
Ewanjé-Epée : "Un exploit comme on ne peut même pas en imaginer"

- - -
« Honnêtement, je n’y croyais pas du tout. J’étais sur la route. J’écoutais à la radio, sur le périphérique. Deux jours plus tôt, je disais à l’antenne que ce n’était pas possible. Je disais : "Attendez, c’est trop tôt, il y des étapes à franchir. Sept centimètres de plus que son précédent record, c’est absolument phénoménal. On ne peut pas gagner sept centimètres en une compétition." Je n’y croyais tellement pas que j’avais pris ma voiture et que j’étais en train de rentrer à la maison. J’entends le commentaire, j’accroche un peu plus mon volant. J’entends "oh oui". J’ai failli me flanquer dans la Seine ! J’ai pilé direct, je me suis mis sur la bande d’arrêt d’urgence, en tremblant. C’est un exploit comme on ne peut même pas en imaginer. J’ai eu la chance de voir un certain nombre d’exploits de l’athlétisme dans le monde. Mais là, ce qu’a fait Renaud Lavillenie, c’est exceptionnel.
Sergueï Bubka était très ému que ça se passe chez lui (à Donetsk en Ukraine). Tout le monde disait que ce record allait durer un siècle. Tout à coup, on voit un petit gars qui arrive. 1,76m, 69 kilos. Il fait de la perche depuis qu’il est gamin dans son jardin. Il a fait de la voltige équestre et un tas d’autres choses. Il arrive, il bat ce record mais de façon totalement incroyable. Sergueï, on se rappelle, battait les records centimètres par centimètres.
Quand il met la barre à 6,16m, au début on se dit "normal, c’est une récompense pour son public". Et puis il y va. Il vole. Ça ne frôle pas. Ça passe bien. Ça passe tellement bien que derrière, il demande 6,21m. Il explose au sens propre puisqu’il s’ouvre le pied, on est obligé de lui faire des points de suture. Ça montre l’état d’esprit de ce garçon. Tu bats un record du monde, OK, tu t’arrêtes. Non, lui il continue. Du coup il est privé de fin de saison.
« On en prend pour dix ans de Renaud Lavillenie »
Il lui manque encore ce fameux titre mondial. Ce n’est pas un complexe parce que ce garçon n’en a aucun. Par contre, que ça devienne sa bête noire, oui. Deux fois il est favori, deux fois il échoue sur le podium. Bubka avait connu la même aventure aux Jeux Olympiques. Il a gagné six titres mondiaux, mais il lui a fallu trois JO pour remporter l’or. Lavillenie est là pour gagner. Après ce record du monde, je crois qu’on en prend pour dix ans. Le record l’a assis dans une nouvelle maturité.
Ce n’est plus le même. Quand il nous parle, il est beaucoup plus posé. Il est serein, sûr de lui. L’année dernière au championnat d’Europe, la veille de sa finale, il reste dans le stade pendant huit heures pour encourager les copains. Il n’a plus aucun doute. La seule chose dont il ne peut pas être certain, c’est le candidat inconnu qui arrive et pulvérise son record. Renaud a encore trois, quatre ans pour construire et assoir sa carrière. Et ça va être l’un des personnages les plus connus du monde. »