
Bosch, ce coureur qui a vu l’EPO arriver dans l’athlétisme

Nadir Bosch est désormais installé au Brésil. On le voit ici aux côtés du légendaire Pelé. - DR
La voix est douce, le débit est rapide. La passion s’est tarie depuis longtemps et Nadir Bosch, l’un de nos plus talentueux coureurs de demi-fond court s’est éloigné de l’athlétisme sans même y prendre garde.
Il vit au Brésil, entouré de sa femme, son fils et les dizaines de gamins brésiliens qu’il forme au football. Le discours est tranchant comme le cuir d’un fouet : « Vous voulez faire du football ? C’est pourri le football. C’est un milieu de simulateurs et de requins… Soyez prêts » !
Il veut que les mômes qu’il voit arriver les yeux pleins d’étoiles dans l’école qu’il a fondé avec Léomar, un ancien de la Seleçao sachent qu’ils auront à se battre dans un milieu infiltré de prédateurs.
« Moi je ne savais pas ce qui m’attendait quand j’ai commencé à faire des performances. J’étais heureux comme un gamin qui a reçu un jouet. Je courrais et je gagnais ! Il ne m’en fallait pas plus » s’enflamme-t-il.
Huit fois champion de France
Le jour où un grand quotidien français a titré après qu’il ait battu le record de France du 2000 mètres du grand Michel Jazy « L’Algérien naturalisé français Nadir Bosch bat le record », il a été choqué. Et quand on l’a interviewé en lui demandant sa religion et comment ses parents s’en sortaient, il a compris que les clichés ont le dos solide : « Moi j’ai vécu mon enfance dans une villa sur la côte d’Azur entre des parents kinés (Michel et Fadila) et mes grands-parents s’appellent Augustin et Francine, Bachir et Zohra ».
Nadir est né à Alger, de parents expatriés et il est arrivé en France à l’âge de trois ans. Il a lu Montaigne et Pascal et il a appris la musique au conservatoire. Une histoire française en somme. Il court parce qu’il aime ça et il est sacrément doué. Huit fois champion de France, finaliste mondial et demi-finaliste olympique, son talent s’exprime du 800 mètres au 3000 mètres en passant par le steeple.
Tout s'accélère
Courir le rend heureux jusqu’au jour où il réalise qu’il peut aller plus haut. Il travaille d’arrache-pied, en visant le 1500 mètres où il semble avoir de meilleures chances de se placer dans l’élite. En 3.32 pense-t-il, il aura rejoint le gotha et pourra jouer les podiums dans les compétitions internationales. En 1997 Hicham El Guerrouj a battu le record du monde en 3:31.18. (en salle) et Haile Gebreselassié est deuxième des bilans mondiaux d'été en 3.32.39…
Mais à la veille de l’an 2000, tout s’accélère. L'EPO a fait son apparition et elle s’installe rapidement et silencieusement dans les officines du demi-fond et du fond. Curieusement, c’est en 1998-1999 que les bilans mondiaux connaissent une effervescence sans précédent. Nadir a bien réussi à s’approcher des 3.32 mais cela ne le place même pas dans les dix meilleurs mondiaux (il est 12ème en 3.32.06).
Il n'a rien vu venir
Nadir n’a rien vu venir mais il voit des coureurs moyens devenir très bons, et des très bons devenir imbattables. Il s’accroche et croise la route d’Ali Saïdi Sief avec lequel il s’entraine brièvement avant de quitter le groupe, écœuré par la progression insensée d’un partenaire qu’il juge suspect. Saïdi Sief est pris par la patrouille en 2001 mais ses chronos et sa médaille olympique de Sydney sur 5000 mètres restent. Tout comme restent les 3.30:83 de Fouad Chouki, Icare écarté des pistes en 2003 après un contrôle positif à l’EPO, qui devance Nadir sur les tablettes nationales du 1500 mètres.
Nadir a toujours les jambes mais plus le cœur ; Un matin, l’envie était partie. Il l’a annoncé peu avant les Mondiaux de Paris Saint-Denis, en 2003, à la stupéfaction générale. « Le plus dur » dit-il, « ce n’est pas de ne pas gagner ». Ca, il en fait son affaire. Il court pour lui et peu importe les choix que les autres font. Ce qui l’enrage aux larmes, alors que lui a fait le choix de ne pas céder, c’est qu’il sait que pour tout le monde ou presque, il est forcément dopé lui aussi : « le pire c’est quand on me dit que j’aurais dû me doper moi aussi puisque tout le monde le fait » !
"Je cours à l'eau claire !"
Non, tout le monde ne le fait pas. Lui ne l’a jamais fait mais il doute qu’on le croit. Il l’a réalisé un de ces soirs de grand succès qui aurait dû le rendre fou de joie. Il venait de battre à la régulière le Kenyan Noah Ngeny, star éphémère du 1500 m à Villeneuve-d’Ascq. Alors que Patrick Montel l’encensait, Nadir a réalisé tout à coup que battre un tel chrono signifierait pour beaucoup n’être « pas très très clair ».
Alors il a craqué et a supplié le journaliste de dire aux Français que lui, Nadir Bosch, « courait à l’eau claire ». La suite, c’est une succession de vexations, de visages qui se ferment. Des athlètes français et internationaux avec lesquels ils s’entrainaient se sont sentis visés par les propos du Français.
"On ne s’intéresse qu’aux « pauvres » dopés"
Aujourd’hui encore, il n’a pas enterré la hache de guerre avec certains. Nadir suit de loin en loin les affaires de l’athlétisme mais le bruit du scandale l’a atteint jusque dans sa retraite très active. Et il a eu envie de dire son ras le bol. « On ne m’a jamais appelé depuis ma retraite pour me demander comment j’allais… On ne s’intéresse qu’aux « pauvres » dopés. Je ne crois pas que j’aurais pu avoir une reconversion comme celle que je vis en restant en France… J’étais redevenu un Maghrébin comme certains de ceux qui ont été pris dans les affaires de dopage là-bas. Comme si le dopage n’était l’affaire que de quelques profils ! »
Nadir Bosch est apaisé mais pas résigné. Ce petit frère des pistes dont j’ai admiré la foulée à mes débuts de consultante a couru le 1500 mètres en 3.32.06 à l’eau claire. J’avais envie de l’écrire…