
L’énigme Claude-Boxberger toujours tenace après le passage devant la justice antidopage
Jupe longue, bottes et manteau bleu, Ophélie Claude-Boxberger s’est présenté à 8h45 devant le bâtiment de l’Université Paris II Panthéon Assas ce lundi matin pour comparaitre devant la commission des sanctions de l’Agence française de lutte contre le dopage, après son contrôle positif à l’EPO du 18 septembre 2019. Elle était accompagnée de son compagnon et ancien médecin de la Fédération française d'athlétisme, Jean-Michel Serra, ainsi que par deux avocats. Les 12 membres de la commission des sanctions de l’AFLD, juridiction indépendante (composition précise : https://www.afld.fr/la-commission-des-sanctions/) ont passé la journée à décortiquer une nouvelle fois ce dossier rocambolesque mêlant dopage, sordide histoire familiale et règlements de comptes, dans laquelle l’athlète de 32 ans clame toujours son innocence.
Une comparution publique sur demande d’Ophélie Claude-Boxberger. Mais pas totalement. La confrontation attendue avec Alain Flaccus, qui s’était dans un premier temps accusé d’avoir effectué l’injection d’EPO à l’insu d'OCB avant de changer deux fois de version, s’est déroulée à huis clos et en visio-conférence, en l’absence de l’ancien beau-père d’OCB pour cette comparution à Paris. L’AFLD demande 8 ans de suspension. La défense demande la relaxe.
"Je savais que ce serait compliqué de cohabiter à nouveau avec une personne qui m’avait agressé sexuellement"
C’était une longue journée, et difficile de dire si elle aura permis aux membres de la commission des sanctions de lever les ombres sur cette affaire nébuleuse. "C’était très fatigant et je vais attendre le verdict, je ne vais pas m’avancer sur rien" a réagi à sa sortie la spécialiste du 3000m steeple, qui est apparue combattante tout au long de la journée. Elle a notamment dû répondre aux questions sur l’impensable retour dans sa vie de son ex beau-père lors d’un stage à Font-Romeu, alors qu’elle a porté plainte contre lui pour "viol aggravé".
Elle raconte la pression de la qualification pour les Mondiaux de Doha, le stage forcé à Font-Romeu sur demande de la fédération et l’absence d’encadrement médical qui l’ont conduit en deux jours à accepter la présence du compagnon de sa mère. "Il s’est proposé pour monter avec moi, c’était le seul qui pouvait être là. Pour moi, ça a été compliqué d’accepter. J’avais pris rendez-vous avec mon psychiatre dès le mois de juillet car je savais que ce serait compliqué de cohabiter à nouveau avec une personne qui m’avait agressé sexuellement. Je prenais du Lexomil, du Prozac et deux Stilnox, sinon je ne pouvais pas dormir. J’étais arrivé à un stade où je ne dormais pas, où j’avais le stress de la qualification, et pour la première fois depuis mes 17 ans me retrouver avec Alain Flaccus. Je me réveillais la nuit malgré les médicaments. Il y a souvent des pertes de mémoire avec la prise de ces médicaments."
OCB raconte également les crises de jalousie d’Alain Flaccus lors de ce stage, quand son compagnon Jean-Michel Serra est venu la rejoindre pendant quelques jours. "Il a déchiré une robe, jeté un bouquet de fleur que j’avais reçu, crié des insanité quand je suis allée à l’hôtel avec Jean-Michel Serra".
Le pistolet de massage montré et testé sur des membres de la commission
Les membres de la commissions ont une nouvelle fois tenté de rejouer le scénario de l’improbable piqure d’EPO par Alain Flaccus à l’insu de son plein gré, lors d’un massage. Le pistolet de massage utilisé a même été montré par OCB et testé sur des membres de la commission. "J’étais endormie sous l’effet des médicaments mais pas assez car j’ai senti la douleur", raconte-t-elle à nouveau. Une douleur que les juges ont tenté de faire décrire à l’intéressée sans réelle réponse. "J’ai senti un pincement".
Ophélie Claude-Boxberger s’accroche donc à cette version, malgré les multiples revirements et changements de version d’Alain Flaccus, dont l’audition et la confrontation ont malheureusement eu lieu à huis clos et par visio-conférence. "Il n’y a pas eu grand-chose de plus de dit, a confié à la sortie OCB. Il se contredit tout le temps, que ce soit sur l’injection ou sur le domaine des agressions sexuelles. Il se contredit tout le temps, dit « d’après mon avocat je pense, je suppose… ». Cet après-midi, il a dit à un moment donné qu’il était bien le responsable et après, il dit « selon mon avocat ce n’est pas moi ». Donc franchement, ce n’était pas clair. J’ai pu lui poser des questions. Quand je lui demande pourquoi il a eu ce comportement là, il ne le nie pas. Par contre, devant les membres de la commission, il se contredit. Et moi quand je lui pose des questions, il me dit qu’il est désolé. C’est pour ça que je dis qu’il se contredit."
L'AFLD n'y croit pas
Cette version des faits, l’AFLD n’y adhère pas du tout et soupçonne même l’athlète d’avoir poussé sa mère à demander de faire revenir sur ses déclarations Alain Flaccus, qui s’était rétracté. Sylvie Claude, la maman d’OCB, appelée à témoigner par les avocats de sa fille, a nié sans convaincre et est apparue complètement noyée par cette histoire. Pour l’AFLD, Ophélie Claude-Boxberger a tenté de faire changer la version d’Alain Flaccus et c’est, pour le gendarme antidopage français, un élément qui caractériserait la tentative de substitution et de manipulation, en plus d’incohérences sur les dates de retour de ce stage à Font-Romeu. C’est ce qui explique la demande d’une sanction de 4 ans qui s’ajouterait aux 4 ans pour le contrôle positif à l’EPO. Soit 8 ans de suspension au total.
L’AFLD a demandé une expertise au professeur Martial Saugy, ancien directeur du laboratoire anti dopage de Lausanne. En visio-conférence depuis la Suisse, il a écarté lui aussi la version soutenue par OCB: "Pour moi, il est clairement exclu que les traces d’EPO puissent être expliqués par une seule injection le 12 septembre".
Cette audition a d’ailleurs fait apparaitre un nouveau nuage dans cette affaire déjà chargée. L’expert suisse missionné par l’AFLD s’est appuyé sur un échantillon prélevé lors des championnats du monde de Doha, par l’AIU (Athletism Integrity Unit) le 23 septembre 2019, soit cinq jours après son contrôle positif. Un prélèvement qui a révélé des traces d’EPO. Mais un prélèvement qui n’a pas été analysé par l’AMA et directement envoyé au laboratoire de Chatenay-Malabry. "Est-ce l’échatillon B ou le A ?" a demandé Jean-Michel Serra au responsable de l’AFLD, sans que la réponse ne soit très claire.
Suspendue depuis le 4 novembre 2019, Ophélie Claude-Boxberger a conclu la voix chevrotante: "Depuis le 5 novembre, ma vie s’est arrêtée. L’acharnement sur les réseaux sociaux... On m’a reproché de parler à la presse mais j’avais besoin de parler et comprendre ce qu’il se passait. Je ne vis plus et j’essaye de comprendre". L’avocate d’OCB s’est appuyée sur l’absence de no-show dans la carrière de l’athlète et a opposé "une girouette d’un côté (Flacus) et en face quelqu’un qui hurle son innocence": "Dire que Flaccus s’est senti manipuler, c’est se moquer du monde". La commission des sanctions de l’AFLD, par la voix de son président Remy Keller, a annoncé que le délibéré serait rendu d’ici deux ou trois semaines.