
Faut-il douter des chronos records sur marathon ?

Dennis Kimetto - -
En établissant un nouveau record du monde en 2h03’23, fin septembre au marathon de Berlin, le Kenyan Wilson Kipsang a mis la barre très haut. Trop haut ? Que nenni. Deux semaines plus tard à Chicago, son inconnu de compatriote, Dennis Kimetto, titillait cette marque de référence (2h03’45) en sortant de nulle part lui qui, deux ans plus tôt, ne figurait même pas dans les bilans mondiaux. Un cas symptomatique de ce qui se produit depuis trois ans sur marathon, où l’on observe à la fois une banalisation et une épidémie de chronos sous les 2h05. Ou quand l’extraordinaire devient ordinaire.
« A certains moments, on frôle l’impossible, estime Bernard Faure, champion de France du marathon en 1982 et consultant pour France 2. Il peut y avoir des suspicions, c’est clair, car aujourd’hui, on ne sait plus si on a affaire au talent du siècle ou à l’arnaque du siècle ». Dominique Chauvelier, 4 fois champion de France dans les années 80-90, s’étonne, lui, de voir comment les monuments de la course à pied sont rentrés dans le rang : « Paul Tergat et Haile Gebrselassie étaient de véritables stars dans les années 2000. Ils sont devenus des rigolos aujourd’hui, complétement banalisés… »
Une quantité qui interroge
En 2003, Tergat est le premier athlète à descendre sous les 2h05 (2h04’55). Quatre ans plus tard, « Gebre » lui emboîte le pas en 2h04’26. Avant de récidiver l’année suivante, et de passer sous les 2h04 (2h03’59). En 2009, ils sont 2. Puis 3 en 2010, 4 en 2011 (dont le recordman du monde Makau en 2h03’38) et 11 l’an passé. Cette saison, ils sont pour l’instant 9 à avoir affolé les chronos sous les 2h05. Série en cours, en attendant les marathons de New York, Amsterdam, Osaka ou encore Francfort. Et tous sont kenyans et éthiopiens.
Pour Bernard Faure, le problème ne vient pas de la performance en elle-même, mais bien de la quantité d’athlètes qui parviennent à réaliser ces chronos hors normes. « Il peut y avoir génétiquement un athlète d’exception. Mais statistiquement, quand il y en a 10, c’est gênant… » Stéphane Diagana, ancien champion du monde du 400 m haies et actuel consultant pour RMC Running, se pose lui aussi quelques questions. « La performance est envisageable, oui. Mais c’est la densité qui pose question. Dans le lot, il doit bien y avoir quelques brebis galeuses, mais à quel pourcentage… On ne sait pas. »
L'ombre du dopage
Pour Dominique Chauvelier, le recours à des substances interdites au sein de l’élite du marathon ne fait pas l’ombre d’un doute. « Des performances aussi impressionnantes sans produits dopants, je n’y crois pas. Aujourd’hui, des molécules de nouvelle génération comme l’AICAR sont très performantes. » Encore difficilement détectable, l’AICAR ou Acadesine permet de brûler les graisses tout en gagnant en puissance et en endurance. Et sur marathon, cette substance peut s’avérer terriblement efficace. « On est sur une discipline hautement physiologique, explique Diagana. Les molécules de nouvelle génération améliorent les échanges gazeux et le système cardio-respiratoire. Cela change tout. »
Ce qui impressionne également, c’est l’état de forme voire la fraicheur physique affichée par certains coureurs après un tel effort. « Quand on connaît ce sport, précise Chauvelier, on sait qu’à la fin d’une épreuve, on est très essoufflé à l’arrivée. Quand on voit que Mo Farah et Kenenisa Bekele (lors du semi-marathon de Newcastle le 15 septembre dernier, ndlr) se tapent dans la main et prennent des photos sans montrer de signe de fatigue, là on se dit que ce n’est pas possible. » Et le fait que des coureurs comme Kimetto, inconnu il y a encore deux ans, déboule sans crier gare et bouleverse la hiérarchie, est-il aussi stupéfiant ? « Même si c’est une discipline à maturité tardive, on ne connait pas l’histoire de Kimetto. C’est assez étonnant... »
Des coureurs sous surveillance
Pour écarter toute suspicion et démasquer les éventuels tricheurs, l’IAAF (la fédération internationale) a décidé d’intensifier les contrôles anti-dopage, notamment au Kenya. « C’est le véritable challenge des autorités, estime Philippe Rémond, champion de France de marathon 1994 et 2001. Il faut une traçabilité efficace des coureurs africains. » Encore faut-il que les « personnes chargées des contrôles soient au courant de ce qu’il faut chercher », souligne Bernard Faure, un brin perfide. Avant d’asséner, avec fatalisme : « Les chronos actuels ne parlent plus ».
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