 10 heures. Le concours était dans l’après-midi, donc j’aime bien prendre du temps, tranquillement. Je traine un peu, j’écoute de la musique, je regarde des vidéos, je reste tranquille. Pas de petit-déjeuner. En compétition, des fois, c’est comme ça. Derrière, je prends énormément de barres de céréales, de boissons énergétiques que je consomme avant d’entamer la compétition. Comme on allait à midi au stade, j’optimisais vraiment à l’hôtel le temps de me préparer. Faire le sac, très important. Vérifier que je n’ai oublié.

Vient le moment de rejoindre la salle…
Je quitte l’hôtel accompagné de Cédric Klapish (réalisateur, entre autre, de l’ « Auberge Espagnole », ndlr) qui tournait. Il y a avait Valentin, mon petit frère. Il y avait Philippe (d’Encausse, son entraineur), et puis les deux Marion (Lotout et Buisson) aussi. On se met dans le minibus. On met les écouteurs et on commence à entrer dans la bulle pour se préparer et pour commencer à être serein.

Dans état d’esprit étiez-vous à ce moment ?
J’étais déjà ultra motivé. Je me sentais bien. Physiquement, je sentais que ça allait, que je n’étais pas patraque. Je n’avais qu’une hâte, c’était de commencer à m’échauffer, commencer à tâter le terrain et voir ce que ça pouvait donner.

Votre arrivée à la salle…
C’est un moment important. Classiquement, on arrive et je prends ma place. Je pose mes affaires à un endroit plus ou moins déterminé parce que je sais que c’est l’endroit que je vais occuper pendant un bon moment. On vérifie la piste, le sautoir, comment tout est mis en place. Comme on arrive avec pas mal d’avance, on attend le moment pour aller s’échauffer. Je me pose tranquillement avec mes écouteurs dans un coin de la salle. J’admire l’effervescence. Ça bouge dans tous les sens les dernières heures pour que tout soit prêt. J’entre dans la compétition.

Le concours va débuter, vous lancez votre échauffement…
Je dois commencer à courir vers 13h, c’est très traditionnel. Je fais 2-3 tours de salle, je trottine. Je vérifie que ça va au niveau des articulations. Et puis je fais des petits sauts avec perche, pour augmenter tranquillement jusqu’à finir par deux sauts sur élan complet, pour valider le départ pour la course d’élan. Aussi pour valider la hauteur de début de concours. A l’échauffement, je franchis 5,80m aisément. Je me dis : « Parfait, je vais donc pouvoir valider ma première barre, à 5,76m. » Après il n’y a plus qu’à attendre. On va remettre le survêtement. On attend la présentation. Une fois que la présentation est lancée, on se pose tranquillement, on regarde le petit frère.

C’est le début d’une longue attente…
Il y a eu en effet une très longue attente, facilement deux heures et demie. Ce n’était pas la première fois que je faisais Donetsk, je savais à quoi m’attendre. Le début de concours a été très occupé. J’étais toujours dans ma bulle, mais je regardais ce que les autres faisaient, la compétition. Il y a le show qui est là. Toutes les 20 minutes, je faisais des accélérations pour rester éveillé. Pour ne pas rester trois heures immobiles. Parfois on se refroidit. On perd les premiers essais comme ça.

Le concours commence…
5,76m. On n’est plus que trois dans le concours je crois. Là, c’est top. Premier essai, il y a forcément un peu la pression. C’était la première fois que je commençais aussi haut. Le saut passe. C’est loin d’être le meilleur saut. Mais je m’en fous. Du moment que ça passe, c’est le plus important. Tout de suite, j’entre dans une spirale. Le plan est lancé. Je peux me projeter sur la prochaine. Peu importe les adversaires. 5,76m au premier, ensuite j’attends. L’Anglais franchit 5,81m. Il repasse devant. Il fait l’impasse pour sauter avec moi à 5,91. Il rate, je passe 91 au premier essai. En deux sauts, je suis à 5,91m. C’était la première fois pour moi. A partir de ce moment-là, je savais que le concours était plié. Je n’avais plus qu’à attendre qu’il rate ses deux autres essais. Et après je pouvais m’envoyer dans des hauteurs plus importantes.

Viennent les 6,01m…
C’est un moment très important du concours. Le deuxième essai, je ne sais pas comment je le rate. Et là je me dis : « Je n’ai pas fait ça pour finir à 5,91m ». Il faut que je passe pour au moins tenter le record du monde. Je me suis retrouvé avec une grosse perche. Et je me suis dit : « Tu ne poses pas de question, tu impulses et ça va le faire. » Troisième essai, ça se déclenche, parfait, et derrière après tout de suite on va demander 6,16m. On ne se pose plus de question. Et on arrive à ce moment. Je sors la perche. Je ne pose même la question de me dire « ouah c’est haut ». Je suis en bout de piste, j’ai ma musique qui se lance. Je suis déterminé. Je ne pense qu’à une chose, m’appliquer sur mes six premières foulées. Je sais qui si je me suis appliqué sur ça, derrière ça va partir. Les deux premières foulées sont bonnes, les deux suivantes aussi. Je sens qu’il y a de la vitesse qui vient et que je donne tout. Je quitte le sol. J’ai limite le trou noir. Je me retrouve au-dessus de la barre en train de redescendre. J’entends le bruit du public qui prend une tournure complètement différente. C’était le record.

Vous réalisez à ce moment la portée de l’exploit ?
Oui et non. C’était juste incroyable. Je ne m’attendais pas à faire le record comme ça. Mais je vois bien après quand Sergueï (Bubka) vient m’en parler, me dit que c’est super. Je lui réponds que j’ai du mal à réaliser. Il me dit que je l’ai bien fait. C’est juste énorme. C’était un moment qui était juste incroyable.

Vous aviez dit à votre frère que vous battriez ce record…
Je l’avais senti quelques minutes, heures avant. C’était pendant le concours. Je voyais ce que j’étais en train de faire. Je sentais que ça pouvait aller au bout. Mais entre le sentir et le faire…

La tentative qui suit à 6,21m, c’est de la folie...
Non. C’est juste moi (rires) ! Si je m’étais arrêté, on n’aurait pas pu dire que c’était réellement moi. Il fallait tenter plus loin pour essayer de préparer l’avenir, tout simplement… J’étais très content d’avoir tenté ça, même s’il y a eu la blessure derrière. Si c’était à refaire, j’y retourne sans hésiter.

Que peut-on vous souhaiter pour 2015 ?
Faire mieux que 2014. Et être champion du monde.

la rédaction avec François-Xavier de Châteaufort